La paix peut-elle s'installer en Irak ?

Cinq ans après le début de la guerre, une relative accalmie est observable, mais les Irakiens restent profondément divisés

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Irak - les suites 2008

Manifestation à Bagdad en septembre dernier contre les murs de béton érigés pour séparer hermétiquement des quartiers de la ville.
Photo: Agence France-Presse
Cinq ans après les premières salves de missiles, l'Irak vit une période de relative accalmie, dont une récente série d'attentats ont cependant révélé la précarité. La paix est-elle en train de s'y installer enfin ou est-ce le proverbial calme avant une nouvelle tempête, faute d'une solution aux clivages politiques, ethniques et religieux qui minent la société irakienne?

Après avoir littéralement obsédé les Américains, la guerre en Irak a presque disparu de l'écran radar des médias depuis l'été dernier. Pour la première fois en cinq ans, il arrive même que des commentateurs se risquent à utiliser des mots comme «succès» pour en parler, en dehors du cercle des admirateurs inconditionnels du président George W. Bush.
Le niveau de violence dans ce pays du Moyen-Orient, qui avait atteint des sommets en 2006 et pendant une bonne partie de 2007, a considérablement diminué depuis ce temps, peut-être des deux tiers. Ainsi, la semaine dernière, le Government Accountability Office, un service de recherche mis à la disposition des élus de Washington, a montré, après analyse de données provenant du renseignement militaire, que le nombre d'«attaques de la part des insurgés» (contre des civils ou des militaires, américains ou irakiens) était passé d'environ 180 par jour en juin 2007 à environ 60 par jour en janvier 2008. La mauvaise nouvelle, c'est que ce chiffre ne baisse plus. Le site Internet Iraq Body Count, qui recense les pertes chez les civils, voit lui aussi la situation évoluer dans le même sens.
Cette relative embellie, qui survient après des années d'enfer, est souvent attribuée à John McCain, celui que le Parti républicain doit officiellement désigner comme son candidat à la présidence des États-Unis l'été prochain. C'est sur ses conseils que M. Bush a décidé, en janvier 2007, d'envoyer 21 000 soldats (ce nombre a ensuite été porté à 30 000) en renfort pour une période indéterminée, mais qu'on a dit limitée, alors que de tous côtés on lui suggérait au contraire de commencer au plus tôt à rapatrier les troupes.
Il s'agit seulement d'une partie de l'équation. Cette stratégie de la «surge», qui semble avoir porté ses fruits jusqu'à présent, a en effet coïncidé avec un certain nombre de facteurs favorables, dont la trêve observée par l'Armée du Mahdi du leader chiite antiaméricain Moqtada al-Sadr et, ce qui est moins rassurant, un découpage hermétique des quartiers de Bagdad sur des bases ethniques.
À l'intérieur de ces arrondissements aujourd'hui entourés de murs hauts de quatre mètres, la sécurité est souvent assurée par des milices confessionnelles. Dans les secteurs sunnites, les responsables américains ont commencé il y a un an à armer de nouveaux groupes obéissant à des chefs de tribu, dans le but de faire échec aux militants d'al-Qaïda.
Désignées par des euphémismes comme «surveillance de quartier» ou «volontaires irakiens pour la sécurité», ces miliciens, qui préfèrent l'appellation «mouvement du réveil», sont dans bien des cas des anciens partisans de Saddam Hussein qui jusqu'alors combattaient l'occupant et le nouveau gouvernement aux côtés d'islamistes se réclamant de l'idéologie de Ben Laden.
«Le pari consiste à faire accéder cette nouvelle force au pouvoir, mais on ne pourra pas intégrer tous les membres des nouvelles milices dans les ministères», note Hosham Dawod, un anthropologue irakien associé à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris et au Centre de recherche sur le développement international d'Ottawa. «L'idée d'assurer la sécurité à partir de Bagdad devait s'accompagner d'une dynamique politique qui tarde à s'enclencher», ajoute-t-il.
«L'accalmie observée sur le terrain n'a rien à voir avec une réelle réconciliation entre les Irakiens, dit de son côté Peter Lehman, spécialiste de l'Irak à l'International Crisis Group, un centre de recherche basé à Genève. La "surge" était censée créer les conditions nécessaires pour reprendre l'initiative au niveau politique. De ce point de vue, c'est un échec total, mis à part quelques phénomènes au niveau local.»
«Choc et terreur»
Il y a cinq ans, les premiers missiles «intelligents» ciblant Saddam Hussein et ses lieutenants frappaient l'Irak le 19 mars, tuant plutôt des civils. Les troupes américano-britanniques traversaient la frontière le lendemain et, le 21, le pilonnage de Bagdad, conçu pour inspirer «choc et terreur» selon les mots de l'ex-secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, était montré en direct aux téléspectateurs du monde entier.
La campagne ainsi amorcée a permis de prendre Bagdad en moins d'un mois. Le déboulonnement d'une statue du dictateur en fuite, puis le fameux «mission accomplie» prononcé par le président Bush le 2 mai n'ont pas empêché l'Irak de sombrer dans une guerre civile qu'on a toujours refusé d'appeler par son nom.
Des progrès comme l'élection d'une assemblée constituante puis des élections législatives ordinaires en 2005 ont paru assez minces à côté des images terribles des attentats commis presque quotidiennement à Bagdad et ailleurs et des photos de prisonniers torturés dans la prison d'Abou Ghraïb.
Aujourd'hui, alors que la «paix» dépend en partie de nouveaux acteurs armés échappant à son contrôle, le gouvernement irakien peine toujours à légiférer sur des questions aussi urgentes que l'organisation d'élections locales et le partage des revenus pétroliers.
«On n'arrive pas à créer un espace public et un pouvoir politique avec des symboles partagés», déplore Hosham Dawod, qui ajoute: «Le gouvernement issu des urnes -- dans des conditions qui n'étaient pas idéales -- représente certes un progrès. Mais il est dominé par des chiites, qui sont eux-mêmes divisés, et des Kurdes, et aucun groupe ne manifeste une capacité d'ouverture aux autres.»
Prestige
Plusieurs enquêtes américaines ont révélé que les accusations officielles au sujet de l'arsenal de Saddam Hussein et de ses liens avec al-Qaïda étaient sans fondement. Les responsables politiques ont eu beau blâmer les agences de renseignement, le prestige des États-Unis dans le monde a subi des dommages considérables, comme l'ont indiqué plusieurs sondages.
Cette guerre lancée sous de faux prétextes a coûté des dizaines, sinon des centaines de milliers de vies. Le chiffre le plus élevé est celui qu'a lancé The Lancet en octobre 2006. Cette revue médicale britannique estimait alors à 655 000 le nombre de victimes directes et indirectes depuis mars 2003. Plus prudent, le site Internet Iraq Body Count, qui recoupe des sources officielles et médiatiques, parle de 82 240 à 89 751 civils tués.
Le coût financier de la guerre en Irak prend aussi pour les Américains des proportions gigantesques, que ses initiateurs avaient d'abord refusé d'envisager. Quelques mois avant son déclenchement, les économistes de la Maison-Blanche se disputaient sur des estimations variant entre 50 et 200 milliards. En octobre 2007, le Congressional Budget Office estimait à 368 milliards les dépenses militaires déjà engagées en Irak, sans compter la prise en charge des blessés américains. Selon cette source, la facture à payer pourrait dépasser les mille milliards en 2017. Un Prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz, a avancé une somme trois fois plus élevée, en prenant en compte divers «coûts macroéconomiques», comme la flambée du cours du pétrole.
Optimisme
Les Irakiens sont relativement optimistes quant à leur avenir, s'il faut en croire un sondage commandé récemment par quatre grandes chaînes de télévision (l'américaine ABC, la britannique BBC, l'allemande ARD et la japonaise NHK). Selon les résultats de cette enquête, 55 % des Irakiens estiment aujourd'hui mener une «bonne existence», contre 39 % en août dernier. À noter, les résultats sont beaucoup plus positifs chez les Kurdes, dont la région jouit d'une grande autonomie dans le nord de l'Irak (73 %), que chez les Arabes chiites (62 %) et, surtout, les Arabes sunnites (33 %).
Un autre sondage présente un portrait moins reluisant de l'évolution récente de l'Irak: selon une enquête de l'organisation américaine Women for Women publiée fin décembre, près des deux tiers des femmes de ce pays affirment que la violence à leur égard a augmenté. Globalement optimistes dans une proportion de plus de 90 % en 2004, les Irakiennes ne le seraient plus que dans une proportion de 30 %.
Les Américains, eux, sont deux fois plus nombreux à considérer l'état de leur économie, plutôt que l'Irak, comme l'enjeu le plus important de la campagne électorale qui bat son plein.


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