Le faux débat sur le « nous » québécois – Les élites

Le problème semble moins dans l'identité que dans la force de cette identité et dans l’absence de maîtrise de tous les pouvoirs normaux d’une nation.

Tribune libre - 2007

Dans [un article du Voir, le 6 septembre dernier, l’analyste Josée Legault->8696] écrivait : « Mais si on parle ici du voile, timidement, en termes d’égalité hommes-femmes, sa présence croissante témoigne d’un problème qui transcende cette seule question et cette seule religion. Ce problème est POLITIQUE et ne concerne pas l’ « identité québécoise » en soi non plus. C’est un problème en Occident et ailleurs. »
Or, le problème semble moins dans l'identité que dans la force de cette identité et dans l’absence de maîtrise de tous les pouvoirs normaux d’une nation. On ne se poserait certainement pas de telles questions, et il n'y aurait pas de commission « Bouchard - Taylor » sur les « accommodements dits raisonnables », si le Québec disposait de toutes les prérogatives d’un pays normal et si les « élites » de la majorité québécoise de langue française de toutes origines jouaient pleinement leur rôle.
On s'attend à ce que les élites intellectuelles, industrielles, commerciales, politiques, etc. d'une nation développent des solidarités exemplaires aux yeux de la population en général, pour le bien de tous. On s'attend à ce que ces élites soient des modèles en toutes choses pour l'ensemble du peuple, un peuple solidaire étant un peuple sûr de lui.
On s'attend à ce que ces élites assurent le plein contrôle, et le développement ordonné des politiques et des ressources du territoire par les Québécois. On s'attend à ce qu'elles agissent pour assurer la création, le développement d'entreprises grandes et petites contrôlées par des Québécois au profit des Québécois en tout premier lieu.
On s'attend à ce qu'elles travaillent très prioritairement dans les intérêts du peuple québécois, à ce qu'elles se solidarisent contre la mainmise de puissances extérieures sur nos politiques, nos ressources et notre industrie.
On s'attend à ce que ces élites assurent un système d'éducation en langue française de première qualité, avec de généreuses ressources, qui forme une jeunesse instruite, cultivée, solidaire, travaillante et compétente en toutes choses, une jeunesse lucide et motivée qui occupe pleinement sa place ici et ailleurs dans le monde; une jeunesse optimiste qui se préoccupe de l'avenir en toutes choses, en particulier de la famille.
On s’attend à ce qu’elles fassent du français la véritable langue officielle du Québec, la langue normale de travail et de promotion, tout en encourageant la connaissance des langues étrangères pour les relations internationales.
On s'attend à ce que les dirigeants politiques assurent aux citoyens une distribution équitable du budget de l'État, un budget alimenté particulièrement par des redevances substantielles provenant de l'exploitation de nos ressources naturelles et des impôts perçus avec équité, en sanctionnant l'évasion fiscale.
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Or, on constate que ces élites sont faibles et divisées devant l'adversité.
On constate que leur allégeance est souvent ailleurs, dans un « pays voisin » qui nous contrôle par tous les moyens.
On constate leur manque d'initiative et leur propension à se soumettre aux élites de l'extérieur.
On constate leur indifférence devant le contrôle dans grands moyens d’information par des oligarchies.
On constate la facilité avec laquelle elles se laissent acheter, sous toutes sortes de prétextes, par les prébendes, subventions et autres avantages venant de l'extérieur.
On constate la facilité avec laquelle elles se mettent au service d'une minorité agissante qui s'exclut de la culture majoritaire du Québec, en lui accordant proportionnellement beaucoup plus de ressources qu'à la majorité de langue française : éducation, services de santé...
On constate la facilité avec laquelle ces élites laissent passer sous contrôle étranger les fleurons des entreprises québécoises, sans lever le petit doigt.
On constate leur indifférence générale devant notre situation coloniale en ce qui concerne la propriété et l’exploitation des ressources naturelles du Québec : on sait, par exemple, que les compagnies minières étrangères dominent complètement le paysage et qu’elles nous laissent moins de 1% de leur revenu sous forme de redevances sur le riche minerai (cuivre, nickel, or, platine, etc.) massivement exporté pour sa transformation ailleurs. Ils s’étonnent ensuite de notre « pauvreté » et utilisent cette « pauvreté » comme argument pour le maintien de notre servitude.
On constate que leur enrichissement et leur sécurité personnelle sont le plus souvent leur souci exclusif, et que les préoccupations nationales dans le meilleur sens du terme sont trop souvent loin des leurs.
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Il est pourtant clair devant ce constat que les nouveaux venus au Québec ont souvent un portrait peu édifiant de notre société. Ce qui explique en grande partie le fait que 47 ans après le début de la « Révolution tranquille », 31 ans après l'accession au pouvoir d'un gouvernement du Parti Québécois, 30 ans après la promulgation de la « Charte de la langue française », ces nouveaux citoyens ont toujours de la difficulté à s'identifier à la majorité de langue française qui forme plus de 90% de la population du Québec, et vont ainsi rejoindre massivement la minorité anglaise dans les cégeps et universités que nous entretenons généreusement.
Il est pourtant clair que si cette majorité ne projette pas une image de force réelle, de cohésion nationale et de cohérence dans l'action, sûre d’elle-même et accueillante, s’il n’y a pas de véritable citoyenneté québécoise en vertu d’une constitution québécoise, ces nouveaux citoyens vont continuer de se détourner massivement de la majorité de langue française pourtant encore à 90%. Cette majorité se prépare des lendemains qui grincent quand le déficit démographique et le vieillissement vont s'accélérer, par son incurie, et celle de ses élites tout particulièrement...
Il est pourtant clair qu'aucune « commission » créée par des politiciens craintifs et démissionnaires ne peut régler ce problème de fond.
La solution d'avenir ne passe-t-elle pas par une très sérieuse prise de conscience et un redressement rapide dans tout le Québec et dans tous les milieux ? Tant mieux si une « commission » peut assez brutalement provoquer ce redressement qui s'impose de toute évidence. On pourra alors espérer que les immigrants choisis se joindront avec joie à une majorité accueillante et sûre d’elle-même, qui s’appartient.
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Jean-Luc Dion, ing., D. Sc.
Trois-Rivières - Québec


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