Crise énergétique : le Québec dort au gaz!

Crise énergétique et Éthanol


Alors que les médias font tous les jours la manchette avec la hausse du prix de l'essence, le public commence à peine à prendre conscience d'une réalité pourtant connue de certains spécialistes : les pays producteurs pompent à plein régime et ne peuvent plus suivre l'appétit toujours grandissant des sociétés pour le pétrole.
Au cours des trois dernières années, l'incapacité des producteurs à répondre à la demande a fait tripler le prix du pétrole. Seulement pour cette année, notre consommation de carburant coûtera la bagatelle de 15 milliards $ à l'économie québécoise. À elle seule, la hausse des prix du pétrole explique que le Québec soit passé d'une situation de surplus commercial à une situation de déficit. Et de toute évidence, la situation ne va pas s'améliorer.
Si le public peut être surpris de la situation, l'arrivée du pic de production était connue depuis belle lurette des dirigeants des entreprises pétrolières et des spécialistes. Annoncé pour la première fois par le géologue américain King Hubbert en 1956, le concept fut longtemps ignoré. Depuis 20 ans, toutefois, les cris d'alarme se multiplient, et pas seulement parmi les géologues. Ainsi, au cours des dernières années, de nombreux rapports annonçant cette crise énergétique ont été déposés en commissions parlementaires et reçus par le gouvernement du Québec.
Malheureusement, ce dernier ne semble pas avoir compris l'importance de la crise ni l'ampleur des moyens qu'il nous faudrait déployer pour y faire face. En effet, l'essentiel des investissements en infrastructure se fait sur la base d'un pétrole à 50 $ le baril. Nous construisons des routes, des ponts et des autoroutes qui risquent d'être sous-utilisés dans 10 ou 15 ans, mais qu'on paiera encore en 2040.
Et cela ne s'arrête pas là. Les Québécoises et les Québécois se sont vu proposer la construction d'une centrale thermique au gaz alors que les réserves de gaz naturel en Amérique du Nord sont en déclin. Du même souffle, on appuie les terminaux méthaniers sans même se préoccuper de la sécurité des approvisionnements outre-mer. Encore pire, on a subventionné la construction d'une usine d'éthanol fait à partir du maïs alors que les risques pour la sécurité alimentaire étaient connus. Il ne manque plus que l'annonce du financement d'une usine à hydrogène, pour compléter ce tableau peu réjouissant...
Pourtant, le défi du Québec est clair: devenir indépendant des combustibles fossiles! Un défi de taille, quand on sait que plus de la moitié de l'énergie consommée ici provient de ces derniers. Pour réussir, nous devrons envisager des changements profonds à notre mode de vie. Ces changements sont loin d'être impossibles ; ils sont du même ordre que ceux que nous avons effectués entre 1976 et 1986. Le virage ne se fera du jour au lendemain, toutefois, et les efforts devront porter sur au moins 15 à 20 ans.
Faisant d'une pierre deux coups, l'indépendance énergétique contribue aussi à la lutte contre les changements climatiques. Si le fonds vert offre une avenue intéressante, sa mise en oeuvre laborieuse nous a fait perdre un temps précieux. Au rythme actuel, nous n'atteindrons jamais les objectifs de l'accord de Kyoto. À défaut d'agir, la ministre responsable, Line Beauchamp, annonce maintenant que la hausse des prix du pétrole fera le travail du gouvernement dans ce domaine. Voilà qui en dit long sur la capacité de planification stratégique du Québec !
Bien qu'il nous faille développer notre propre modèle, rien ne nous empêche de nous inspirer de la Suède, qui a adopté en 2005 un plan visionnaire visant l'indépendance énergétique d'ici 2020. Les efforts seront importants et seul un dialogue ouvert et sérieux entre le gouvernement et les citoyens permettra de construire le consensus nécessaire pour atteindre ces objectifs ambitieux. Déjà, il est clair que l'hydroélectricité et les autres énergies renouvelables joueront un rôle central dans le projet. Ça ne sera pas suffisant, toutefois, et il faudra revoir les modèles de développement urbain, les programmes d'économie d'énergie, nos modes de transport et bien plus.
Certes, l'indépendance énergétique est un défi important. C'est aussi une chance inespérée de mettre en place un nouveau projet de société exaltant et inspirant. Pour réussir, il faut s'y mettre dès maintenant et revoir en profondeur le fonctionnement de notre société. Ce n'est qu'à ce prix que le Québec pourra prospérer!
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Yvan Dutil, Ph.D. est professeur associé au Département de physique de l'Université Laval
Normand Mousseau est professeur de physique à l'Université de Montréal et auteur du livre Au bout du pétrole, tout ce que vous devez savoir sur la crise énergétique, Éditions MultiMondes, 2008.
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Flambée du pétrole

["Si la tendance se maintient..."->13177]
Notre collaborateur à Londres, Gwynne Dyer, prévoit que le prix du baril de pétrole va même baisser avant de se stabiliser autour de 130$ à 150$ le baril d'ici quelques années, loin des 200$ prédits par les plus pessimistes.

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Normand Mousseau6 articles

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Normand Mousseau est professeur de physique à l’Université de Montréal et chercheur de renommée internationale. Il nourrit une grande passion pour la vulgarisation scientifique. Il est l’auteur du livre "Au bout du pétrole, tout ce que vous devez savoir sur la crise énergétique" publié en 2008 et de plusieurs articles dans la revue "Québec Science". Il a rédigé le blogue de physique sur le site "Science, on blogue !" de l’Agence Science-Presse de septembre 2005 à mars 2008.





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