Le Québec est-il une colonie?

Dfa3ff13f8623282147c3ec3b27ca27a

Serment d'allégeance à la Couronne britannique : Pourquoi le PQ ne l'a pas aboli ?


Rien ne paraît plus odieusement rétrograde que de constater, élection après élection, que nos représentants affirment qu’ils se soumettront à la monarchie. 


« Je, nom du député, jure que je serai fidèle et porterai vraie allégeance à Sa Majesté la Reine Élisabeth II ». 


Existe-t-il des mots plus déshonorants à prononcer quand on aspire à représenter honorablement nos concitoyens? 


Quelle belle façon de nous rappeler, au sein de notre belle province qui affiche sa prétention à se souvenir sur ses plaques de voiture, que nous sommes de loyaux sujets de la monarchie, système anachronique et passéiste nous condamnant à un horizon de petitesse. 


Nos députés prêtent serment à Élisabeth II en tant que Reine du Canada, mais celle-ci est également Reine d’Angleterre et Supreme Governor of the Church of England, une fonction éminemment laïque, comme son nom l’indique... 


Québec Solidaire, à travers son député Sol Zanetti, propose une manière d’évacuer l’obligation de se soumettre à cette comédie. Se basant notamment sur les dires des constitutionnalistes Alexandre Cloutier et Patrick Taillon, QS estime que le serment relève de la constitution interne du Québec, et qu’il serait possible d’en faire unilatéralement la modification. Certains exemples, au sein de l’empire britannique, appuient cette idée. On n’a qu’à penser à l’Irlande du Nord, où on ne prête pas serment à la Reine. Terre-Neuve a aussi déjà modifié le serment prêté.  


Le projet de loi déposé par Sol Zanetti cherche à modifier la Loi sur l’Assemblée nationale pour que seule la prestation de serment au peuple du Québec, qui existe d’ores et déjà, soit la condition sine qua non pour qu’un député puisse siéger. Ce véritable rituel de soumission idéologique qu’est le serment à la Reine ne serait plus obligatoire. Le projet de loi modifierait aussi la Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec , plus connue sous le nom de loi 99, pour affirmer que le serment d’allégeance relève des compétences exclusives de l’Assemblée nationale. 


Une bonne idée! Or, pour que le projet de loi déposé aujourd’hui par le député de Jean-Lesage puisse être débattu et mis aux voix, il faut que le gouvernement appelle le projet de loi. Sinon, il mourra au feuilleton.  


Que fera la CAQ? 


Que fera le gouvernement Legault? On ne sait trop où mèneront les aspirations nationalistes de la Coalition Avenir Québec, mais il faut avouer d’emblée que nous avons affaire à un gouvernement qui ose formuler des demandes, tranchant en cela radicalement avec le risible aplaventrisme des quinze années libérales.  


Il reste à voir comment la CAQ gérera l’humiliant dossier de la monarchie. En novembre 2016, la Coalition Avenir Québec dénonçait le poste de lieutenant-gouverneur comme étant « archaïque », et prétendait vouloir s’en débarrasser une fois au pouvoir.  


Une position soutenant qu’un gouvernement caquiste aller prôner « l’abolition de la fonction de lieutenant-gouverneur » avait été adoptée lors du conseil général du parti. L’idée était de cesser de suggérer des noms de remplaçants lorsque le mandat de l’actuel détenteur du titre viendra à expiration (ce qui est prévu pour 2020). Le poste resterait vacant jusqu’à la tenue d’une éventuelle ronde constitutionnelle, un gouvernement Legault travaillerait à son abolition définitive. 


Il est vrai que cette fonction (qui coûte près d’un million de dollars par année au contribuable) est particulièrement irritante. C’est devant ce représentant du pouvoir royal que les députés prononcent le texte du serment que QS veut aujourd’hui abolir. C’est aussi à sa porte que le premier ministre doit cogner s’il souhaite déclencher des élections, ayant à lui demander la permission. Toutes les lois, démocratiquement adoptées au parlement, doivent être sanctionnées par lui.  


Chouette, n’est-ce pas, de vivre dans une démocratie nécessitant l’approbation monarchique? Qui a dit que le Québec n'était plus une colonie? 


Le colonialisme de gentlemen 


Dans un livre marquant de 1966, ayant posé les jalons de nombreuses luttes politiques au Québec au cours de cette décennie, André D’Allemagne, chef du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), expliquait que le « Le libéralisme apparent du régime, l’absence d’identité et la faiblesse du colonisateur, l’égalité des cultures en cause, l’absence de conflit racial » faisaient du colonialisme au Québec un « colonialisme de gentlemen ». 


Le serment à la Reine illustre à merveille cet état de fait, alors que les soumis ne portent pas les vêtements du travailleur d’usine, mais le complet trois-pièces et la cravate. 


Le projet de loi de Sol Zanetti nous permet de faire le point sur la situation objective du Québec, celle d’une province au sein du Dominion of Canada. Le terme Dominion vient du latin dominus, signifiant « maître ». Le terme a été employé par les Britanniques pendant des siècles pour désigner leurs colonies, et plus particulièrement pour rappeler qu’ils en sont toujours les maîtres.  


Gratifiant, pas vrai? 


La proposition de QS est un pas dans la bonne direction, et constitue une solution intéressante. Mais attention à ne pas s’en tenir uniquement aux symboles. Je connais personnellement une solution durable pour que le Québec rompe avec le pouvoir monarchique : sortir du Dominion of Canada


*** 


Simon-Pierre Savard-Tremblay, socio-économiste (Ph.D.)         


Pour me contacter : simonpierre.savardtremblay@ehess.fr   




Featured 8cd5019c993a24a5180787bcecdeee68

Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

  • 56 557

Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).