La paille et la poutre

Signer la constitution de 1982 - la subordination dans l'effondrement national

Depuis qu'il a retrouvé sa chaire à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, l'ancien ministre des Affaires intergouvernementales dans le gouvernement Charest, Benoît Pelletier, a été remarquablement discret malgré son goût pour les feux de la rampe.
Il est vrai que ses deux successeurs, Jacques Dupuis et Claude Béchard, ont été tellement passifs au cours de la dernière année que le moindre commentaire de M. Pelletier sur les relations fédérales-provinciales aurait pu être interprété comme un reproche à leur endroit.
Le texte qu'il a signé hier dans Le Devoir en réaction au rapport du Groupe Avenir Québec, présidé par Jean Allaire, donne l'impression qu'il guettait la première occasion de sortir de sa réserve. [«Vers une réconciliation nationale, mais à quel prix?»->22527], demande-t-il.
Ayant moi-même souligné certaines contradictions dans les propositions formulées dans le rapport publié la semaine dernière, je peux difficilement reprocher à M. Pelletier d'en faire autant. La paille qu'il voit dans l'oeil du voisin ne devrait cependant pas masquer la poutre qui est dans le sien.
Certes, à partir du moment où le groupe de M. Allaire reconnaît qu'«il est presque impensable de pouvoir amender la Constitution canadienne», les conditions qu'il fixe à une éventuelle «réconciliation nationale» ne semblent pas très réalistes.
Faire modifier la Charte canadienne des droits et libertés afin d'exempter le Québec de ses dispositions relatives au multiculturalisme et aux droits linguistiques ne serait certainement pas une mince affaire.
Il est également probable que les demandes du Québec auraient pour effet de susciter une nouvelle crise constitutionnelle. Rouvrir la boîte de Pandore serait l'occasion pour les autres provinces et même pour Ottawa, sans oublier les nations autochtones, de faire valoir leurs propres revendications. La recette parfaite pour un nouvel échec.
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Dans le rapport qu'il avait lui-même signé en octobre 2001 M. Pelletier avait pourtant manifesté un optimisme qui contredisait son propre diagnostic. À peine un an avant de se mettre à la tâche, il écrivait: «La volonté politique d'aboutir à une quelconque réforme constitutionnelle qui satisferait en partie le Québec semble plus que jamais faire défaut. Et ce, tant au niveau de l'ordre central qu'au niveau des provinces majoritairement anglophones du pays.»
Cela ne l'avait pas empêché de réclamer pas moins de dix modifications à la Constitution, en prenant cependant bien soin de renvoyer tout cela aux calendes grecques. Le Groupe Avenir Québec fait exactement la même chose.
L'ancien ministre a tout à fait raison de dire qu'à l'exception de la proposition de créer une Conférence mondiale des nations minoritaires et pacifiques, tout le chapitre portant sur la «réconciliation nationale» est fait soit de mythes, soit de redites ou encore de choses déjà réalisées.
En effet, puisque le «fruit n'est pas mûr», le gouvernement Charest a décidé lui aussi de se rabattre sur des ententes administratives et on ne peut certainement pas lui reprocher une attitude inamicale envers le reste du Canada.
Cela a-t-il rendu plus imminente une réouverture du dossier constitutionnel? En avril 2008,
M. Pelletier adressait lui-même au gouvernement fédéral une lettre dans laquelle il réclamait la pleine maîtrise d'oeuvre -- et les fonds requis -- en matière de culture et de communications. Il n'a même pas reçu d'accusé de réception.
Il y a deux jours, Le Soleil rapportait qu'en mars dernier la ministre de la Culture, Christine St-Pierre, avait adressé une autre lettre au ministre du Patrimoine canadien, James Moore, lui demandant de «désigner des interlocuteurs dans les plus brefs délais». Toujours sans résultat.
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Là où M. Pelletier déforme injustement le rapport du groupe de M. Allaire, c'est quand il l'accuse de renoncer au droit du Québec de choisir librement son avenir, en proposant qu'il s'engage à ne plus jamais tenir de référendum sur la souveraineté.
En réalité, ce qu'il rejette, c'est la stratégie dite du «couteau sur la gorge» préconisée par le rapport Allaire, qui laissait au reste du Canada le choix entre une extrême décentralisation et un référendum sur la souveraineté assortie d'une offre de partenariat.
«Il faudra que nos démarches ne puissent jamais être interprétées comme une marche vers l'autonomie complète ou la sécession», croit plutôt le Groupe Avenir Québec. Il est vrai que rien n'est prévu dans l'éventualité où ces démarches n'aboutiraient pas, mais rien n'est exclu non plus. On peut être d'avis que le climat sera plus propice à des négociations sans la menace d'un référendum, mais cela ne signifie pas nécessairement qu'on y renonce à tout jamais.
M. Pelletier ne manque pas de culot: s'il y a un gouvernement dans l'histoire du Québec moderne qui n'a jamais osé évoquer l'ombre de la possibilité que le Québec puisse éventuellement en avoir assez d'être l'éternel dindon de la farce, c'est bien celui dont il a fait partie. D'ailleurs, un fédéralisme un peu moins inconditionnel lui aurait peut-être facilité la tâche au cours des dernières années.
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mdavid@ledevoir.com


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