La vraie nature du déséquilibre fiscal

on assimile partout le problème du déséquilibre fiscal à une insuffisance des transferts fédéraux aux provinces, alors qu'en réalité le déséquilibre fiscal tire sa source d'un partage fiscal déficient entre les paliers de gouvernements

Crise politique canadian



Dans son éditorial du 27 décembre 2005, M. André Pratte soulève le problème complexe et fondamental du déséquilibre fiscal, en soulignant combien il est difficile de définir un critère pour en juger l'étendue et comment il est impossible de le résoudre par une simple augmentation des transferts aux provinces.
Malheureusement, il règne présentement sur cette question un grave malentendu qui fausse le discours politique, confond l'analyse et empêche toute solution véritable. En effet, on assimile partout le problème du déséquilibre fiscal à une insuffisance des transferts fédéraux aux provinces, alors qu'en réalité le déséquilibre fiscal tire sa source d'un partage fiscal déficient entre les paliers de gouvernements. En conséquence, la solution qu'on préconise généralement, c'est d'augmenter les transferts fédéraux, alors qu'il faudrait exiger un rééquilibrage simultané et coordonné des taxes, en baissant celles d'Ottawa et en augmentant d'un montant équivalent celles des provinces.
Il faut bien voir que de tenter de répondre à un déséquilibre fiscal croissant par des transferts de plus en plus grands d'Ottawa vers les provinces non seulement ne résoudra pas le problème mais, au contraire, l'empirera et le rendra pratiquement insoluble. Car le gouvernement fédéral, si on l'encourage à le faire, ne sera que trop heureux d'accumuler des surplus lui permettant de s'immiscer dans les domaines réservés aux provinces et d'en tirer d'énormes bénéfices politiques. Il suffit de suivre la présente campagne électorale fédérale pour s'en convaincre absolument. Une augmentation des transferts pour atténuer temporairement le déséquilibre dans l'immédiat peut se justifier, mais ne saurait constituer une solution à long terme.
Dans tout système fédéral, il y a évidemment une place pour des transferts intergouvernementaux, notamment pour assurer une certaine égalité entre les États-membres au moyen de la péréquation. Mais dès que ces transferts comportent des conditions, ils affectent l'autonomie de ceux qui les reçoivent et changent l'équilibre entre les paliers de gouvernement. C'est pourquoi le Québec a toujours été réticent à l'égard des programmes conjoints et a toujours réclamé, sans l'obtenir, le droit de s'en retirer (ce qu'on a appelé l'«opting-out»).
Il est bon de se rappeler que, dans les années 1965-66, le gouvernement de M. Jean Lesage, confronté avec le même problème du déséquilibre fiscal, a réclamé et partiellement obtenu un nouveau partage des ressources fiscales en vertu duquel Ottawa a accepté de diminuer ses impôts d'un montant équivalent à l'augmentation de l'impôt québécois. Mais c'était à l'époque du «fédéralisme coopératif » où les relations fiscales entre les gouvernements étaient régies par des «accords fiscaux» convenus et signés par toutes les parties, et non par des «arrangements fiscaux» déterminés unilatéralement par le gouvernement fédéral, comme c'est le cas depuis le gouvernement Trudeau.
Il est déplorable que le gouvernement de M. Charest n'ait pas choisi de suivre l'exemple donné par M. Lesage en réclamant un nouveau partage fiscal plutôt que de demander à grands cris encore plus de transferts fédéraux, et cela, même dans des domaines comme l'enseignement supérieur et la petite enfance où le Québec avait toujours été jaloux de son pouvoir exclusif. Car c'est se faire illusion de croire que de tels transferts pourraient se faire sans conditions, comme le démontrent la longueur des ententes à signer et le temps qu'il faut pour les négocier. Visibilité et imputabilité fédérales obligent.
Dans de telles circonstances, il est clair que les chances de résoudre véritablement le problème du déséquilibre fiscal sont à peu près nulles. D'autant plus que l'expérience montre que les autres provinces ne s'opposent pas tellement à cet état des choses qui favorise l'émergence, à Ottawa, d'un «national government» qui vient renforcer l'identité canadienne. Pour le Canada anglais, il n'existe pas réellement de déséquilibre, mais plutôt un nouvel équilibre favorable au «nation building» souhaité par la majorité de la population canadienne anglaise.
Mais où se retrouve le Québec dans une telle conjoncture ? Hélas, il est en train de perdre sa bataille de l'autonomie à l'égard du gouvernement fédéral. Il devient un gouvernement de plus en plus subordonné, incapable de résoudre seul ses principaux problèmes et continuellement à la recherche d'une solution venant d'Ottawa. De sorte que de moins en moins de problèmes québécois se règlent uniquement entre Québécois. Cela rappelle malheureusement la situation où se trouvaient les municipalités québécoises avant la réforme fiscale mise en place par Jacques Parizeau.
Qu'ils soient fédéralistes ou souverainistes, tous les Québécois seront d'accord pour dire qu'il n'y a pas d'autonomie politique sans autonomie fiscale. Tenter de résoudre le déséquilibre fiscal par une augmentation des transferts fédéraux au Québec, c'est miner progressivement l'autonomie québécoise en forçant le Québec à inscrire dans un cadre canadien un nombre toujours croissant de ses programmes. C'est la ruine du fédéralisme canadien tel que nous le comprenons au Québec. J'en ai tiré mes conclusions; à chacun d'en tirer les siennes.
Ce texte a été publié dans La Presse du 3 janvier 2006.


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