Les 30 ans de la loi 101

La nouvelle conquête

Après la culture, faudrait-il une charte de la diversité linguistique?

Loi 101 - 30e anniversaire - Adoption de la loi 101

La Charte de la langue française -- de son petit nom «loi 101» -- fêtera demain ses 30 ans. Champagne? Oui et non. Certains acquis sont indéniables, mais il reste aussi beaucoup de progrès à accomplir, observe-t-on.

Elle a d'abord soulevé des passions enflammées avant de sceller, à l'usure, une paix sociale linguistique au Québec. Culte pour les uns, honnie pour les autres, la loi 101 de Camille Laurin soufflera demain ses 30 bougies. Avec quelques dents en moins, héritage des contestations juridiques, et un gros défi devant: s'adapter à la mondialisation.
«On applaudit souvent des oeuvres, mais c'est plus rare pour une loi.» En bon homme de théâtre qu'il demeure, Pierre Curzi, ancien président de l'Union des artistes et actuel porte-parole du Parti québécois en matière de culture et de communication, estime que la charte de M. Laurin mérite une forme d'ovation. «Elle n'a pas eu des débuts faciles, mais on peut aujourd'hui parler d'une loi digne, intelligente, qui a su évoluer pour devenir au fil des ans une loi de consensus, celle de la reconnaissance de soi.»
Il s'en trouvera toujours pour dénoncer «l'odieuse» loi 101 et contester ses paramètres. C'est inévitable. On en a eu un autre aperçu pas plus tard que mercredi, avec ce jugement de la Cour d'appel qui rouvre la brèche qu'avait colmatée le gouvernement en 2002 en ce qui concerne l'accès à l'école anglaise publique pour ceux qui ont d'abord fréquenté l'école anglaise privée non subventionnée.
Sur un horizon plus large, toutefois, l'époque du «101 bashing» semble révolue au Québec. La militance est moins forte. Les multiples amendements apportés au projet initial du Dr Laurin (notamment l'introduction de l'affichage bilingue avec prédominance du français) ont calmé le jeu, refroidi les ardeurs et permis ultimement l'instauration d'un cessez-le-feu sur le plan linguistique qui perdure, à quelques soubresauts près.
Ainsi, aujourd'hui, on ne discute plus de la pertinence de la Charte de la langue française. Le sondage SOM publié hier dans La Presse le montrait d'ailleurs éloquemment. Elle est là, intrinsèque au paysage québécois. Ancrée. Tellement qu'avant les événements de cette semaine, plusieurs se demandaient si le 30e anniversaire n'allait pas passer inaperçu.
«La Charte est en effet beaucoup moins présente dans les discussions aujourd'hui», note Louise Beaudoin, qui a longtemps été ministre responsable de l'application de la Charte, notamment lors du 20e anniversaire de celle-ci.
Maintenant chercheuse au Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (pour les questions de francophonie internationale), Mme Beaudoin perçoit «une perte de conscience de l'importance de la loi 101. On la tient pour acquis et on est moins vigilant. Alors il y a moins de sensibilité et de mobilisation autour d'elle. J'ai fait le test avec des étudiants l'an dernier: tous ont dit qu'ils étaient attachés à la Charte. Mais ça s'arrête là.»
International
Pourtant, selon Mme Beaudoin, ce «sentiment de sécurité est illusoire». Parce que, malgré les progrès réalisés depuis 1977 (voir autre texte), la loi 101 demeure fragile. La Cour d'appel est venue le rappeler mercredi. Et plusieurs craignent maintenant que les prochaines contestations juridiques de la Charte aient encore plus de force. Une raison: la mondialisation.
«Il y a 30 ans, on était dans une phase de reconquête, de Montréal et de l'économie, dit Louise Beaudoin. On peut dire que ce fut un succès global. Mais le contexte a beaucoup changé depuis: en est en pleine mondialisation. Et un des effets -- ou danger -- de cette mondialisation, c'est l'aplatissement des langues.»
L'ancienne ministre plaide donc pour que le Québec soit proactif dans la prévention de toute érosion possible de la loi 101 et de la langue française. La stratégie à suivre? «Il est essentiel d'aller sur la scène internationale et de se battre pour la diversité linguistique comme on l'a fait pour la diversité culturelle [ce traité n'aborde que de manière indirecte la question linguistique].»
L'idée d'adopter un traité sur la diversité linguistique n'a pas encore été beaucoup discutée dans le monde. N'empêche qu'ils sont quelques-uns au Québec à penser qu'il faudra emprunter ce chemin pour assurer une pérennité à la loi 101. «Je plongerais dans ce projet avec délice», indique Pierre Curzi, qui a beaucoup milité pour le traité sur la diversité culturelle.
La grande crainte qui commence à poindre, c'est le rapport de force entre le droit commercial et le droit linguistique. On chuchote que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) pourrait fort bien décider un jour de contester les dispositions des lois linguistiques sous prétexte qu'elles sont des entraves à la liberté du commerce. On recense d'ailleurs déjà quelques cas types en Europe. «Il vaut mieux prévenir, parce que le démantèlement total de la loi pourrait être possible dans le contexte actuel», affirme même Louise Beaudoin.
Dans un mémoire rédigé plus tôt cette année pour le Conseil supérieur de la langue française (CSLF), la consultante Christine Fréchette indique que «le statu quo pourrait être préjudiciable à la capacité des États à protéger et à promouvoir la diversité linguistique». Elle mentionne que «les seuls cadres législatifs québécois et canadiens ne suffisent plus en cette matière».
Selon Mme Fréchette, il apparaît donc «judicieux pour le Québec d'entamer le développement d'une stratégie à caractère international» ayant pour objectif de «préserver la capacité des États à légiférer dans le domaine linguistique». Autrement dit: créer, comme pour la diversité culturelle, un droit parallèle et non subordonné au droit commercial.
Cela légitimerait le droit des États à légiférer en vue de protéger une langue, écrit-elle. Ce serait bon pour le français, comme pour toutes les autres langues. Ainsi, un traité de ce type «consacrerait le rôle de la langue comme acteur du développement» et «favoriserait l'épanouissement des langues et de la diversité linguistique au sein des sociétés».
Selon Pierre Georgeault, directeur de la recherche et de l'administration au CSLF, l'adoption d'une charte sur la diversité linguistique est effectivement essentielle. Il évoque notamment le droit des consommateurs d'acheter des produits dont les étiquettes seront rédigées dans les langues officielles du pays où on les achète, ou celui des travailleurs de ne pas se faire imposer de travailler dans une autre langue que celles officiellement reconnues sur le territoire: une charte de la diversité linguistique permettrait aux États de légiférer en ce sens, en toute tranquillité.
«Ce serait une stratégie gagnant-gagnant, dit-il. On fait la promotion de la diversité linguistique et du multilinguisme. On sert le consommateur en offrant des produits dans la langue qu'il parle chez lui, on sert les travailleurs, les entreprises et les États. Au final, on "localise" le produit... et on protège la Charte.»
Précurseur en matière de diversité culturelle, le Québec pourrait aussi l'être en ce qui concerne la protection des langues, croit donc Louise Beaudoin. D'autant plus que le prochain Sommet de la Francophonie se tiendra à Québec l'an prochain. «L'occasion idéale pour discuter de cette idée et lancer la réflexion», souhaite-t-elle.


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