Le nationalisme québécois

Lettre à Michael Chong

Chronique de Bernard Desgagné

En sortant de la période des questions à la Chambre des communes, le 27 novembre 2006, Michael Chong avait tenu un point de presse pour annoncer qu’il préférait démissionner de son poste de ministre au sein du Cabinet Harper plutôt que de voter pour la reconnaissance de la nation québécoise. La fameuse motion allait être adoptée le jour même. Michael Chong avait alors déclaré ceci : « Je crois en notre grand pays, qui s’appelle le Canada et qui est fondé sur la citoyenneté et non pas sur le nationalisme ethnique. »
À l’occasion du premier anniversaire de l’adoption par la Chambre des communes de la motion reconnaissant l’existence de la nation québécoise, voici la lettre que j’écrivais à Michael Chong le 1er décembre 2006 et qui n’avait pas été publiée jusqu’à maintenant.
Malheureusement, Michael Chong n’a jamais répondu à cette lettre.
***
Vous avez démissionné du gouvernement Harper parce que vous ne vouliez pas appuyer la motion reconnaissant l’existence de la nation québécoise. Sans vouloir vous faire regretter votre décision, je crois que vous avez eu tort parce que cette motion ne change absolument rien au Canada. Elle est en fait un hommage au statu quo. Certains disent qu’en droit international, une telle reconnaissance pourrait faciliter l’accession éventuelle du Québec à la souveraineté, mais concrètement, dans le contexte du fédéralisme canadien, rien ne change. Quoi qu’il en soit, vous semblez avoir de belles qualités, alors l’occasion vous sera probablement donnée plus tard de vous faire valoir encore une fois comme ministre ou dans d’autres fonctions.
Si je vous écris, ce n’est pas pour vous parler de la motion qui a provoqué votre démission, mais plutôt du nationalisme ethnique que vous dites craindre de la part des Québécois. En tant qu’indépendantiste québécois convaincu, je vous soumets en toute amitié et en toute sincérité mes réflexions à cet égard. Quel que soit le destin politique du Canada et du Québec, l’avenir des êtres humains sera collectif. Vous et moi partageons sans doute beaucoup de valeurs, que nous avons en grande partie héritées du judéo-christianisme et de la tradition démocratique occidentale, mais quand il est question de pays, de nation, de peuple, d’ethnie et de langue, c’est comme si nous venions de deux planètes différentes. Je fais donc un effort pour que nous nous rapprochions un peu sur ce plan.
Le métissage occidental
Pratiquement toutes les sociétés sont aujourd’hui pluriethniques. Le monde entier s’est métissé. Et ce métissage ne date pas d’hier. Les Canadiens et les Américains croient parfois qu’ils habitent les seules véritables terres d’accueil au monde. Pourtant, bien avant que la population de l’Amérique ne commence à se diversifier, l’Europe était déjà un véritable arc-en-ciel.
Prenez mes ancêtres, par exemple, dont certains sont venus de Normandie, une terre conquise, envahie, libérée et assimilée au fil des siècles plusieurs fois plutôt qu’une. Est-ce que je descends des Gaulois, des Romains, des Normands ou des Francs? Est-ce que je descends de mon arrière-grand-mère écossaise? Qui sait, William Wallace compte peut-être parmi mes aïeux. J’en serais bien fier! Les ancêtres des Québécois sont d’origines très diverses, et la société québécoise grossissant aujourd’hui surtout grâce à l’immigration, il se rajoute chaque jour au Québec des nouveaux venus aux origines tout aussi diverses.
Prenez aussi la France, où le français n’est devenu la langue commune sur tout le territoire qu’au début du XXe siècle et où les langues régionales étaient encore parlées à cette époque. Quand vous comparez l’équipe de soccer de France à celle du Canada ou des États-Unis, laquelle vous parait la plus métissée? Il me semble qu’il y a beaucoup plus de Noirs — et de tous les tons — dans l’équipe de France. Le pluralisme racial et ethnique n’est pas du tout l’apanage de l’Amérique ou du Canada.
Le mythe du nationalisme ethnique
L’homogénéité ethnique n’est qu’un mythe, autant en France et au Québec qu’en Angleterre, au Canada et aux États-Unis. Les pays occidentaux sont tous devenus des creusets où s’associent des gens de diverses origines. Pourquoi donc le Canada s’imagine-t-il que le Québec peut avoir un nationalisme ethnique, alors que les autres provinces ne seraient pas caractérisées par un tel nationalisme?
Est-ce parce que le Québec a une seule langue officielle alors que le Canada en a deux? Alors, en toute logique, il faudrait dire que le nationalisme des Anglais et des Américains est ethnique lui aussi, puisqu’ils ont seulement l’anglais comme langue commune. De plus, vous devez admettre que, dans la plus grande partie du Canada, la seule langue vraiment officielle est l’anglais. Comme vous le savez bien, il est impossible de vivre à Toronto, Winnipeg, Saskatoon, Calgary ou Vancouver sans connaitre l’anglais. Le Canada pratique-t-il un nationalisme ethnique parce que les immigrés doivent apprendre l’anglais pour bien s’intégrer à la société canadienne? Bien sûr que non. Et de toute manière, on ne peut imaginer une société fonctionnant sans une langue commune, qui est un facteur d’inclusion, et non d’exclusion.
Le nationalisme ethnique que perçoivent les Canadiens chez les Québécois viendrait-il plutôt de l’existence d’une apparente ethnie québécoise qui se serait façonnée depuis le début du XVIIe siècle, tout en se métissant et en s’enrichissant des apports de l’immigration? C’est possible, mais puisqu’il y a eu métissage et que ce métissage se poursuit encore aujourd’hui à un rythme accéléré, il est difficile de parler d’une ethnie véritable. Les couleurs des rues de Montréal en témoignent.
Il faut relire Hubert Aquin. En 1962, ce grand auteur condamnait déjà la notion d’ethnie à la désuétude. Dans «La fatigue culturelle du Canada français», Hubert Aquin préférait parler de «groupe culturel-linguistique homogène par la langue». Aujourd’hui, en 2006, on peut dire que les Québécois ne forment pas une ethnie, mais une nation.
L’appartenance à la nation
Les Québécois partagent à divers degrés une langue, une culture et une histoire. Ils ont des institutions politiques communes et vivent à l’intérieur d’un territoire bien défini. Voilà les caractéristiques indubitables d’une nation. Tous les Québécois n’ont pas des ancêtres arrivés au début de la colonisation européenne du Québec, mais comme l’histoire s’écrit chaque jour, tous finissent par en avoir vécu une tranche et par avoir conscience de l’histoire antérieure, qu’on leur enseigne notamment à l’école.
Ainsi, l’école québécoise enseigne à mes enfants comment les Innus, les Cris, les Algonquiens et les Iroquoiens vivaient au Québec avant l’arrivée de nos ancêtres européens. Nous développons de cette manière un sentiment d’appartenance envers ceux qui nous ont précédés sur le territoire et qui ont aidé les Européens à s’y installer. Certains descendants de ces premiers occupants considèrent qu’ils forment encore de petites nations à part, mais nombre d’entre eux se sont fondus à la nation québécoise, qu’ils ont enrichie de leur culture.
Et qu’en est-il des nouveaux arrivants? Ils se disent souvent bien intégrés au Québec, mais ils hésitent à se réclamer de la nation québécoise. Or, c’est la conscience qui détermine l’appartenance et non le parcours de la personne ou de ses ancêtres. Même les Québécois de souche les plus fiers de leurs racines ancestrales en terre québécoise n’étaient pas présents en 1534, en 1608, en 1760 ou en 1837. Ce sont leurs ancêtres qui y étaient. Si les Québécois actuels ont une histoire en commun, c’est qu’ils l’ont apprise, et non vécue.
À part la conscience de l’identité collective et de ce qui s’y rattache (langue, histoire, culture, institutions, territoire), comment pourrait-on définir l’appartenance à la nation? Par la durée de présence sur le territoire? Il faudrait alors baliser la nation. Seraient québécois ceux dont les ancêtres se seraient établis au Québec avant 1763, à condition que ces ancêtres soient venus de France? Et ceux qui, comme moi, auraient des ancêtres venus plus tard d’Écosse, d’Italie ou d’Irlande en seraient-ils exclus? Une pareille définition renvoie en fin de compte à l’ethnie. Ce n’est pas ainsi que la nation québécoise s’est construite, puisqu’elle s’est enrichie de gens aux origines diverses.
L’appartenance à la nation est une affaire de cœur et de conscience, et non une affaire d’hérédité. Le Yougoslave ou le Rwandais qui a quitté son pays en plein déchirement à la fin du XXe siècle pour trouver au Québec une terre d’accueil et qui a choisi d’y parler français, qui y a eu des enfants qu’il envoie à l’école québécoise, qui participe à la vie du Québec et qui, ce faisant, a pris conscience de sa culture, de son histoire et de ses institutions, peut très bien appartenir à la nation québécoise. Le choix lui revient. Au-delà du nationalisme inclusif se trouve le nationalisme librement consenti.
La nation québécoise : une créature du pouvoir britannique
La nation québécoise doit son existence au pouvoir britannique. Les nostalgiques de la nation canadienne-française aimeraient que celle-ci existe toujours au-delà des frontières du Québec, mais le pouvoir britannique, auquel a succédé le pouvoir fédéral, en a décidé autrement. Même après avoir uni le Québec, ou le Bas-Canada, à d’autres territoires, en 1840 et en 1867, les Britanniques lui ont conservé des frontières bien nettes et des institutions politiques distinctes. Ils ont employé une stratégie différente d’assimilation des Canadiens français au Québec, par rapport au reste du Canada, en raison du poids du nombre. Or, la stratégie d’assimilation employée au Québec n’a pas fonctionné et a donné tout le contraire.
En revanche, dans le reste du Canada, les Britanniques et leurs héritiers d’Ottawa ont réussi en général par la force à faire des Canadiens français de loyaux sujets. Ils ont réservé un sort peu enviable aux Canadiens français qui sont sortis des frontières du Québec et qui en ont quitté les institutions pour vivre ailleurs au Canada. Ils leur ont fait subir un régime implacable d’assimilation leur interdisant pendant longtemps l’usage de leur langue et leur imposant des institutions provinciales réfractaires à leur identité. En raison de leur faible nombre, les Canadiens français ont dû courber l’échine hors du Québec pour survivre.
Au fil des décennies et même des siècles, malgré un combat héroïque pour conserver la langue française, les Canadiens français établis dans les autres provinces (comme ceux qui se sont expatriés en Nouvelle-Angleterre) se sont différenciés considérablement des Québécois. Leur culture, leur histoire, leurs institutions et leur territoire ne sont plus les mêmes que ceux des Québécois. Les liens encore relativement forts au XIXe siècle sont devenus très ténus malgré l’existence d’institutions fédérales communes. Quant aux Acadiens, ils forment depuis plusieurs siècles une nation distincte de la nation québécoise en raison de son histoire, de sa langue et de sa culture particulières. Les francophones des autres provinces et les Acadiens sont les cousins des Québécois par la langue, mais ils sont maintenant pratiquement aussi différents des Québécois que ceux-ci le sont des Français. De profondes divergences de vues se manifestent notamment sur le plan politique entre Québécois et francophones du reste du Canada. Voilà comment les Britanniques ont scindé la nation canadienne-française et créé la nation québécoise.
Toutefois, il faut préciser que, même si la nation québécoise doit son existence au pouvoir britannique, cette existence n’est pas tributaire du fédéralisme canadien. Ce n’est pas parce que le pouvoir britannique et ses héritiers d’Ottawa ont engendré une nation malgré eux que ces derniers auraient, au XXIe siècle, le droit de vie ou de mort sur la nation québécoise et qu’ils pourraient se permettre, par exemple, d’en charcuter le territoire sans devoir subir l’opprobre sur la scène internationale. Le Canada ne peut pas se présenter en gardien de la paix, de la justice et de la démocratie à l’étranger et agir chez lui en despote.
Le plurinationalisme et l’intolérable asservissement de la nation
On ne devrait pas opposer nationalisme ethnique et nationalisme civique au Québec parce que, comme je l’ai dit, l’ethnie québécoise n’existe pas davantage que l’ethnie canadienne-anglaise. L’Occident est aujourd’hui composé en majeure partie de nations fortement métissées, dans lesquelles les ethnies se sont largement dissoutes.
Chaque personne vivant au sein d’une société peut éprouver un sentiment d’appartenance plus ou moins fort pour une ou plusieurs nations et, en vertu des principes fondamentaux des démocraties occidentales qui protègent ses droits et ses libertés, la personne est tout à fait libre de choisir les nations auxquelles elle veut adhérer. Donc, une personne peut être ambivalente et se sentir habitée par deux identités nationales, comme l’identité québécoise et l’identité canadienne-anglaise. Jean Charest et Pierre Elliott Trudeau sont certainement deux beaux exemples d’une ambivalence linguistique et nationale qui explique du reste en partie leur parcours politique.
Le problème fondamental du Canada ne réside pas dans l’existence de plusieurs nations auxquelles ses citoyens sont libres d’adhérer à divers degrés. Le problème est que le Canada est bâti sur une conquête et sur la domination de plusieurs nations, y compris la nation québécoise, par la nation canadienne-anglaise. Le mot oppression est peut-être trop fort pour désigner ce que subit la nation québécoise, mais le mot domination convient parfaitement à la situation. Pour les membres d’une nation qui a conscience d’exister, qui sait qu’elle a les moyens de se gouverner et qui a choisi de s’épanouir, cette domination et cet état d’asservissement sont intolérables.
La concurrence du nationalisme canadien et l’auto-exclusion
Mais, je devine que ce qui vous préoccupe encore davantage que l’idée de nationalisme ethnique elle-même, c’est le danger d’exclusion et de discrimination qu’elle sous-tend. Voyons si le Québec risque de sombrer dans les excès nationalistes, comme le lui reprochent régulièrement à mots plus ou moins couverts certains intellectuels du Canada anglais, que les comparaisons avec les pires horreurs de l’histoire ne semblent pas effrayer.
Le nationalisme québécois ne peut pas être qualifié d’ethnique parce que les Québécois ne forment pas une ethnie, comme nous l’avons déjà vu. Mais, les Québécois sont-ils quand même hostiles au pluralisme? Refusent-ils d’accueillir les nouveaux arrivants?
Je vous dirais qu’une partie importante de la population du Québec est en effet mal intégrée à la société québécoise parce qu’elle choisit elle-même de garder ses distances par rapport à la nation québécoise. La nation québécoise n’exclut personne. Au contraire, on peut y adhérer sans trop de difficulté en apprenant la langue française et en participant à la culture et aux institutions politiques du Québec. Mais certains habitants du Québec s’en excluent eux-mêmes.
C’est en choisissant plutôt l’identité canadienne et la langue anglaise que nombre d’habitants du territoire québécois s’isolent de la nation québécoise. Ils en ont le droit le plus strict, et la Charte québécoise des droits et libertés protège ce droit. Toutefois, on ne peut pas reprocher aux Québécois de ne pas accueillir à bras ouverts les gens qui souhaitent apprendre leur langue et se mêler à eux, tout en conservant des particularités. C’est plutôt la concurrence de l’identité canadienne sur le territoire même du Québec et l’omniprésence de la langue anglaise qui sont responsables de ce clivage.
Les Québécois acceptent mal que plus de la moitié des immigrés qui s’établissent au Québec choisissent encore aujourd’hui de parler anglais plutôt que français, même après trente ans d’efforts pour que la langue de la majorité devienne effectivement la langue commune sur le territoire du Québec. Comment réagiraient les gens de Toronto si les immigrés s’établissant dans cette ville choisissaient de parler français plutôt qu’anglais? Comment réagiraient-ils si la plupart des enfants d’immigrés, après avoir appris l’anglais à l’école, choisissaient de faire leurs études dans des universités françaises torontoises subventionnées avec les deniers publics?
Aucune charte de la langue anglaise n’existe en Ontario, mais le poids démographique énorme de l’Amérique anglophone crée une obligation encore plus grande d’apprendre l’anglais, même si elle n’est pas inscrite dans une loi. [Le Canada anglais le sait très bien et fait preuve d’une grande hypocrisie lorsqu’il reproche au Québec ses interventions juridiques dans le domaine linguistique->aut665] pour tâcher de mieux intégrer les nouveaux arrivants.
La question autochtone et le nationalisme ethnique entretenu par Ottawa
Les Québécois sont d’une grande tolérance. Il y a peut-être du racisme et d’autres formes de discrimination au Québec, mais certainement pas plus qu’ailleurs et probablement même moins que dans la plupart des régions du Canada. Cette tolérance se manifeste particulièrement à deux égards: dans le taux de bilinguisme quatre fois plus élevé parmi les francophones du Québec que parmi les anglophones du reste du Canada; dans les relations du Québec avec les autochtones. Parlons un peu de ces relations et comparons-les aux relations du Canada avec les autochtones.
On a constaté que, dans l’ensemble des provinces canadiennes, c’est au Québec que les autochtones conservent le plus leur langue ancestrale. C’est aussi au Québec que les autochtones ont le revenu par habitant le plus élevé, même si la pauvreté des autochtones y est à déplorer comme ailleurs au Canada. En signant la Paix des braves avec les autochtones, en 2002, le gouvernement indépendantiste du Parti québécois s’est montré beaucoup plus généreux envers eux que tous les autres gouvernements provinciaux du Canada. Cet accord découle en fait des 15 principes qu’avait énoncés René Lévesque dès 1983 et qui comprennent notamment la reconnaissance des droits suivants des autochtones:
• le droit à l’autonomie au sein du Québec;

• le droit à leur culture, leur langue, leurs traditions;

• le droit de posséder et de contrôler des terres;

• le droit de chasser, pêcher, piéger, récolter et participer à la gestion des ressources fauniques;

• le droit de participer au développement économique du Québec et d’en bénéficier.
Les relations des Québécois avec les autochtones ne sont certes pas toujours harmonieuses, mais il y a un fossé énorme entre, d’une part, la main tendue du Québec envers les autochtones, qui a donné lieu par exemple à la Paix des braves et à l’accord de la baie James avec les Cris, et, d’autre part, le paternalisme doublé d’insensibilité du pouvoir fédéral envers les autochtones. Ce paternalisme a entrainé la création des réserves indiennes et du concept d’Indien inscrit, qui résultent d’une vision ethnique de la société canadienne et qui existent encore au XXIe siècle.
S’il y a un cas patent de nationalisme ethnique, intolérant et exclusif au Canada, ce n’est certainement pas celui du Québec, mais bien celui qu’a créé la Loi sur les indiens, qui confine les Premières nations du Canada à des réserves où les droits ancestraux se transmettent par le sang. Si je voulais m’installer en territoire autochtone et y adopter la langue et les coutumes de ma nouvelle nation, pourrais-je bénéficier du même traitement que les autres autochtones? Non, car le droit canadien me le refuserait. Je ne pourrai jamais être un «Indien inscrit».
Après avoir été décimées, dépossédées et opprimées pendant des siècles, les nations autochtones ont été obligées de s’autoreproduire. Tout métissage et tout apport externe leur sont interdits. Cette situation perdure et constitue par le fait même un véritable scandale dont le Canada doit avoir honte et dont le Québec n’est aucunement responsable. La nation québécoise ne pratique pas le nationalisme ethnique et exclusif, mais la nation canadienne-anglaise ne peut pas en dire autant.
Chacun son pays
En conclusion, je pense que vous avez tort de craindre un prétendu nationalisme ethnique québécois et surtout d’entretenir cette crainte parmi vos compatriotes en faisant des déclarations comme celle que vous avez faite lorsque vous avez démissionné comme ministre. Les Québécois veulent simplement se gouverner en tant que nation. Ils ont encore de la difficulté à couper le cordon ombilical avec le Canada, mais le Canada qu’ils ont construit est essentiellement au Québec. S’ils choisissent l’indépendance, ils vont emporter avec eux cette partie de la fédération qui leur appartient pour bâtir leur pays à eux. Bien que je comprenne les réticences à l’égard du projet souverainiste et même l’attachement irrationnel pour le Canada de certains Québécois, je m’efforce chaque jour de les aider à cheminer vers l’affranchissement.
Les aspirations des Québécois sont les mêmes que celles des autres nations de la terre. Le temps du colonialisme, de l’impérialisme, de l’asservissement et de la domination devrait être aujourd’hui révolu, compte tenu des valeurs dominantes en Occident. Le Québec n’a jamais choisi librement de faire partie du Canada et il s’y trouve dominé par une autre nation, de langue anglaise. La nation québécoise n’est pas associée d’égal à égal avec la nation canadienne-anglaise. Certains déplorent que l’on veuille séparer le Québec du Canada pour recréer en plus petit le même genre de pays que le Canada, fondé sur des valeurs démocratiques à peu près semblables. Mais, à partir du moment où les nations ont conscience de leur identité collective et elles ont foi en leurs moyens, elles veulent généralement se déterminer elles-mêmes. Elles ont plus de chances de s’épanouir librement dans leur propre pays, avec leur propre État, que dans un autre pays plus grand où elles sont minoritaires et dominées.
J’ai le sentiment qu’une nette majorité de Québécois veut aujourd’hui son propre pays. Au fond de lui-même, le Québec cherche la même autonomie que le Canada ne voudrait jamais abandonner pour devenir, par exemple, une partie des États-Unis. Vous êtes sans doute profondément attaché à votre pays, le Canada. Les États-Unis ne sont pas votre pays et vous ne voudriez pas que votre pays soit avalé par les États-Unis, même si vous deviez trouver dans une telle fusion un pays beaucoup plus grand et plus puissant, ayant la même langue et à peu près la même culture. Pour comprendre le nationalisme québécois, pensez au désir des Canadiens de vivre dans leur pays à eux, même s’ils aiment bien les États-Uniens. Laissez-moi vivre dans mon pays à moi et restons bons amis.


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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    29 novembre 2007

    Bonjour monsieur Desgagnés,
    Vous avez bien dit que qu'un an plus tard vous n'avez toujours pas reçu de réponse de la part de monsieur Michael Chong. Il semble bien alors que monsieur Chong n'a pas saisi la profondeur de vos propos : "la meilleure définition de la nation québécoise, situant le problème dans une perspective holistique susceptible d’être comprise par tous. Une référence, qui devrait être propagée partout au Québec." (comme le dit si bien ci-dessus monsieur Poulin).
    Quel dommage que le contexte vous ait amené à acheminer un tel document à quelqu'un qui, vraisemblablement, ne le méritait pas et qu'ainsi il n'ait pas reçu jusqu'ici une plus grande diffusion.
    Peut-être faudrait-il le retoucher pour en faire une lettre adressée aux québécoises et québécois et à celles et ceux qui pourraient être tenté(e)s de le devenir ou de se proclamer tel.

  • Archives de Vigile Répondre

    27 novembre 2007

    Monsieur Desgagné,
    Merci pour cette belle définition du nationalisme québécois. J'aimerais que plus d'expatriés vous lisent sur Vigile, et s'y manifestent par leurs commentaires.
    Votre chronique a fait ressortir - m'a rappelé - une chose: on peut ne pas habiter
    au Québec, il n'en reste pas moins que le Québec ne vous quitte jamais, on le porte en soi.
    Claude Jodoin, Ingénieur,
    Boca Raton, Amérique Française

  • Archives de Vigile Répondre

    26 novembre 2007

    Monsieur Desgagné,
    Je ne vous connais pas, mais vous savez toucher la "fibre".
    Ne vous arrive-t-il pas d'être tenté par la chose politique?
    Un chroniqueur de Vigile qui envie votre verve.

  • Pierrette St-Onge Répondre

    26 novembre 2007

    Mille fois merci M. Desgagné, vous me faites du bien à l'âme. J'ai lu vos trois chroniques et elles viennent me chercher au plus profond de mon être.
    Fleur de Lys

  • Raymond Poulin Répondre

    26 novembre 2007

    Voilà, en quelques paragraphes et un vocabulaire simple et juste, la meilleure définition de la nation québécoise de même qu'un argumentaire indépendantiste qui, sans s'enferrer dans une démonstration technique, situe le problème dans une perspective "holistique" susceptible d'être comprise par tous. C'est une référence, qui devrait être propagée partout au Québec, car elle vaut mille discours. Merci, monsieur Desgagné.