« La nation majoritaire qui n’a pu assimiler la nationalité minoritaire et qui a dû lui consentir des concessions (comme au moins un État provincial) est dérangée, importunée par cette annexe (cet appendice). »
Maurice Séguin, « Les Normes »
***
Il est assez amusant de constater qu’au désarroi des souverainistes doive s’ajouter de plus en plus clairement l’exaspération des fédéralistes; une exaspération longtemps ruminée que la dernière élection au Québec a permis de mettre au jour. Celle-ci a certainement atteint une limite puisqu’ils n’hésitent pas à exprimer le fond de leur pensée : les Québécois, en somme, ne veulent pas collaborer. Ils ne sont pas vraiment fédéralistes. Ou alors pas assez. D’ailleurs, leur attachement au Canada ne reste qu’hypothétique et tient plus du pragmatisme que d’un sentiment réellement partagé (1).
Certes, on pourrait penser que seule la position de l'ADQ soit ici mise en cause. S’il va sans dire que l’autonomisme (2) de Dumont passe à la moulinette (et que ceux qui ont encore une fois voté pour l’autonomie en prennent bonne note), il est permis de penser qu'il ne s'agit là que d'un prétexte, puisque la critique déborde, comme on peut le voir à la lecture des textes fournis en référence, celle du programme autonomiste de l'ADQ.
Car ce qui leur est véritablement insupportable, au fond, c'est le nationalisme québécois.
On pourrait avoir l’impression que la pensée fédéraliste canadienne montre ici sans pudeur ses dessous idéologiques. Les fédéralistes ont souvent reproché aux souverainistes de faire dans l’idéologie, tandis qu’eux se mouvaient - naturellement - dans la pensée rationnelle. Certes, avoir la Raison, la Vertu et la Tolérance à sa disposition a certainement aidé à prévenir la pensée fédéraliste de faire œuvre bassement idéologique. Mais l’agacement aura-t-il finalement eu raison de la raisonnable raison ? Se posant en victime innocente du nationalisme québécois, le fédéralisme canadien se dévoile-t-il donc enfin tel qu'en lui-même, nationalisme canadien n'osant se nommer ?
Comment comprendre autrement ces complaintes sur le manque d’attachement réel des Québécois au Canada (1c) ? Comment comprendre que Jean Charest lui-même puisse se faire reprocher de promettre de défendre les intérêts du Québec (1c) ? Que le PLQ puisse être perçu comme défendant une forme de « souverainisme » (1d) ? Comment comprendre ces Canadiens se plaignant de n’être considérés que comme « partenaires privilégiés » plutôt que comme des « concitoyens » (1b,f) ? Comment comprendre ce dépit à l’effet que les Québécois ont « oublié » qu’être membre d’une fédération, « c’est plus que de ne pas vouloir s’en séparer » (1e) ?
On pourrait multiplier ces exemples où certains fédéralistes dénoncent sur un ton inquiet et vaguement paranoïaque le manque d’ouverture et de collaboration des Québécois à l’égard du Canada. Inquiétudes d’autant plus comiques que le fait que le Québec n’ait toujours pas signé la constitution canadienne leur semble loin d’être un enjeu fondamental…
Que l’on comprenne donc bien : pour ces gens, il ne suffit plus aux Québécois de ne pas être souverainistes, il ne leur suffit même plus d’être fédéralistes, il faudrait qu’ils soient vraiment fédéralistes… Il leur faudrait être attachés au Canada, pas seulement de manière intéressée, non, de manière attachée plutôt… Il faudrait qu’ils fassent de l’appartenance du Québec à la fédération autre chose qu’un simple fait. Il faudrait qu’ils consentent un peu, parfois, à des compromis… Il leur faudrait dépasser la rancune. Et qu’ils admettent sans mauvaise foi que leurs programmes sociaux sont financés par l’Ontario et l’Alberta. Il faudrait qu’ils soient reconnaissants. En d’autres mots, il leur faudrait simplement cesser d’être Québécois ou alors l’être, oui, bien sûr, mais comme on est Ontariens. Pas de doute, cela serait certainement bien satisfaisant pour tout le monde (3).
Allez, encore un petit effort, Québécois… Un peu de bonne volonté…
Sylvain Maréchal
31 mars 2007
(1) Voir cet échantillon non exhaustif :
a) Don MacPherson, [« Canadian pride is out, pragmatic federalism is in »->2425],
The Gazette, 19 octobre 2006.
b) Jeffrey Simpson, [« Mario Dumont and his ’cake and eat it, too’ vision »->5487],
The Globe and Mail, 23 mars 2007.
c) Jeffrey Simpson, [« The disconnect between Quebec francophones and Canada »->5583],
The Globe and Mail, 27 mars 2007.
d) Jean Leclair, [« Du délire »->5692],
La Presse, 29 mars 2007.
e) André Pratte, [« L’ouverture au fédéralisme »->5742],
La Presse, 31 mars 2007.
f) Susan Riley, « Learning to live with Mario »,
The Ottawa Citizen, 28 mars, 2007
Voir également la revue de presse suivante :
g) Manon Cornellier , [« Hou ! Hou ! L’autonomie »->5735],
Le Devoir, 31 mars 2007.
(2) Il me semble significatif que l’autonomisme soit perçu par certains fédéralistes comme une forme de « souverainisme », alors que pour les souverainistes, il s’agit d’une forme de fédéralisme.
(3) Il suffit de lire les textes ci-dessus, par exemple. Ce qui frappe dans ces critiques, c’est qu’elles semblent reposer sur l’idée qu’il suffirait d’un simple effort de bonne volonté pour que tout fonctionne si bien. Comme si les conditions objectives à la source du problème n’existaient pas. Comme si l’histoire n’était qu’une abstraction, ou alors une réalité rendue caduque par le développement du fédéralisme. Ou bien, plus simplement, comme si le nationalisme québécois devait simplement s’effacer.
Le fédéralisme ou la mort !
Il est assez amusant de constater qu’au désarroi des souverainistes doive s’ajouter de plus en plus clairement l’exaspération des fédéralistes
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
2 avril 2007Je participe souvent au Forum de discussion du Globe and Mail. J'ais eu l'occasion à plusieurs reprise de leur reprocher leur nationalisme canadien; idéologie d'autant plus pernicieuse qu'elle n'est pas remise en cause par aucuns médias ou membres de l'intelligentsia du ROC. Je me suis rendu compte que le ROC ignore complètement qu’il vit sous la bulle d'un nationalisme dominateur qui prend les traits parfois assez hideux de l'ethno fasciste et du racisme. Je me propose parfois comme thérapeute constitutionnel. Je pense que depuis 1995, le Canada sait qu'il a perdu la partie c'est pourquoi il se réfugie dans le déni de démocratie (C20) et la menace partition (ethno fascisme). Je pense en tant que "thérapeute"que le Québec a transférer au ROC un poids d anxiété qui était le sien avant 1995 et que depuis le ROC a beaucoup de difficulté à gérer depuis.