Irak: cinq ans plus tard

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Irak - les suites 2008


Le 19 mars 2003. Le jour où les États-Unis ont envahi l'Irak restera dans l'Histoire celui de l'erreur pour la politique étrangère des États-Unis.

En effet, après l'attaque d'Oussama ben Laden et d'Al-Qaeda le 11 septembre 2001, les Américains ont répliqué en Afghanistan et se sont retrouvés en position de force à la fin de l'année.
En 2002, George W. Bush et ses conseillers décident d'envahir l'Irak, au nom de la lutte contre le terrorisme et de la recherche d'hypothétiques armes de destruction massive. La puissance et la crédibilité américaines sont alors rudement mises à l'épreuve.
D'abord, quand la planète se rend compte que Bush délaisse peu à peu le théâtre afghan et décide d'«aller à Bagdad" envers et contre le jugement de beaucoup de pays. Ensuite, quand l'invasion brillamment menée de mars 2003 fait place à une occupation bâclée qui produit l'inverse des résultats promis par les Américains.
La position de force dont jouissaient les États-Unis fin 2001 bascule à la fin de l'année 2003. En plus d'avoir perdu ben Laden, Washington perd l'Irak. L'erreur d'avoir envahi et occupé l'Irak coûtera cher aux Américains. Cinq ans plus tard, les dommages causés à leur politique extérieure demeurent considérables.
«Mission accomplie», concluait George W. Bush début mai 2003 en annonçant le renversement de Saddam Hussein et la fin des opérations militaires dans le pays. Cinq ans après, il serait sans doute plus juste de conclure "mission impossible". Les choses iront peut-être mieux un jour en Irak, mais personne ne pourra oublier les déboires de cette invasion et les conséquences pour les Irakiens qui l'ont subie.
Et l'Afghanistan?
On peut aussi se demander ce que serait devenu l'Afghanistan aujourd'hui si, au lieu d'envahir l'Irak, les États-Unis avaient déployé en sol afghan leurs 160 000 troupes actuellement présentes en sol irakien? L'Afghanistan serait-il plus stable? Oussama ben Laden déjà arrêté ou tué? Le Pakistan moins enclin à subir les turbulences de l'islamisme extrémiste? Bref, si l'Irak n'avait pas été envahi, la sécurité dans le monde, et notamment en Afghanistan, ne s'en porterait-elle pas mieux? L'erreur de jugement de la stratégie à adopter en Irak est donc aussi une erreur de jugement sur l'Afghanistan: les deux subissent l'impact du choix de la guerre qu'a décidé d'entreprendre Bush le 19 mars 2003.
C'est en décembre 2001 que l'administration Bush commence à perdre de vue l'objectif de la lutte contre le terrorisme - qui impose alors d'accorder la priorité à la traque de ben Laden et à la stabilisation de l'Afghanistan - pour se concentrer sur sa prochaine guerre en Irak. D'ores et déjà, cette décision ampute l'armée américaine du nombre de troupes réservées jusqu'alors au théâtre afghan. D'autres pays, et notamment le Canada, doivent rapidement combler cette désertion.
L'erreur d'intervenir en Irak se double donc de l'erreur de délaisser l'Afghanistan et, surtout, de ne pas bloquer la frontière afghano-pakistanaise par laquelle Ben Laden s'enfuira, avec les conséquences dramatiques que l'on connaît pour le Pakistan d'aujourd'hui. La décision d'aller en Irak a également un impact positif sur l'organisation d'Al-Qaeda. Elle profite de ce moment de répit pour se reconstruire dans les zones tribales du nord-ouest du Pakistan et pour attirer de nouveaux djihadistes. Al-Qaeda survit ainsi à Saddam Hussein! (...)
UNE SOMME DE BOURDES
(...) Comment expliquer le choix de cette guerre qu'a menée la Maison-Blanche il y a cinq ans? Qui, du groupe Carlyle, des groupes pétroliers, du Pentagone, de la Maison-Blanche ou encore d'Halliburton est derrière cette décision? Quel intérêt la présidence Bush a-t-elle servi en occupant un État que George H. Bush (le père) avait délibérément refusé d'envahir plus d'une décennie auparavant?
L'erreur qu'ont commise les décideurs en s'enlisant quelque part dans les sables de Mésopotamie est si désarmante qu'il est désormais difficile de croire véritablement au complot. Car, pour ce faire, il faudrait résoudre un paradoxe: comment penser que cette présidence ait pu fomenter un plan d'une telle complexité et ne pas trouver le moyen d'enterrer quelques armes nucléaires dans le désert irakien pour justifier son invasion? La distorsion entre l'hyperpuissance des décideurs américains et l'ineptie des dirigeants que l'on identifie au gré de leurs bourdes est manifeste. Finalement, l'explication de l'erreur est beaucoup plus simple. Loin de constituer un complot de l'Empire américain, l'invasion de l'Irak est à la mesure des incohérences, de l'incapacité des acteurs du drame irakien, et reflète les contradictions et la cacophonie du système décisionnel américain.
Cinq ans plus tard, l'erreur irakienne apparaît comme une somme de bourdes, d'errances et de manquements, d'hommes et de femmes au gouvernement, au Parlement, dans les juridictions américaines, mais aussi dans les médias, l'opinion publique et l'armée. Au coeur de l'administration Bush, beaucoup ont été pris dans la spirale inflationniste portée par la vague du 11 septembre. Certains ont poussé leur propre ordre du jour, qu'il s'agisse des néo-conservateurs ou des exilés irakiens.
Ficelles et lacunes
Tous ont utilisé les ficelles et les lacunes de l'organigramme décisionnel.
Ce sont donc des intérêts divers et des incompréhensions multiples qui ont convergé progressivement vers l'invasion de l'Irak, au mépris parfois du bon sens et de la rationalité. L'erreur politique est avant tout le reflet du dysfonctionnement de la prise de décision à la Maison-Blanche. L'erreur politique se double alors d'une erreur militaire: celle des limites militaires de la puissance américaine, qui reste pendant longtemps inadaptée et réfractaire au théâtre de guerre que devient l'Irak après la chute de Saddam Hussein. Pendant ce temps, ceux qui auraient peut-être pu faire contrepoids au rouleau compresseur de la Maison-Blanche, tels les médias, l'opinion publique, le Congrès et même la Cour suprême des États-Unis, paraissent tétanisés. Peu disposés à défier la Maison-Blanche, tous restent cois pendant près de deux ans, institutionnalisant l'erreur commise en 2002. Lorsque la tendance s'inverse, dans la foulée de l'ouragan Katrina, l'égarement initial n'est pas vraiment corrigé, en tout cas, pas par eux.
Cinq ans plus tard, le bilan est lourd: près de 4000 soldats sont morts du côté américain et l'Organisation mondiale de la santé recense plus de 151 000 décès dans la population irakienne entre 2003 et 2006. La mission était-elle donc... impossible?
À la veille des élections de 2008, les candidats à la Maison-Blanche paraissent souvent hésitants, malhabiles lorsqu'il s'agit d'évoquer la question irakienne. Le retrait n'est d'ailleurs pas toujours présenté comme la solution. Parce que la complexité du système politique américain, du processus décisionnel et du déséquilibre des pouvoirs demeure entière. L'erreur commise par la présidence Bush marquera encore longtemps le paysage politique des États-Unis, mais aussi, surtout, leur image dans le monde et la géopolitique du Moyen-Orient.
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Charles-Philippe David, Karine Prémont, Julien Tourreille
Les auteurs publient la semaine prochaine aux éditions Septentrion, L'erreur. L'échec américain en Irak, cinq ans plus tard. Ils sont respectivement titulaire et chercheurs de la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM. Karine Prémont est en outre professeure au collège André-Grasset. Nous présentons un extrait de leur ouvrage.


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