La quantité d'éthanol-grain nécessaire pour faire le plein d'un véhicule utilitaire sport (VUS) suffirait à nourrir un homme pendant un an... Voilà le résultat de la course au biocarburant lancée par le psychodrame environnemental, encouragée par l'État et menée par l'entreprise. L'affaire va dresser les uns contre les autres 800 millions d'automobilistes et 800 millions d'affamés, prévient le Earth Policy Institute, une ONG américaine.
L'éthanol (comme les éoliennes et les ampoules fluocompactes, dont on commence aussi à voir les limites) était présenté par les écologistes comme une des solutions miracles au réchauffement climatique.
L'État s'en est évidemment mêlé. En 2007, les gouvernements de l'Union européenne et des États-Unis ont subventionné à hauteur de 13,2 milliards $US la chaîne de production de l'éthanol.
Ainsi encouragées, les entreprises ont bondi. On a multiplié par 10 (de 8 à 80 milliards de litres) la production mondiale d'éthanol et de biodiesel entre 2000 et 2007. L'huile végétale abreuve aujourd'hui 45% du parc automobile du Brésil. L'Indonésie a tant et si bien déboisé pour jardiner du carburant qu'elle est passée du 21e au 3e rang au palmarès des délinquants du carbone...
Un "crime contre l'humanité!" tonne l'onusien Jean Ziegler avec cette sorte d'hystérie qui, précisément, a été dans le passé fort mauvaise conseillère. Plus calmement, le patron de Nestlé, la plus grande firme alimentaire au monde, estime que l'attitude de Washington et de Bruxelles est "moralement inacceptable et irresponsable".
Le fait est qu'il s'agissait peut-être d'une mauvaise bonne idée. De sorte que l'on assiste maintenant à de très beaux efforts de rétropédalage.
Cette semaine, les législateurs américains et canadiens se pencheront sur le problème.
À Washington, les deux chambres du Congrès entendent soumettre un nouveau Farm Bill. Ce plan de 300 millions sur cinq ans est destiné à l'aide alimentaire domestique, mais il prévoit aussi une baisse de 12% des subventions à l'éthanol-grain (le président George W. Bush est en désaccord).
À Ottawa débarque le projet de loi C-33 qui fixe à 5% le seuil minimum de carburant renouvelable dans l'essence - au moment même où le Canada annonce l'octroi de 250 millions au Programme alimentaire mondial! Seul le Nouveau Parti démocratique était contre. Mais le Bloc québécois vient d'effectuer un spectaculaire demi-tour et exige maintenant un moratoire sur l'action gouvernementale en ce domaine.
Ce n'est pas une mauvaise idée. Mais il ne suffit pas de convenir de ne rien faire. Ainsi, l'avenir d'un éthanol "durable" semble résider dans sa version cellulosique, distillée à partir de végétaux non alimentaires ainsi que de déchets de la foresterie et de l'agriculture.
Le produit n'est pas au point: il faut y travailler.
Mais surtout, il faudra cette fois résister à la tentation - celle induite par les images de glaciers qui fondent et d'ours polaires qui nagent... - de se précipiter dans une nouvelle aventure "verte" sans en avoir bien évalué les conséquences.
mroy@lapresse.ca
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