Prix du pétrole : si la tendance se maintient...

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Crise énergétique et Éthanol



La semaine dernière, Hamish McRae, l'un des meilleurs journalistes économiques au monde, déclarait dans The Independent : «Il y a un an, presque personne ne prédisait que le cours du pétrole monterait jusqu'à 120 $ le baril (…) En fait je n'ai pas trouvé une seule prévision de cet ordre.» Les lecteurs réguliers de cette chronique se rappelleront peut-être que j'avais annoncé, en avril 2006, que le baril de pétrole dépasserait les 100$. Je disais ensuite, dans une chronique datant de juillet 2007, qu'il grimperait encore bien au-delà.
En toute modestie, je considère que cela m'autorise à vous livrer de nouvelles prévisions. Je prédis donc que le cours du pétrole va bientôt chuter — un peu. Jusqu'à présent, les puissances économiques du groupe BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) continuent d'avoir une forte croissance, tandis que les vieilles nations industrialisées se dirigent assurément vers une récession. Or, ces pays consomment toujours la majeure partie du pétrole.
La cause véritable de cette récession n'est pas la cherté du pétrole, mais bien l'arnaque des crédits immobiliers américains à haut risque (les «subprimes»). Cette récession devrait toutefois faire baisser la demande suffisamment pour faire retomber le baril de pétrole à 100$ dans quelques temps, voire à 85-90$. Plus tard, en 2009-2010, quand les «vieux pays riches» iront mieux sur le plan économique, il remontera pour se situer dans une fourchette vraisemblablement comprise entre 130 et 150$.
Le cours du pétrole augmentera parce que la hausse de la demande sera bien supérieure au rythme où l'offre pourra croître, si elle en est encore capable. Certes, un nouveau champ pétrolier prétendument gigantesque vient d'être découvert au large du Brésil. Mais quand bien même il se révèlerait à la hauteur des espérances, il faudra encore 5 à 10 ans pour en tirer une production à grande échelle.
Le plus grand pays producteur de pétrole au monde, l'Arabie saoudite, reconnaît que l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) ne dispose plus de réserves suffisantes pour changer quoi que ce soit. La Russie, le plus important producteur hors OPEP, va vraisemblablement voir sa production chuter cette année, et pratiquement tous les autres pompent déjà au maximum de leurs capacités.
Par conséquent, quand la récession sera terminée, le prix du pétrole devrait se stabiliser autour de 100$ sur presque toute la période allant de 2010 à 2015. Cependant, il n'atteindra pas les 200$, car l'offre de pétrole non conventionnel issu de sables et de schistes bitumineux ou d'autres sources de «pétrole lourd» va exploser.
Même si le «pic pétrolier» arrive à grands pas, ce ne sera pas pour autant la fin du pétrole, ce phénomène impliquera seulement la fin du brut léger. Si le pétrole reste au-dessus de 40$ le baril, les sables bitumineux de l'Alberta sont avantageux. À 60$, les gisements de sables bitumineux du Vénézuela, bien plus étendus, constituent une solution viable et rentable. Et à 80$, même les schistes bitumineux de l'ouest des États-Unis sont prometteurs.
Dans un monde où le climat serait stable, une offre abondante de pétrole non conventionnel permettrait de ramener le cours du pétrole en dessous des 100$ le baril. Ce n'est pourtant pas ainsi que les choses vont se passer. En effet, d'ici 2015, le seuil de tolérance mondial vis-à-vis des modes de production impliquant d'importantes émissions de gaz à effet de serre, risque d'être très strict. En effet, la pression visant à réduire la consommation d'énergie, y compris celle de pétrole conventionnel, sera sûrement très forte.
Il y a cinq ans, pour la majeure partie des pays du globe, le réchauffement climatique n'était qu'une lointaine inquiétude. En Amérique du Nord, où les spécialistes du «déni climatique» avaient leur quartier général, beaucoup n'y accordaient même aucune foi. Aujourd'hui, c'est un dossier ultra-prioritaire en Europe, aux États-Unis — à tous les niveaux en dessous de la Maison-Blanche, où les choses vont changer d'ici peu — et en Chine. Partout ailleurs, on en préoccupe de plus en plus.
2015. D'ici là, une dizaine de catastrophes liées au climat se seront produites, à l'image de l'ouragan Katrina ou de la canicule meurtrière qu'a connue l'Europe à l'été 2003. Quel soutien populaire les combustibles fossiles recevront-ils dans sept ans? Un soutien plutôt faible, on s'en doute.
Plusieurs milliards de personnes vivent dans des pays dont la croissance économique est très rapide. Ainsi, le niveau de la demande va probablement maintenir le cours du pétrole conventionnel autour de la barre des 100$ jusque dans les années 2020. Néanmoins, la pression politique pour faire cesser la production d'hydrocarbures non conventionnels, fortement émetteurs de gaz à effet de serre, pourrait devenir insoutenable. (Ce qui explique que les producteurs de sables bitumineux de l'Alberta souhaitent maintenant utiliser l'énergie nucléaire plutôt que le gaz naturel pour extraire le pétrole du sable.)
À plus long terme encore — au cours des années 2030 et au-delà — la demande de pétrole continuera probablement de chuter, et son prix avec. Comment le savoir ? Eh bien, si elle ne décline pas à la suite d'un abandon volontaire des combustibles fossiles, le réchauffement climatique aura pris une telle ampleur qu'il se chargera de faire sombrer des pays entiers dans le chaos. Il y a plus d'un moyen pour réduire la demande…
(Photothèque Le Soleil)

Gwynne Dyer
Journaliste indépendant*
*L'auteur est un journaliste canadien, basé à Londres. Ses articles sont publiés dans 45 pays. Son dernier livre «Futur Imparfait» est publié au Canada aux Éditions Lanctôt.


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