REPÈRES

L’île souveraine

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La mode soudaine du souverainisme

C’est le Front national de Marine Le Pen qui a provoqué le principal « séisme » aux élections européennes, mais il y a un autre parti qui a fait trembler la terre dans la région, sur l’autre rive de la Manche. Son nom, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), a quelque chose d’ironique, car s’il est un pays qui a toujours défendu jalousement sa souveraineté, c’est bien celui-là. Les Britanniques n’ont jamais pleinement adhéré à ce projet continental qu’on appelle l’Union européenne. Pour bon nombre d’entre eux, un peu d’Europe c’est encore trop d’Europe. L’UKIP table justement sur cette méfiance à l’égard de tout ce qui se trame sur la terre ferme, particulièrement à Bruxelles et à Strasbourg.

Avec 27,5 % des voix, il a fait élire 24 députés au Parlement européen (deux fois plus qu’en 2009), contre 20 pour les travaillistes, 19 pour les conservateurs et un seul pour les libéraux-démocrates.

La montée en puissance de cette formation populiste, libertarienne, ouvertement antieuropéenne et très frileuse en matière d’immigration, au point d’être fréquemment accusée de racisme, avait déjà été observée aux élections municipales, quelques jours avant les européennes.

Dans une semaine, le chef de l’UKIP, Nigel Farage, espère faire élire un premier député à Westminster, le Parlement national, à la faveur d’une élection complémentaire dans le Nottinghamshire.

L’avenir dira si le succès retentissant de l’UKIP aux élections européennes tient uniquement à un vote de protestation ou si l’électorat a changé au Royaume-Uni.

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La plupart des observateurs s’entendent pour dire qu’il lui sera très difficile de transposer aux élections générales, prévues en mai 2015, les succès obtenus aux scrutins locaux et européens. Les nouveaux partis — la fondation de l’UKIP remonte à 1993 — y sont défavorisés par le système uninominal à un tour.

À l’entendre, Nigel Farage rêve de former le gouvernement dans un avenir pas si lointain. La conquête du pouvoir sera d’autant plus difficile que les partis traditionnels tireront beaucoup de leçons de leur dégelée du week-end dernier. Ils risquent de reprendre à leur compte plusieurs des idées de droite de l’UKIP, qui séduisent actuellement les Britanniques.

Ce ne sera pas la première fois. C’est pour couper l’herbe sous le pied de Nigel Farage que David Cameron, le premier ministre conservateur, a promis d’organiser un référendum sur une éventuelle sortie de l’Union européenne si son gouvernement est reconduit en 2015. Chose certaine, les éléments les plus eurosceptiques ou les plus europhobes du parti « tory » vont continuer de prendre du galon.

Le chef du Parti travailliste, Edward Milliband, jure que son pays ne quittera jamais l’UE pendant qu’il est aux commandes. Il résiste ainsi aux appels de plus en plus pressants que certains de ses lieutenants lancent en faveur d’un référendum sur cette question.

M. Milliband a promis de « parler » d’immigration puisque « ce n’est pas être de droite » que de le faire. Il se défend quand même de vouloir singer les ténors de l’UKIP, invoquant ce qu’il considère comme les vertus fondatrices du travaillisme : « Le Labour a été fondé dans le but de travailler pour le peuple. Pour trop de gens, ce lien a été brisé », dit-il. La cause des problèmes que vivent les simples citoyens ne se résume pas, comme le prétend l’UKIP, « à l’Europe et aux étrangers », ajoute-t-il.

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Depuis sa création en 1993, en réaction au traité de Maastricht, l’UKIP a connu une histoire mouvementée, voyant se succéder plusieurs chefs jusqu’à ce que Nigel Farage s’impose enfin. C’est sous la houlette de ce populiste habile que le parti a remporté ses principaux succès électoraux, dont une deuxième place avec 16,5 % des voix et 13 eurodéputés aux européennes de 2009.

L’UKIP propose que le Royaume-Uni n’admette aucun nouvel immigrant pendant cinq ans et que les non-citoyens cessent d’avoir droit à la plupart des programmes sociaux.

Une enquête menée par NatCen, la principale maison de sondage du royaume, sur les « attitudes sociales des Britanniques » fait état d’une montée du racisme, ou à tout le moins de la xénophobie, en Grande-Bretagne au cours de la dernière décennie. Le phénomène est surtout observé en dehors de la très cosmopolite capitale, en premier lieu dans les régions affectées par le chômage et les difficultés économiques. Même s’ils se targuent d’être différents des « continentaux », nos amis insulaires leur ressemblent beaucoup à cet égard.

La géographie et la sociologie des préjugés collent assez bien avec celles des électeurs de l’UKIP. Ce dernier se défend d’être raciste et ne rate aucune occasion de mettre en avant des représentants des minorités visibles dans ses publicités. On pourrait croire qu’il collaborera avec le Front national au Parlement européen. Il n’en est rien : Farage et Le Pen ne sont pas au diapason sur le rôle de l’État dans la société et l’économie ; en outre, le passé antisémite du FN rebute le chef de l’UKIP. Nigel Farage vient d’annoncer un rapprochement avec Beppe Grillo, l’humoriste qui dirige le Mouvement trois étoiles en Italie. On a noté que le chef de l’UKIP aime lui aussi lancer de bonnes grosses blagues, dont il rit avec enthousiasme.


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