La voie albertaine

Constitution québécoise

Madame Lise Thibault quittera bientôt le poste de lieutenant-gouverneur du Québec. Probablement l'aura-t-on vue la semaine dernière pour la dernière fois remplir une fonction officielle lors de la reprise des travaux de l'Assemblée nationale. Se posera alors la question de sa succession.

On n'a jamais fait grand cas au Québec de cette fonction ramenée au fil des ans au «rang de décoration muette», selon l'expression du politologue Claude Corbo qui, dans la page Idées de vendredi, appelait à reconstruire la fonction de chef d'État du Québec. Il vaut la peine de s'y intéresser, car, avec les élections du 26 mars, le lieutenant-gouverneur a retrouvé un poids politique. Si le gouvernement minoritaire de Jean Charest venait à tomber, il deviendrait l'arbitre de la situation. Il pourrait, du moins en théorie, inviter Mario Dumont à tenter de former un gouvernement plutôt que de renvoyer les partis se soumettre à une nouvelle élection.
La nomination du prochain lieutenant-gouverneur relève strictement du gouvernement fédéral en vertu de l'article 58 de la Loi constitutionnelle de 1867. Alors que le gouverneur général est pour sa part nommé par la reine du Canada sur avis du gouvernement fédéral, il n'y a, dans le cas du lieutenant-gouverneur, aucune obligation de la part d'Ottawa de consulter les provinces.
Changer ce processus est impossible, du moins par la voie constitutionnelle. Une autre voie, moins formelle, pourrait toutefois être empruntée. Il s'agirait de s'inspirer de l'expérience de l'Alberta qui a réussi, à la fin des années 1980, à contourner la Constitution pour démocratiser le processus de nomination des sénateurs. Profitant d'une vacance à l'un des six sièges de sénateurs représentant l'Alberta au sénat, le premier ministre Don Getty avait tenu une élection sénatoriale. Jouant le jeu, le premier ministre fédéral d'alors, Brian Mulroney, avait consenti à nommer au sénat celui qui avait remporté cette élection. Le premier ministre Jean Chrétien a par la suite refusé d'abdiquer son pouvoir de nommer les sénateurs, mais l'actuel premier ministre, Stephen Harper, entend s'inspirer de la voie albertaine pour réformer le sénat sans devoir se plier aux règles d'un amendement constitutionnel.
Dans l'état actuel des choses, il faut avoir recours à de telles astuces pour transformer l'ordre constitutionnel. Pourquoi l'Assemblée nationale ne prendrait-elle pas l'initiative de choisir le prochain lieutenant-gouverneur et de soumettre une résolution au premier ministre Harper le priant de nommer la personne qu'elle aurait élue à ce poste? Si la chose vaut pour les sénateurs, pourquoi ne vaudrait-elle pas pour les lieutenants-gouverneurs? Procéder ainsi ne donnerait pas au titulaire de cette fonction plus de pouvoir, mais sa légitimité serait renforcée. Qu'il détienne son autorité de l'Assemblée nationale plutôt que d'Ottawa n'est pas sans importance dans le contexte politique actuel. Il serait le représentant de la nation québécoise et non plus de sa gracieuse majesté la reine. Pour les défenseurs de l'autonomie du Québec, ce serait un bon test de leur capacité à changer les choses, ne serait-ce que minimalement.
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bdescoteaux@ledevoir.ca


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