Vers une réconciliation nationale, mais à quel prix?

Signer la constitution de 1982 - la subordination dans l'effondrement national

Le Groupe Avenir Québec, présidé par M. Jean Allaire, vient de rendre public son rapport. Plusieurs sujets y sont traités, mais c'est principalement le chapitre sur la réconciliation nationale que j'entends ici commenter.
Ce qui m'étonne le plus, à la lecture de ce chapitre de onze pages, ce sont les contradictions qu'il contient. En effet, les auteurs partent essentiellement de deux prémisses. La première, c'est que le Québec doit tourner la page sur les crises constitutionnelles. La seconde, c'est qu'il est presque impossible de modifier la Constitution canadienne.
Malgré ces prémisses, et voilà où naissent les contradictions, les auteurs y vont d'entrée de jeu de trois propositions qui, à première vue, sont de nature constitutionnelle et sont assez ambitieuses: qu'il soit reconnu que le multiculturalisme ne doit pas s'appliquer au Québec de la même façon que dans le reste du Canada, que le fait que le Québec forme une nation doit être reconnu dans la Charte canadienne des droits et libertés, et que tous les pouvoirs connexes à la langue française, au Québec, lui soient confiés.
Des lacunes
En ce qui touche la reconnaissance de la nation québécoise dans la Charte, il aurait été bien que les auteurs nous disent si celle-ci ne serait que symbolique ou si elle servirait plutôt à l'interprétation de la Charte, voire de l'ensemble de la Constitution, comme cela était proposé dans l'accord du lac Meech. Quant à la proposition liée au multiculturalisme, elle exigerait vraisemblablement une modification de l'article 27 de la Charte, bien que les auteurs ne le disent pas expressément. Enfin, la proposition concernant l'octroi au Québec de tous les pouvoirs «connexes» à la langue française est elle aussi fort imprécise.
Je présume, sans en être tout à fait certain, que les auteurs pensent ici à une modification de l'article 23 de la Charte en matière d'éducation dans la langue officielle de la minorité, de sorte que, désormais, aucune des dispositions de cet article ne s'applique au Québec (en ce moment, seul le premier alinéa de cet article ne s'applique pas au Québec).
Or, toutes ces modifications requerraient vraisemblablement l'application d'une procédure complexe, faisant appel à la fois au consentement du Parlement canadien et à celui d'un certain nombre de provinces, sinon de toutes dans certains cas. Par conséquent, les auteurs pourraient-ils m'expliquer comment ces propositions, qui sont d'ailleurs les trois seules conditions qu'ils posent à l'adhésion du Québec à la Loi constitutionnelle de 1982 (les deux autres prétendues conditions posées par les auteurs ne relevant que de l'action unilatérale du Québec), pourraient être réalisées si, selon eux, il est impensable de modifier la Constitution canadienne?
Mythes et idées connues
Les auteurs croient-ils vraiment que le Québec pourrait obtenir les trois modifications susmentionnées sans que cela risque de provoquer une autre crise constitutionnelle? Sont-ils sérieux quand ils disent que cela réglerait «une fois pour toutes nos différends constitutionnels»? Pensent-ils vraiment que le Québec atteindrait ses objectifs sans que les autres provinces demandent quoi que ce soit en retour? Et les autochtones alors? Et que dire du fédéral, qui chercherait sans doute à profiter de la réouverture du dossier constitutionnel pour réclamer le renforcement de ses pouvoirs en matière d'économie?
D'ailleurs, à l'exception d'une suggestion originale, soit celle visant à créer une Conférence mondiale des nations minoritaires, le chapitre sur la réconciliation nationale est fait soit de mythes, soit d'idées depuis longtemps avancées, soit de recommandations déjà réalisées. Ainsi, les auteurs recommandent que le Québec développe des relations plus amicales avec les autres provinces. N'est-ce pas ce qu'il fait en ce moment, lui qui a été l'instigateur de la création du Conseil de la fédération (une institution dont les auteurs ne disent d'ailleurs mot)?
Ils recommandent que le Québec signe des ententes administratives avec Ottawa. N'est-ce pas ce qu'il fait depuis quelques années? Ils veulent mettre fin à la politique de la chaise vide. Alors peuvent-ils me donner un exemple, un seul, où cette politique a été appliquée depuis au moins 2003? Ils affirment que le Québec doit renouer des liens avec les minorités francophones du Canada. Ne sont-ils donc pas au courant que cela était au coeur de la politique du Québec en matière de francophonie canadienne, adoptée par le gouvernement québécois en 2006?
Pouvoir fédéral de dépenser
Ils souhaitent que le Québec participe pleinement à la vie politique, économique et administrative de la fédération canadienne. N'est-ce pas exactement ce que cherche à faire l'actuel gouvernement québécois? Enfin, ils parlent d'autonomisme et plaident pour «un nouveau fédéralisme décentralisé où seraient discutés de nouveaux pouvoirs pour les provinces basés sur l'efficacité, la subsidiarité et l'autonomie pour chacun des États provinciaux». Mais pourraient-ils me dire quels sont ces pouvoirs -- outre ceux en matière de langue dont j'ai parlé ci-dessus -- que, de leur point de vue, le Québec devrait chercher à obtenir dans l'ensemble canadien?
Enfin, je déplore le fait que les auteurs ne précisent pas de quelle façon ils baliseraient l'exercice du pouvoir fédéral de dépenser, pouvoir dont ils disent par ailleurs qu'il empiète sur des compétences exclusives du Québec qui sont nécessaires à sa survie. Ils ne disent pas non plus comment ils s'y prendraient pour conférer au Québec le pouvoir de nommer les juges de la Cour suprême du Canada, un sujet dont ils parlent et qu'ils ciblent comme une problématique, mais sans vraiment décrire clairement leurs intentions à cet égard.
Le prix à payer
Dans ce rapport, exit le droit des Québécois de choisir leur avenir. Il faudrait plutôt, à en croire les auteurs, que le Québec s'engage à ne plus jamais tenir de référendums sur la sécession. Jamais un premier ministre du Québec, même un fédéraliste, n'accepterait de prendre pareil engagement, qui consacrerait l'adhésion inconditionnelle du Québec au fédéralisme canadien, et cela, quel que soit le sens de l'évolution de ce dernier.
Cette position tranchée de la part des auteurs quant à la tenue éventuelle de référendums est d'ailleurs d'autant plus étonnante qu'eux-mêmes affirment que, au Canada, «il y a de plus en plus une centralisation des pouvoirs tendant de plus en plus vers un État tout puissant et unitaire».
Le rapport du Groupe Avenir Québec pèche donc par manque de clarté sur des questions pourtant fondamentales. La réconciliation nationale est certes un objectif noble, auquel je souscris d'ailleurs, mais rien ne saurait justifier qu'elle se fasse aux dépens des intérêts supérieurs du Québec. Pour l'instant, il est impossible de savoir quel prix les auteurs seraient prêts à payer pour atteindre cet objectif puisque leur rapport contient un trop grand nombre de généralités et d'imprécisions.
Cependant, une chose est claire, c'est que j'aime mieux présenter le Canada comme la meilleure option pour le Québec plutôt que de faire comme les membres du Groupe Avenir Québec et de présenter ce pays comme la seule option. Cela est, me semble-t-il, plus respectueux du droit des Québécois de choisir librement et collectivement leur destin.
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Benoît Pelletier, Professeur titulaire à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa et ex-ministre du gouvernement du Québec


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