Au Québec, pour les bien-pensants, c’est le choc. Avec ce que l’Union Européenne (UE) suggère au Monténégro (Crna Gora, Црна Гора), avec ce que le Monténégro s’impose lui-même, l’on se rend compte que le fameux « 50 % + 1 » n’est pas une règle « internationale » comme on l’a souvent dit au Québec. Récemment, la Nouvelle-Zélande exigeait 67 % au référendum sur la souveraineté des Îles Tokelau. Ils n’ont finalement eu que 61 % de « Oui ». Il est tout de même aberrant de voir que les stratèges souverainistes n’aient pas vu venir pareil morceau.
Dans l’Avis de la Commission de Venise sur l’organisation de référendums au Monténégro (2005/12/17), l’UE n’a pas cherché à faciliter la sécession. En fait, l’UE a cherché — de façon très claire — à bloquer ce processus jugé non avenu dans le cadre du démembrement de l’ex-Yougoslavie dont l’ensemble des États qui en sont aujourd’hui issus souffrent encore les plaies, vives.
Pourquoi fixer la barre si haut, sinon pour rendre l’objectif visé impossible? La Slovaquie, elle, née récemment sans référendum — reconnue dès sa naissance — a pu rejoindre l’UE sans problème. L’indépendance slovaque était, de toute évidence, souhaitée. Les Slovaques forment effectivement un peuple, voilà pourquoi.
Pourquoi le Monténégro ne jouit-il donc pas des mêmes privilèges? La question est simple et mérite d’être posée. D’abord, les Monténégrins sont de religion orthodoxe, comme les Serbes. De plus, ils parlent serbo-croate, comme les Serbes. Toutes leurs différences — leurs seules différences, en fait — ne tiennent qu’au fait de ce qu’une chaîne de montagnes les sépare et que l’accès à la Mer les distingue.
Il y a doute sur le fait de ce que le Monténégro constitue véritablement un peuple au sens propre du terme en matière de droit international. Or, comme ce sont seulement les peuples qui sont aptes à jouir du droit de disposer d’eux-mêmes, les conditions exigées par la Commission de Venise quant à ce référendum constituent ici une manière de déterminer s’il est « acceptable » pour l’UE que le Monténégro devienne un pays souverain, malgré le fait qu’il soit possible qu’il n’y ait pas de « peuple » dans l’équation. Plus important, reconnaître le statut d’État souverain à deux États qui ne comptent à eux deux qu’un seul peuple a de lourdes conséquences sur le plan diplomatique ainsi que sur le plan de la jurisprudence en droit international public. L’on peut alors aisément comprendre l’UE, notamment la France, de s’opposer poliment — mais fermement — à cette indépendance.
L’indépendance du Monténégro — amputant la Serbie de son seul accès direct à la Mer, donc au Monde — isolerait la Serbie d’une manière qui pourrait être perçue comme préjudiciable quant à ses intérêts économiques et stratégiques. Ceci est en contravention cinglante avec la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les états (ONU, 1970). Or, le viol de cette Déclaration est susceptible de jeter les bases de ce que les relations soient assurément tendues entre l’État éventuel et la communauté internationale, voire d’empêcher l’émergence même du nouvel État dans le réel. La stabilité de la région sera encore une fois menacée, faible, voire inexistante. En effet, les exactions perpétrées durant les années 1990, qui ont mené à au moins un génocide, ont fait fuir tous les peuples non serbes à l’extérieur de ce qui est resté de l’ancienne fédération yougoslave. Même certains Serbes, en désaccord avec Belgrade, sont encore aujourd’hui réfugiés. Au lendemain des guerres, le Monténégro, isolé par les montagnes, souhaitait se séparer de la Serbie. Il ne disposait même pas, à l’époque, d’un gouvernement digne de ce nom.
Par ailleurs, les minorités du Monténégro, catholique et musulmane (environ 20 % de la population) sont, pour leur part, presque unanimement en faveur de l’indépendance. Cet appui unanime, unanimité qui surprend au Québec, est de nature à motiver les prétentions partitionnistes de plusieurs minorités nationales à travers le monde, notamment celles de la minorité russophone des pays baltes ou même celles des anglophones du Québec. Il va sans dire qu’il s’agit là d’une menace directe au fondement même de l’État nation, donc, à la stabilité politique même de l’UE.
Alors l’UE, ménageant chèvre et choux, a forcé l’union de Belgrade et Podgorića — captiale du Monténégro. Belgrade, par intérêt géopolitique évident, était en faveur du maintient de l’union. Au contraire, le Monténégro la refusait. L’UE arbitra donc en faveur de la mise sur pied d’un gouvernement autonome et d’une constitution pour chacune des deux républiques fédérées. Cet arrangement était assorti de la possibilité, inscrite dans la nouvelle constitution de la République de Serbie et Monténégro (Srbija i Crna Gora, Србија и Црна Гора), de résilier l’union après trois (3) ans. Il s’agissait là de l’idée de laisser la chance à l’union de cimenter. Les Monténégrins n’avaient, à ce jour, aucune existence propre autre que leur existence psychogéographique. C’est la peur de Belgrade conjuguée à leur isolement géographique qui les avaient poussés à la menace sécessionniste.
En ce sens, la mort de Slobodan Milosevic, la semaine dernière, est un hasard — probablement désiré — qui s’inscrit dans le cadre des efforts de l’UE pour pacifier et stabiliser la région. Par cette mort qui tombe à pic et tout ce qu’elle soulève de passion, les Serbes et les Monténégrins auront devant eux l’occasion de travailler à une véritable réconciliation nationale. Voilà la véritable nature de l’importance qu’accorde l’UE à la question du Monténégro. De façon très évidente, l’UE a pris le pari de la stabilité régionale. Cela n’a strictement rien à voir avec une quelconque « règle internationale ».
Le Monténégro et le Québec
L’indépendance d’un pays n’a rien à voir avec les suffrages. Officiellement, le PQ n’en veut rien entendre. Il devrait pourtant tendre l’oreille, être attentif aux événements. L’indépendance d’un pays est liée aux rapports de forces qui dirigent les différents États. Pour réaliser l’indépendance d’un pays pour vrai, il faut d’abord établir l’« effectivité » de son gouvernement national dans les faits. Il s’agit là de l’indépendance de facto. L’indépendance est une chose politique. La souveraineté, elle, est la conséquence juridique de l’indépendance en fait. L’UE démontre, noir sur blanc, que l’indépendance en soi n’a rien à voir avec les suffrages ou avec la démocratie. Personne — personne — n’ira oser prétendre que 45,1 % puisse l’emporter sur 54,9 % en justifiant cela sur la base de la démocratie. La seule base valide à justifier une telle position est celle du rapport de force qu’entretiennent les puissances en cause. Il s’agit là des grands principes de la Doctrine de l’effectivité.
Peu de gens connaissent cette doctrine en droit international public. Pourtant, c’est sur cette base fondamentale que l’amicus curiae — représentant désigné par la Cour suprême du Canada pour représenter Québec lors des audiences sur le Renvoi sur la sécession du Québec — Me Jolicoeur, a défendu le droit du peuple du Québec à déterminer son avenir, à disposer de lui-même.
« Le principal argument de l’amicus curiæ concernant cette question est à l’effet que la théorie ‹ d’effectivité › en droit international transcende le droit canadien, et qu’elle viendrait donc permettre la sécession unilatérale du Québec. Le critère d’effectivité est défini comme ‹ le maintien d’un gouvernement effectif, dans un territoire défini, à l’exclusion de l’État métropolitain ›. » (2a et b)
Aussi, la procureure générale du Canada avertit la Cour suprême sur cette question :
« Le ‹ principe d’effectivité › […] servirait à justifier à l’avance des tentatives d’agir en dehors du cadre constitutionnel et de le remplacer par un nouveau régime juridique. » (3)
Il s’agit là, précisément, de ce que c’est que réaliser l’indépendance d’un pays, dans les faits. L’« effectivité » d’un gouvernement constitue son aptitude concrète à maîtriser directement l’ordre politique et juridique de l’État. L’établissement de l’« effectivité » du gouvernement national du Québec exigera, dans les faits, que celui-ci investisse tous les champs de compétences propres au statut de pays. Autrement dit, le gouvernement national devra investir, un à un, tous les champs de compétence fédérale. Une fois cela fait, l’effectivité du gouvernement national sera établie. Une fois établie, le Québec sera indépendant. Une fois indépendant, le Québec sera souverain. Pas avant. Le référendum n’y change rien. Un référendum ne change en rien le niveau d’« effectivité » du gouvernement. Le meilleur moyen d’établir l’« effectivité » est de faire adopter et de promulguer, d’abord et avant tout, une constitution provisoire — ou une loi fondamentale de nature constitutionnelle — par l’Assemblée nationale. Ensuite, il faut l’appliquer. Autrement, rien n’est possible. Même pas un référendum.
Si le Monténégro avait réellement souhaité son indépendance, il aurait nécessairement dû ignorer l’Avis de la Commission de Venise qui, en substance, nie le droit du Monténégro à disposer de lui-même. Il lui aurait donc fallu établir son droit à la souveraineté en se basant sur le fait qu’il existe en tant que peuple, si tant était qu’il ait la prétention d’en constituer véritablement un. Il est parfaitement normal que l’UE ne souhaite pas être obligée, plus tard, de travailler avec deux États pour un seul peuple.
Willie Gagnon, linguiste, communication, MES
Sasha-A. Gauthier, présidence, MES
(1) Pacte international relatif aux droits civils et politiques
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
(2a)
(2b)
(3)
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