Le Québec est-il prêt pour un changement du mode de scrutin? Après tant de projets morts au feuilleton, l'élection d'un gouvernement minoritaire rendra peut-être possible une réforme qui s'est toujours butée aux intérêts partisans tantôt du Parti libéral, tantôt du Parti québécois, selon que l'un ou l'autre était au pouvoir.
À toute chose, malheur est bon. L'élection du 26 mars aura fait la démonstration par l'absurde de la désuétude de l'actuel mode de scrutin uninominal à un tour. Censé assurer la stabilité politique en facilitant l'élection de gouvernements majoritaires, il aura eu tout faux cette fois. Des urnes est sorti un gouvernement largement minoritaire qui, au surplus, disposera d'une légitimité équivoque. Avec seulement 33 % des suffrages exprimés, le Parti libéral ne pourra gouverner avec autorité. Dans un contexte d'atomisation des partis politiques, ce mode de scrutin conçu pour le bipartisme ne peut être que dysfonctionnel. Si on ne le change, il ne pourra que continuer à engendrer la «dictature» d'une minorité de citoyens sur la majorité.
Les résultats des élections du 26 mars plaident avec force en faveur d'une réforme. Aucun des trois partis présents à l'Assemblée nationale ne peut nier la nécessité d'une correction, à moins d'être d'une totale mauvaise foi. Tous ont dans leurs programmes des articles promouvant des modifications importantes. Le dernier gouvernement péquiste a mené études et consultations sur diverses variantes de modes de scrutin, lesquelles ont été poursuivies par le gouvernement Charest. Celui-ci a dans ses cartons un avant-projet de loi que, devant les réticences du Parti québécois, il a confié à l'examen du Directeur général des élections.
Ce projet de loi est presque prêt pour adoption et il suffirait de le ramener devant l'Assemblée nationale pour relancer le débat. Le fait d'être minoritaire n'est surtout pas une raison pour que le gouvernement Charest se livre à la procrastination. Il peut compter sur l'appui de l'Action démocratique qui a pris des engagements fermes sur «l'introduction d'un mode de scrutin proportionnel et la tenue d'élections à date fixe». Il aura par ailleurs l'appui de la coalition citoyenne qui a lancé dimanche un appel en faveur d'une réforme. Ayant été plusieurs fois consultés sur le sujet, les Québécois sont pour une large part prêts à voter autrement.
Le seul empêcheur de danser en rond sera le Parti québécois, dont le chef a déjà repoussé à après l'indépendance du Québec toute réforme du mode de scrutin. Plusieurs dirigeants souverainistes estiment que le mode de scrutin actuel finira par favoriser leur retour au pouvoir pourvu que leur parti parvienne à fédérer tous les progressistes et souverainistes. Cela explique le discours culpabilisateur qu'ils tiennent ces jours-ci à l'endroit du Parti vert et de Québec solidaire qui leur ont fait perdre les cinq ou six circonscriptions qui auraient permis au PQ de rester l'opposition officielle et d'aspirer à un retour au pouvoir la prochaine fois.
On retrouve dans ce discours tout le cynisme «vieux parti» qui fait passer les intérêts partisans avant toute autre chose. Heureusement, il y a des militants péquistes qui voient les choses autrement. Ceux-là, comme Jean-Pierre Charbonneau, estiment que tous les mouvements politiques doivent être représentés à l'Assemblée nationale, ce que permettra une réforme du mode de scrutin. Celle-ci faite, il sera possible de nouer entre les divers partis de même tendance des alliances et de faire avancer des projets communs comme la souveraineté.
Le fruit est mûr. Malgré l'opposition de certains au Parti québécois, on peut croire qu'un large consensus existe. Il appartient au premier ministre Jean Charest de le constater et de ramener au feuilleton de l'Assemblée nationale dès la prochaine session l'avant-projet de loi préparé par son ministre Benoît Pelletier, de sorte que le prochain scrutin se tienne sous un nouveau régime électoral.
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bdescoteaux@ledevoir.ca
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