La répétition

Chronique de Patrice Boileau

Le verdict populaire de l’exercice démocratique du 26 mars dernier n’est qu’une réplique du résultat de l’élection d’avril 2003. Rien n’a donc été réglé au Québec: le mécontentement populaire qui a jailli des urnes lundi dernier s’est uniquement exprimé autrement.
Parce qu’il s’agit en effet d’un vote de protestation dont l’heureuse gagnante fut cette fois l’Action démocratique de Mario Dumont. Le Parti libéral de Jean Charest l’avait été en 2003. Tout comme l’ADQ aujourd’hui, le PLQ, à l’époque, n’a finalement distancé le PQ que durant la campagne électorale. Bernard Landry était effectivement en bonne posture pour arracher un troisième mandat consécutif à son adversaire libéral jusqu’à ce que le vent tourne au débat des chefs. De la même manière, plusieurs observateurs de la scène politique ne donnaient pas cher de l’Action démocratique et de son chef dans sa propre circonscription, en début de campagne. Le leader adéquiste a finalement bénéficié de la faiblesse de ses adversaires pour réaliser le score que l’on sait.
Certains hurluberlus osent des comparaisons avec la victoire du Parti québécois de 1976. Voilà qui est nettement exagéré puisque la bande à Mario n’a décroché que le titre d’opposition officielle à l’Assemblée nationale. De plus, le triomphe péquiste fut le fruit d’un vrai désir de changement : à preuve, le taux de participation des Québécois à cette élection a dépassé 85%. Le présent scrutin fut au contraire boudé par 30% des gens, essentiellement des indépendantistes, comme en avril 2003. On peut donc conclure que le résultat de la présente élection exprime essentiellement un rejet des options proposées par les libéraux et les péquistes, plutôt qu’un véritable appui aux idées du chef de l’ADQ.
Même la thèse de la « vengeance des régions » à l’égard de Montréal ne tient plus. Vrai que l’épicentre du mouvement adéquiste provient de la région de la Capitale nationale. Sauf que les gains adéquistes réalisés sur la rive-sud et dans la couronne nord de Montréal englobent des circonscriptions urbaines dont certaines affichent un visage cosmopolite. Il ne fait donc pas de doute que le mécontentement général des Québécois a pris le pas sur le sentiment « anti-Montréal. » La grogne est telle qu’elle aura défié l’entendement : elle a balayé les déclarations grotesques de plusieurs candidats adéquistes, ignoré le licenciement de deux d’entre eux durant le scrutin et occulté l’absence d’une autre, partie en vacances pendant l’élection…
Morosité donc, évidemment chez les francophones. Des fédéralistes déçus de Jean Charest ont jeté leur dévolu sur l’ADQ et des souverainistes agacés par l’immobilisme du PQ ont fait de même. Certes, certains de ces derniers ont également tourné le dos à la formation indépendantiste à cause de son chef. Reste que la division de l’électorat francophone aura permis à plusieurs candidats adéquistes de se faufiler vers la victoire, surtout dans la zone du « 450 ». Il faut néanmoins insister sur l’abstention de 30% de Québécois, des gens qui appuient largement l’idée de faire du Québec un pays. Ce groupe ne peut en effet compter des fédéralistes : ceux-ci prennent toujours d’assaut les urnes puisqu’à leurs yeux, chaque scrutin est référendaire. Idem pour les non-francophones qui se rangent à 95% derrière le Parti libéral. Peut-être faudrait-il finir par les prendre aux mots…
Parce qu’il est là le problème du Parti québécois. Son obsession référendaire est sur le point de le tuer. Après avoir volé la victoire aux libéraux à l’élection de 1998, le PQ n’a pu éviter la gifle des Québécois une seconde fois en 2003. Celle de 2007 est plus cinglante puisque la formation souverainiste a vu ses appuis fondre de 33% à 28%. Le prochain scrutin qui risque de survenir d’ici un an sera son coup de grâce, s’il continue de faire la sourde oreille à une population qui veut faire la souveraineté autrement.
Le projet indépendantiste recueille encore le soutien d’environ 45% des Québécois. Les souverainistes refusent d’abdiquer et de disparaître. Inquiets de l’immobilisme de leurs leaders, plusieurs d’entre eux ont décidé d’investir le parti de Mario Dumont dans l’espoir d’accélérer l’avènement d’une crise constitutionnelle à Ottawa. « L’État autonome du Québec » que veut créer le chef de l’Action démocratique horripile en effet Stephen Harper et l’ensemble de la classe politique canadienne. Le pari est risqué. Ces souverainistes auraient évidemment préféré un chemin plus court - la ligne droite - pour atteindre leur objectif. Mais comme le PQ s’entête à vouloir tenir un référendum suicide contre des tricheurs, ils ont préféré emprunter ce méandre nauséabond.
Si le Parti québécois se décide enfin à rassembler 50% + 1 des suffrages exprimés par voie élective, à l’aide d’autres partenaires oeuvrant au sein d’autres formations progressistes, les « souverainistes errants » au sein de l’ADQ reviendront au bercail. Leur fibre patriotique n’a pas faibli en tentant l’aventure adéquiste, au contraire de ce qu’en pensent les fédéralistes.
Stephen Harper est du nombre de ceux qui voient dans le résultat électoral du 26 mars une baisse des appuis envers l’idée de tenir un référendum prochainement. Le premier ministre du Canada a totalement raison. L’homme n’a pas intérêt cependant à extrapoler à partir de ce jugement. Le soutien à l’option indépendantiste demeure vigoureux et n’est surtout pas l’affaire d’une génération : les jeunes québécois âgés de 14 à 17 ans l’appuient aussi, comme en témoigne le résultat d’une élection simulée dans 300 écoles secondaires disséminées aux quatre coins du Québec. Le PQ aurait en effet raflé 44 des 87 circonscriptions fictives créées dans le cadre d’un projet piloté par « Électeurs en Herbe », selon un article publié dans Le Devoir du 27 mars dernier.
Un peuple fier refusera toujours de mourir : il luttera de génération en génération contre ceux qui veulent l’assimiler. Le scrutin du 26 mars dernier l’atteste : environ 67% des Québécois refusent de s’agenouiller devant l’État canadien comme Jean Charest. 31% ont temporairement fait le choix « d’avancer à genoux » tandis que 28% rêvent d’être debout. Enfin, 30% espèrent ne pas ignorer leur bulletin de vote la prochaine fois… ou l’annuler comme l’auteur de ces lignes. Il est temps de monter sur scène : le temps des répétitions est terminé.
P.S. Je ne peux terminer sans saluer le travail des bénévoles qui ont tout donné durant ce scrutin. De braves soldats qui, comme nombres d’autres souverainistes, accordent généreusement de leur temps dans l’espoir que leurs enfants soient maîtres de leur avenir.
Patrice Boileau


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    29 mars 2007

    Bonjour Lingane,
    Je vous suggère quelques lectures sur les sujets que vous avez mentionnés sur ce forum. Plusieurs de vos compatriotes partagent leurs points de vue avec nous sur le site Internet du Québécois. Bien sûr il s'agit d'un forum, parfois des prises de bec y ont lieu, mais suffit de les laisser de côté et aller chercher l'information pertinente.
    http://lequebecois.actifforum.com/
    ou
    www.m-e-s.org Mouvement pour une élection sur la souveraineté

  • Archives de Vigile Répondre

    28 mars 2007

    M. Boileau
    je suis français, m'intéressant beaucoup à la cause souverainiste. je suis très inquiet au sujet du mot que vous avez employé concernant le réferendum de 95 ("tricheurs") car vous sous-entendez que la victoire est impossible par cette voie-là. Mais dans ce cas, comment l'obtenir, cet Etat souverain?
    Par ailleurs, est-il vrai que c'est le fédéral qui décide de l'immigration au Québec? Dans ce cas, le fameux vote ethnique de Parizeau ne pourra que se renforcer et submerger les Québécois comme ont été submergés les Louisianais.
    J'espère que vous écrirez un article à ce sujet.
    Sachez en tout cas que beaucoup de Français sont avec vous !