Scandale des commandites

Le parti pris d’un éditorialiste

Un syllogisme d'André Pratte?

Chronique de Louis Lapointe

Il y a plusieurs façons de lire un jugement, celle des profanes, celle des spécialistes.

Ainsi, le jugement de la Cour d’appel fédérale qui vient de confirmer la décision rendue en Cour fédérale par le juge Teitelbaum annulant la conclusion du commissaire John Gomery selon laquelle Jean Chrétien devait assumer les responsabilités politiques de la gestion du programme des commandites, pourrait être présenté au public comme un jugement innocentant Jean Chrétien relativement à l’affaire des commandites.

Il pourrait aussi être simplement vu comme un jugement rejetant les conclusions d’un juge qui a agi avec partialité.

Enfin, il pourrait être perçu comme un jugement qui, s'il se limite à annuler les conclusions d’un juge partial, ne conclut aucunement à l’innocence de Jean Chrétien dans l’affaire des commandites, puisque cela n'est pas de la juridiction de la Cour d'appel fédérale.

Une commission d'enquête n’étant pas un tribunal, elle ne peut conclure ni à la culpabilité, ni à l’innocence d’un important témoin. La cour qui invalide une de ses conclusions non plus.

Or, dans la [ Presse de ce matin, André Pratte->31991], le frère de Me Guy Pratte, procureur de feu Jean Pelletier devant la Cour fédérale, grâce à un habile sophisme, réussit à confondre ses lecteurs au sujet de la portée réelle du jugement rendu cette semaine par la Cour d’appel fédérale.

«Malgré ce dénouement, une bonne partie de l'opinion publique continuera de penser que les élus, notamment M. Chrétien, sont à l'origine des dérapages survenus dans la gestion du programme des commandites. En droit, toutefois, il n'en est rien. Les conclusions du rapport Gomery relatives à l'ancien premier ministre et à Jean Pelletier sont effacées.

M. Chrétien conserve, à titre de chef du gouvernement de l'époque, une responsabilité politique générale, qu'il a toujours reconnue. Pour le reste, le fardeau du scandale repose sur les épaules de ceux qui ont grossièrement abusé du programme des commandites, à l'insu du premier ministre.» *André Pratte.

Si ce jugement rejette les conclusions du juge Gomery, c'est parce que ce dernier a été manifestement partial, qu’il n’a pas respecté les règles de l’art en transformant sa commission d’enquête en un spectacle public, pas parce que Jean Chrétien n’aurait aucune responsabilité relativement au scandale des commandites comme le soutient André Pratte. Si cette dernière conclusion est effacée, c’est en raison du comportement du juge John Gomery, pas de la preuve qui lui a été présentée.

Si je suis personnellement d’accord avec le jugement du juge Teitelbaum concernant Jean Chrétien et Jean Pelletier, je ne peux partager l’interprétation qu’en fait le frère de l’avocat de Jean Pelletier. Il faudra attendre la fin de l'enquête de la GRC avant de disculper totalement Jean Chrétien de toute éventuelle participation dans le scandale des commandites.

Bien sûr, jusqu'à preuve du contraire Jean Chrétien est innocent, mais ce n’est pas là le propos de la Cour d’appel fédérale dont le jugement ne fait qu’annuler les conclusions du juge Gomery concernant la responsabilité de l’ancien premier ministre.

Comme nous l’avons vu dans l’affaire Airbus, malgré le fait que la GRC ait mis fin à son enquête en avril 2003 et que le gouvernement du Canada ait indemnisé Brian Mulroney relativement à cette affaire, sept ans plus tard, la commission Oliphant a tout de même conclu qu’un autre client de Me Guy Pratte, l’ancien premier ministre Brian Mulroney, avait manqué à son code d’éthique de député en acceptant de l’argent de Karlheinz Schreiber alors qu’il était toujours en fonction.

Les conclusions du rapport Gomery concernant Jean Chrétien sont peut-être effacées, mais cela ne le disculpe en rien de toute éventuelle participation au scandale des commandites. Que je sache, la GRC n’a toujours pas terminé son enquête.

Il est pour le moins inusité qu’un journaliste d’expérience comme André Pratte s’aventure à prétendre, «qu’en droit», Jean Chrétien et Jean Pelletier n’auraient aucune responsabilité relativement à l’affaire des commandites, que ce scandale reposerait uniquement sur d’autres épaules que les leurs, sur celles de personnes qui auraient grossièrement abusé du programme des commandites. Comment peut-il inférer cela du jugement de la Cour fédérale d’appel? Un syllogisme ?

Comment ne pas conclure qu’André Pratte, comme le juge Gomery, agit avec «parti pris» en induisant en erreur le public au sujet d’une affaire dont l'un des principaux protagonistes est l'un de ses proches, son frère, l’avocat Guy Pratte, l'ancien procureur de feu Jean Pelletier?

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    28 octobre 2010

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