À l'automne de l'an 2000, j'ai eu l'honneur de présenter un mémoire à la Commission des États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec (commission Larose). Convaincu qu'il advient des peuples ce qu'il advient de leur langue, il m'était apparu que cette consultation de la société civile tombait à point nommé, la «question de la langue» donnant lieu à un débat qui, chez nous, refait surface de façon sporadique depuis plus d'un siècle.
Je m'étais déjà engagé dans ce débat de ma propre initiative dans quelques articles parus dans L'Action nationale, mais l'occasion était trop belle et je décidai de prendre de nouveau position sur un enjeu fondamental consistant à décider de l'usage que nous, Québécois, voulons faire de notre langue, la langue française.
Certes, cette décision appartient à chacun selon sa conscience et son inclination, mais elle nous appartient aussi collectivement et exclusivement: nul ne peut la prendre à notre place. C'est à nous, Québécois, qu'il revient de répondre à cette question: quel français voulons-nous pour nous-mêmes et pour nos enfants?
Cette question est toujours d'actualité, et elle est fondamentale dans tous les sens du mot. La langue est le premier caractère fondateur des peuples. Ce qui d'abord nous réunit, nous définit et nous distingue des autres sociétés au Canada et en Amérique du Nord, c'est que nous sommes de langue française. Et puisque nous sommes de langue française, nous devons aussi reconnaître que nous sommes de culture, de tradition et d'histoire françaises.
À celui que ce «nous» agace et inquiète et qui lui trouve un relent de xénophobie, il faut rappeler simplement ceci: est québécois celui qui dit qu'il l'est, sans fanatisme ni préjugé, loyalement, librement. La citoyenneté n'est pas une condition liée à la seule naissance, elle est l'affirmation d'un choix, et ce choix comprend celui de la langue publique, l'harmonisation de la culture propre à celle de la terre d'adoption et, enfin, le respect de ses lois et de ses institutions sociales et politiques.
À cet égard, la récente décision de la Cour d'appel relativement à l'accès à l'école anglaise est peut-être fondée sur des arguments juridiques, mais elle constitue une erreur de jugement. La situation du français et de la culture française en Amérique du Nord justifie amplement l'adoption de mesures législatives visant à en assurer la protection.
J'entends ici le mot «culture» au sens de la somme des expériences d'une société donnée à une période donnée de son existence et tout au long de son histoire. La culture, ce n'est pas que le violon, le tutu ou le fusain. C'est aussi le char à boeufs, le commerce et le télescope. Tous les domaines d'activité de n'importe quelle société, les valeurs qu'elle défend, ses codes de conduite, ses us et coutumes, tout cela procède de la culture, principe définitoire et distinctif à la fois stable dans ses traditions et instable dans son évolution.
C'est ainsi que, malgré des règles strictes et des méthodes reconnues et éprouvées, il existe bien des façons de jouer du violon. De même, l'ordinateur le plus perfectionné l'est déjà moins que celui de la génération qui tout à l'heure le remplacera. On améliore les techniques connues, on en invente d'autres. Au fil du temps, les valeurs changent, et ce que nous savons de l'univers évolue au rythme de nos observations, réflexions et découvertes.
Or c'est dans sa langue qu'un peuple vit et exprime sa culture. Si on est de langue française, c'est en français qu'on observe et qu'on décrit le monde, qu'on le réfléchit et qu'on en témoigne. Ce qu'on regarde, on l'évoque spontanément avec des mots français. On voit le ciel et on pense ciel, ou firmament, ou bien, selon l'heure du jour ou de la nuit et si on a tant soit peu l'âme à la poésie, azur, voûte étoilée ou sphère céleste, ou encore, si on est féru d'astronomie, nadir, zénith, zodiaque, cosmos ou constellation, nébuleuse, galaxie... tous des mots français ou qui le sont devenus après avoir voyagé dans le temps et sous d'autres latitudes.
«Ciel» vient tout droit du latin classique, «firmament» est du latin religieux, «azur» nous vient du persan, «voûte» et «étoile», du latin vulgaire après avoir germé dans le latin classique, «nadir» et «zénith» sont de l'arabe, «zodiaque» et «cosmos», du grec, «constellation» et «nébuleuse» dérivent du latin et «galaxie» vient aussi du latin, qui l'avait emprunté au grec: autant de mots passés dans l'usage courant, savant ou littéraire.
Ces quelques exemples témoignent de l'universalité de la culture française et de la langue dans laquelle elle s'exprime. La loi 101 avait et a toujours pour objet de défendre et d'illustrer la langue française en Amérique. Elle n'est «contre» aucune autre langue, surtout pas l'anglais. Vouloir saper cette loi, qui est un modèle de respect des autres groupes linguistiques, c'est croire qu'on apprend à mieux danser en donnant des coups de pied dans les jambes de son partenaire. Le Québec offre une société culturelle de langue française à quiconque veut en faire partie. Une telle société n'existe nulle part ailleurs en Amérique. Il est légitime qu'elle adopte des mesures destinées à se protéger elle-même tout en favorisant l'intégration de ceux pour qui elle est une terre d'accueil. Or, semble-t-il, le dernier mot n'a pas encore été dit là-dessus.
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Richard Weilbrenner, Sutton
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