Voilà cinq ans que le président George W. Bush a lancé l'invasion de l'Irak. L'Irak parviendra-t-il à se relever de cette épreuve et à devenir un pays dont les habitants pourront mener une vie relativement heureuse dans un climat raisonnablement sûr ?
Les forces américaines quitteront l'Irak — c'est probablement pour bientôt — et leur départ ne devrait pas provoquer une orgie de violence. La guerre civile a déjà eu lieu et, en conséquence, la plupart des quartiers et villages qui étaient auparavant mixtes sont désormais peuplés exclusivement de chiites ou de sunnites. Ce facteur a contribué autant que la stratégie d'«escalade» (augmentation du nombre de soldats américains) à la baisse significative du nombre de civils tués ces dernières années.
Entre quatre et cinq millions d'Irakiens ont abandonné leur maison (sur une population de moins de 30 millions d'habitants). La plupart ne pourront jamais retrouver leur foyer d'origine, mais la moitié d'entre eux vivent toujours en Irak et les autres se trouvent majoritairement dans des pays voisins et devront finalement retourner en Irak. Ils finiront par trouver un endroit où vivre en sécurité et pourront alors commencer à reconstruire leur vie.
Avec l'or noir à plus de 100 $ le baril, l'Irak a les moyens de se reconstruire, même si la production pétrolière n'est pas encore revenue au niveau précédant l'invasion. D'autre part, il existe une forme de démocratie en Irak, bien qu'elle soit fortement pervertie par des conflits sectaires et ethniques. Il s'agit, somme toute, d'une démocratie pas si éloignée de la démocratie libanaise.
Il y a peu de chances qu'un individu de la stature de Saddam Hussein s'empare du pouvoir en Irak : le pouvoir est trop éparpillé entre les différentes factions et milices. En revanche, la démocratie pourrait subsister après le départ des troupes américaines.
In fine, toute cette guerre en valait-elle la peine? C'est une autre question, car la comparaison implicite qui en découle concerne d'un côté l'avenir du pays compte tenu des conditions actuelles et, de l'autre, son avenir si les circonstances d'il y a cinq ans (lorsque Saddam Hussein était encore aux commandes) prévalaient encore. La réponse à cette question ne peut être qu'obscure, car l'Irak de Saddam Hussein était un pays laïc dont les habitants vivaient en sécurité tant qu'ils ne se mêlaient pas de la vie politique et où les femmes jouissaient d'une liberté individuelle assez exceptionnelle. Cette comparaison n'a donc pas de sens.
L'ex-Union soviétique aimait à jouer à ce jeu de comparaison entre les miracles apportés par le communisme et les horreurs de la pauvreté et de l'oppression sous les tsars. Comme si la Russie serait restée ad vitam aeternam figée dans l'année 1917 si la révolution bolchevique n'avait pas eu lieu. Le régime communiste chinois se livre, lui aussi, à ce jeu aujourd'hui et prétend que le pays serait encore au stade de 1948 s'il n'avait pas pris le pouvoir. Totalement insensé, y compris en ce qui concerne l'Irak.
Cela ne fait qu'un an que Saddam Hussein a été exécuté. Il serait probablement encore au pouvoir à l'heure actuelle si les États-Unis n'avaient pas envahi l'Irak. Mais il n'aurait pas vécu éternellement. Nul ne peut dire quelle aurait été la suite des événements s'il avait continué de diriger le pays et avait disparu de mort naturelle. Mais des centaines de milliers d'Irakiens auraient-ils été torturés, assassinés par balle, ou tués dans des explosions? Les sunnites et les chiites seraient-ils devenus aussi ennemis? Probablement pas.
Par ailleurs, Saddam Hussein ne représentait aucune menace sérieuse pour ses pays voisins : son armée avait été largement défaite lors de la première guerre du Golfe de 1991 et ne s'est jamais reconstruite (à cause de sanctions). L'ex-dictateur irakien était absolument inoffensif face aux États-Unis dans la mesure où il n'avait aucun lien avec Al-Qaida (comme l'a confirmé une étude, récemment publiée par le Pentagone, basée sur plus de 600 000 documents irakiens saisis après l'invasion de l'Irak).
Le nombre d'Irakiens qui ont été torturés et assassinés par les forces de sécurité de Saddam Hussein s'élevait, sur une année moyenne, à plusieurs milliers. Ce n'est pas plus que le bilan MENSUEL des tués dans les violences sectaires ces dernières années. De temps à autre, en cas de soulèvement contre son régime, Saddam Hussein faisait tuer bien plus de gens, mais la dernière fois remonte à 1991. Neuf dixièmes des Irakiens (voire plus) ayant été tués dans les horreurs des cinq dernières années seraient vraisemblablement encore vivants si Saddam Hussein était encore au pouvoir aujourd'hui. Quatre mille soldats américains aussi seraient encore en vie.
La véritable question est de savoir à quoi ressemblera l'Irak dans 20 ans et à quoi aurait ressemblé l'Irak sans l'offensive américaine. Mais elle ne trouvera, hélas, jamais de réponse : l'invasion du pays par les États-Unis a anéanti toute possibilité d'un avenir alternatif.
Photothèque Le Soleil
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Gwynne Dyer
*L'auteur est un journaliste canadien, basé à Londres. Ses articles sont publiés dans 45 pays. Son dernier livre, Futur imparfait, est publié au Canada aux Éditions Lanctôt.
LE SOLEIL - ANALYSE
Irak: cela en valait-il la peine?
Irak - les suites 2008
Gwynne Dyer21 articles
Journaliste indépendant L'auteur est un Canadien, basé à Londres. Ses articles sont publiés dans 45 pays. Son dernier livre, {Futur Imparfait}, est publié au Canada aux Éditions Lanctôt.
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