Ottawa et le fleuve à Québec

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Crise politique canadian



Au-delà des souvenirs sélectifs de feu Jean Pelletier au sujet de l'édifice «Les Terrasses du Vieux-Port» qui défigure la façade maritime du Vieux-Québec, le blocage de l'accès visuel et physique au fleuve devant la Vieille Capitale résulte d'une contre-offensive fédérale déclenchée à la suite de la décision du gouvernement de René Lévesque de donner à l'État du Québec un accès tout symbolique mais néanmoins prestigieux au Saint-Laurent et au monde extérieur au coeur de sa capitale nationale.
Le 11 novembre 1980, quand le gouvernement du Québec annonça sa décision d'implanter rue Dalhousie un musée national «ouvert plus particulièrement sur les civilisations du monde atlantique», le fleuve était encore visuellement et physiquement accessible à l'endroit choisi. Sitôt après, Ottawa mit sur pied une Corporation immobilière très politisée, la Société du Vieux-Port de Québec (23 mars 1981). Pourvue d'un budget initial de 62 millions de dollars, cette Société fédérale s'empressa de construire une vaste esplanade entre le Vieux-Québec et le fleuve.
Elle érigea ensuite un mur continu d'édifices administratifs fédéraux le long de la rue Dalhousie. Un énorme stationnement étagé apparut comme par hasard devant le futur Musée québécois de la Civilisation. Un marché festivalier à l'américaine fut également implanté au coût de dizaines de millions de dollars... et fit faillite. Personne ne fut inquiété. De son côté, le gouvernement du Québec resta inerte: «Le fleuve, c'est fédéral.»
Aujourd'hui, des ministères fédéraux occupent physiquement la quasi-totalité de la façade maritime de la capitale provinciale. Contrairement à Montréal et à son Vieux-Port, à Québec presque tous les espaces publics riverains ont été dilapidés et perdus pour la population. Le vieux rêve d'un «quartier urbain modèle» fédéral (1974) est devenu réalité. Cette politique de possession par l'immobilier est analogue à celle utilisée à Hull (aujourd'hui Gatineau) au cours des années Trudeau. Elle revivra à Québec avec un futur «édifice-phare» lequel, comme son nom l'indique, aura pour fonction d'inonder de lumière canadienne cette caverne de l'obscurantisme provincial que représente la Vieille Capitale aux yeux des mandarins d'Ottawa.
Avec le stationnement étagé en rive du fleuve, il s'agissait d'en finir avec les prétentions du Québec de construire un jour les phases deux et trois d'un musée «national» québécois. En outre, on priva l'institution d'un panorama grandiose vers le fleuve et l'île d'Orléans qui eût procuré prestige et force d'attraction à l'État commanditaire. Une fois assuré que ce musée ne pourrait accéder à une envergure autre que modestement provinciale, le fédéral répliqua en construisant à Gatineau son propre Musée canadien des Civilisations, une machinerie identitaire canadienne dont la construction seule s'éleva à 400 millions de dollars. Tel fut l'épilogue d'une algarade fédérale-provinciale qualifiée à l'époque de «guerre des musées».
À Québec, à l'ombre de la citadelle britannique, c'est le Canada -- et non le Québec -- qui désormais domine physiquement et symboliquement l'accès au fleuve. Nul pays digne de ce nom ne peut se permettre de laisser une province irrédentiste prendre le contrôle d'une telle porte maritime donnant sur l'international, même symboliquement. Au Canada, une interface urbano-fluviale, porte ouverte sur le monde extérieur, restera toujours fédérale, à l'instar d'un aéroport international.
En arrivant au pays par le fleuve, croisiéristes et équipages doivent comprendre qu'ils arrivent au Canada et non au Québec. Ils doivent également voir que le pays possède une armée en mesure d'imposer l'ordre (Citadelle et École navale). Apanage des États centraux, un tel dispositif sécuritaire autour des ports maritimes remonte à l'Antiquité.
Aujourd'hui, Ottawa prépare en secret un édifice massif à la tête du bassin Louise, de quoi assurer un avenir paisible au club privé fédéral qui jouit du monopole de l'usage de ce vaste plan d'eau public. Cela se passe à quelques centaines de mètres de l'Assemblée nationale du Québec. Comme d'habitude, personne ne s'y intéresse.
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Léonce Naud, Géographe


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