La boîte à idées de Michel Venne

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Commission Castonguay


Directeur de l'Institut du Nouveau Monde, vice-président dissident de la commission Castonguay sur le financement du système de santé, l'ancien journaliste Michel Venne vient tout juste d'être admis au sein du groupe très sélect des meilleurs entrepreneurs sociaux du monde choisis par la fondation Ashoka. Rencontre avec un brasseur d'idées.

Je rencontre Michel Venne dans son bureau de l'Institut du Nouveau Monde, au 10e étage d'un édifice de la rue Sherbrooke, avec vue plongeante sur le campus de McGill. Un bureau désordonné où les livres et les boîtes s'empilent pêle-mêle. «On est ici depuis le mois de décembre 2006. Mais je n'ai pas encore eu le temps de défaire mes boîtes...» dit le directeur de l'INM qui, à titre de vice-président de la commission Castonguay choisi par le PQ, vient de passer huit mois à scruter à la loupe le financement du système de santé.
Après une semaine houleuse marquée par la publication et la mise à mort quasi instantanée du rapport Castonguay, le directeur de l'INM rentre tout juste d'un voyage éclair en Floride où il a été admis comme fellow de la fondation Ashoka - une fondation philanthropique qui repère les meilleurs entrepreneurs sociaux du monde, les met en réseau et leur donne les moyens de développer et d'exporter leurs idées. Le plus célèbre boursier Ashoka est le Prix Nobel de la paix 2006 Mohammed Yunus, ce «banquier des pauvres» qui a créé un réseau de microcrédit au Bangladesh. Au Québec, le Dr Gilles Julien, père de la pédiatrie sociale, et Sidney Ribaux, d'Équiterre, ont eu droit à la même reconnaissance.
L'Institut du Nouveau Monde est né en 2003 d'une idée lancée par Gérard Bouchard et attrapée au bond par Michel Venne, alors éditorialiste et responsable de la page Idées au Devoir. «Je constatais comme bien des gens le cynisme dans la population, les taux de participation électorale à la baisse. Je voyais bien qu'il y avait une difficulté d'animer le débat public, entre autres à cause de certaines polarisations sur la question nationale, pendant plusieurs années...»
L'Institut du Nouveau Monde a ainsi été fondé dans l'espoir de contribuer au renouvellement des idées en allant au-delà des luttes partisanes. Il s'est peu à peu imposé comme un lieu de débat incontournable au Québec. Il s'est entre autres fait connaître du grand public lorsque la commission Bouchard-Taylor lui a confié l'organisation de ses grands forums nationaux.
Michel Venne qualifie l'INM de «boîte à idées nouveau genre». Ce qui distingue cette boîte d'un think tank traditionnel, c'est que l'on y favorise les échanges entre citoyens et experts. «On essaie de montrer au citoyen que ça vaut la peine de participer. On a à briser deux sentiments: le sentiment d'impuissance et le sentiment d'incompétence. Les gens ont le sentiment qu'ils n'ont pas les compétences pour parler de grands sujets complexes, alors qu'ils ont tous une expérience de vie et une réflexion.» Pour ce qui est du sentiment d'impuissance, la tâche est encore plus ardue. «La façon d'y travailler, c'est qu'à chacune de nos activités, on ne se contente pas de discuter entre nous. On publie les résultats et on en fait la promotion dans la société, dans les médias et auprès des décideurs en espérant influencer leurs décisions.»
Un think tank de gauche que l'INM? «Souvent, les gens nous voient comme un think tank de centre gauche. C'est clair que notre orientation est plus sociale. On ne s'en cache pas. Mais en même temps, le spectre est large», dit-il, en précisant que l'INM prend soin d'inviter dans ses débats des gens de toutes allégeances. «À notre dernière école d'été, ça allait de Françoise David à Mario Dumont. Même chose sur la question nationale: ça va du fédéralisme à la souveraineté, en passant par l'autonomisme.»
Lui-même souverainiste convaincu, Michel Venne aurait pu faire de la politique partisane. Mais il se sent plus à l'aise là où il est, là où le hasard l'a mené. Quand il est entré au collège Ahuntsic, il voulait être ingénieur. Mais le journalisme étudiant l'a fait bifurquer vers les communications. «J'ai été refusé à l'UQAM en communication. Je suis allé en appel et j'ai été accepté. Une de mes caractéristiques, c'est la persévérance», dit-il, sourire en coin. Il a mis 10 ans à finir son baccalauréat, travaillant en même temps dans des journaux communautaires, puis au journal Le Matin et à La Presse Canadienne.
Le rapport Castonguay
Et cette reconnaissance par la fondation Ashoka, qu'est-ce que ça change? Disons que cela tombe plutôt bien, une semaine après la publication du rapport Castonguay et la déception qui a suivi. Huit mois de travail pour finalement se faire dire par le gouvernement qui a lui-même commandé le rapport que l'on n'avait pas besoin de nouveau financement... Découragé, Michel Venne? Pas vraiment. «J'ai été journaliste à la tribune de la presse à Québec pendant 10 ans. J'ai fait de l'éditorial au Devoir pendant sept, huit ans. J'ai été directeur de l'information. Il n'y a rien qui s'est produit la semaine dernière qui m'a vraiment surpris.»
Comment explique-t-il la volte-face du gouvernement Charest? «Le gouvernement s'est tellement fait reprocher, pendant les quelques mois qui ont suivi son élection, de ne pas gouverner et de demander des rapports à tout le monde que je pense qu'il a décidé au cours des derniers mois de changer son attitude et de se présenter comme un gouvernement qui gouverne», dit Michel Venne.
Ni surpris ni découragé, donc. Mais tout de même déçu. «Ce qui est décevant, au fond, c'est que le diagnostic que l'on fait selon lequel on doit remobiliser les différents acteurs du système, du citoyen au ministre, pour établir un nouveau contrat social pour notre système de santé, cette idée-là n'a pas été captée.»
Commissaire dissident, Michel Venne s'est opposé à trois éléments du rapport Castonguay. Il est contre la levée de l'interdiction qui est faite aux médecins de pratiquer à la fois dans le système public et dans le système privé. Il est contre une ouverture plus grande sur l'assurance privée. Il est aussi contre l'idée de confier l'administration des hôpitaux à des sociétés privées spécialisées en gestion. Cette dissidence lui a valu des critiques de toutes parts. À gauche, on lui a reproché de ne pas être allé assez loin dans sa dissidence. À droite, on lui a reproché d'être dogmatique. Joanne Marcotte, vice-présidente de la commission choisie par l'ADQ, a vertement critiqué son collègue dans une lettre remise aux journalistes assortie d'une vidéo sur YouTube. L'auteure du pamphlet L'Illusion tranquille l'a accusé de «perpétuer un faux débat public-privé» et «d'abdiquer en faveur d'une chapelle idéologique aux yeux de laquelle il faut se méfier de tout ce qui n'est pas estampillé du sceau public.»
Des «chimères», réplique Michel Venne, qui juge la sortie de Joanne Marcotte pour le moins «déplacée». «Mme Marcotte estime que c'est un faux débat privé-public. Ce n'est pas un faux débat, c'est un vrai débat! Il existe un secteur privé. Il existe un secteur public. Mais ça va au-delà de ça. Il existe un esprit de service public par rapport à un esprit de marché.»
L'esprit de service public peut exister au privé, précise-t-il. «Beaucoup de services publics peuvent être donnés par le privé et ce n'est pas nécessairement contradictoire. Mais à ce moment-là, la gouverne du système demeure publique, les objectifs sont fixés démocratiquement. Ce contre quoi j'en ai, c'est le développement d'un esprit mercantile dans le secteur de la santé. Je n'y crois pas. Alors je dis: voici où je trace la ligne.»
(Photo Armand Trottier, La Presse)


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