Chinlee Choo-Foo, 32 ans, enseignante de français et d'anglais langues secondes
Photo Robert Mailloux, La Presse
Mes ancêtres étaient des Chinois établis à l'île Maurice, une île de l'océan Indien que mes parents ont quittée pour la Grande-Bretagne, puis pour le Québec, où ils sont arrivés en 1971. Je suis venue au monde trois ans plus tard.
Pour ma mère, c'était très important que ma soeur et moi étudiions en français. Elle ne s'est jamais sentie brimée d'être obligée de nous envoyer à l'école dans cette langue. Au contraire, elle en était plutôt fière. Il faut dire qu'elle parle le français, l'anglais, le créole mauricien et le hakka, une forme hybride du mandarin, que l'on parle dans l'Île Maurice.
Nous parlions l'anglais et le créole à la maison, mais nous avons étudié en français jusqu'à la fin du secondaire. Au cégep et à l'université, par contre, j'ai fréquenté des établissements anglophones, ce qui fait que je maîtrise maintenant les deux langues. On me dit que je n'ai pas d'accent, ni en français ni en anglais.
J'ai beaucoup d'amis immigrés qui vivent à Montréal. Ce que je remarque, c'est qu'ils parlent tous au moins trois langues, si ce n'est pas plus. Quand on est polyglotte, on a plus de chances d'être ouvert d'esprit. C'est une des conséquences les plus heureuses de la Loi 101!
Ce qui est dommage, par contre, c'est qu'une partie de la population québécoise - tant anglophone que francophone - est unilingue. Je trouve qu'on est limité lorsqu'on ne parle qu'une langue. On décroche un bon emploi bien plus facilement quand on est bilingue, selon moi.
Apprendre le français m'a beaucoup apporté. Parce que maîtriser une langue, c'est une forme de pouvoir. Ça permet de s'adapter à toutes sortes de réalités et de mieux s'intégrer à des milieux différents du nôtre.
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Tarek Saad, 28 ans, consultant en management
Je suis arrivé au Québec en 1988, quand j'avais 10 ans. Mes parents sont d'origine libanaise, mais j'ai grandi en Arabie Saoudite. Quand nous sommes arrivés, ils nous ont inscrits, mon frère, ma soeur et moi, dans une école privée qui faisait partie des lycées français à l'étranger.
En plus de l'anglais et de l'arabe, je parlais déjà le français. Mais j'ai eu terriblement de difficulté à étudier dans cette langue. Je ne sais pas si c'est à cause du modèle d'enseignement, mais j'ai eu plusieurs échecs dans mes cours d'orthographe.
Après quatre ou cinq ans, mes parents m'ont inscrit dans une autre école privée. En anglais, cette fois. D'ailleurs, je ne sais pas comment ils ont fait pour échapper à la Loi 101.
Quand l'école a commencé à accepter des subventions gouvernementales et qu'elle a dû se plier à la Loi 101, certains de mes amis ont été expulsés du collège. J'étais alors adolescent, donc je ne comprenais pas trop pourquoi ils n'avaient plus le droit d'étudier en anglais. J'ai eu peur d'être renvoyé moi aussi. Je craignais de perdre mes amis.
J'ai continué tout mon parcours scolaire en anglais, au cégep puis à l'université. J'ai étudié un an en business à Concordia. Puis j'ai terminé ma formation à l'université du Maryland. Je vis et je travaille maintenant tout près de Washington DC.
Maintenant, je comprends mieux l'objectif de la loi et je le trouve louable. Mais moi, je connaissais le français. Je trouvais injuste de devoir absolument étudier dans cette langue.
Je trouve que les immigrants devraient pouvoir passer un examen de français. S'ils prouvent qu'ils sont capables de le parler et de l'écrire, ils devraient avoir le droit d'envoyer leur enfant dans une école francophone ou anglophone.
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Pholysa Mantryvong, 24 ans, ingénieur stagiaire
Photo Martin Chamberland, La Presse
Mon père est d'origine thaïlandaise et ma mère est laotienne. Elle était enceinte de moi quand ils ont fui le régime communiste laotien, en 1981, pour se rendre en Thaïlande. Comme des milliers d'autres, ils ont dû traverser le Mékong à la nage pendant que les soldats révolutionnaires leur tiraient dessus. On dit que le fleuve n'a jamais été aussi rouge.
J'ai passé les premières années de ma vie dans un camp des Nations unies à Nakhon Phanom, en Thaïlande. C'est de là que mes parents ont fait des démarches pour immigrer au Québec. À notre arrivée, en 1986, nous avons été parrainés par une paroisse chrétienne de Saint-Basile-le-Grand qui aidait les «boat people». Ils ont conseillé à mon père de m'envoyer dans une classe d'accueil, ce qu'il a catégoriquement refusé. Il s'est dit: «Mon fils est assez intelligent, il va passer au travers.»
J'ai fait toutes mes études en français, de la garderie à l'université. Je n'ai pas trouvé ça difficile d'apprendre la langue. Je me souviens d'avoir appris grâce à des jeux, des comptines et des pictogrammes. À la maison, par exemple, on ne parlait jamais français. Tout se passait soit en laotien, soit en thaï, ce qui fait que je parle maintenant quatre langues.
Le français, pour moi, est très lié à une identité et à une culture. Je me trouve chanceux d'avoir appris cette langue, mais il faut vraiment maîtriser aussi l'anglais. D'ailleurs, j'aurais peut-être dû aller au cégep ou à l'université en anglais.
L'intention de la loi 101 est très valable. Mais je me rends compte que, pour réussir à gravir les échelons du monde du travail, il faut parler la langue des affaires.
Je crois que mes parents ne comprenaient peut-être pas l'importance de savoir parler l'anglais quand ils sont arrivés. Comme bien d'autres immigrants, ils étaient plutôt en mode «survie». Avoir su, ils auraient peut-être fait plus d'efforts pour qu'on l'apprenne tôt.
Nous, Tarek, Pholysa, Chinlee, enfants de la Loi 101
Marie-Ève Blain-Juste a recueilli les propos de trois jeunes adultes dont la vie a été profondément marquée par l'adoption de la Loi 101.
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