Le ministre des Affaires étrangères, John Baird, a fait retirer les deux Pellan accrochés au mur du hall d'entrée de l'édifice Lester B. Pearson. Les œuvres, jadis commandées par le gouvernement canadien, s'y trouvaient depuis près de quarante ans. Selon le porte-parole du ministre, le mur aurait désormais «une nouvelle vocation». «Le Mur de la souveraine est un hommage digne de notre chef d'État, la reine Elizabeth II», écrit le ministre dans un courriel. Une bien curieuse expression que ce «Mur de la souveraine» avec sa majuscule qui le dresse bien au-dessus de la tête des «sujets», qu'ils soient ou non d'accord avec l'érection du totem monarchique.
Nous sommes mis devant le fait accompli d'un acte symbolique du pouvoir, et cet acte est un performatif dont le discours implicite pourrait être entendu ainsi: «Désormais, cessez de tenir pour acquis votre statut de citoyens et faites-vous à l'idée de vous soumettre à l'autorité souveraine sans partage que nous vous opposons avec ce Mur exhibant l'icône de notre Majesté.»
Certes, je traduis: un acte manqué et un lapsus. Je n'ai pas besoin de savoir ce qui passe par la tête d'un Baird, d'un Harper ou de leurs collègues: leurs décisions, leurs actes parlent pour eux. La politique autoritaire que ce gouvernement a commencé de mettre en place doit «respecter» les apparences de la démocratie telle que garantie par la Constitution. Il lui faut donc évaluer le seuil de résistance que lui oppose la société civile de manière à calculer jusqu'où aller trop loin sans risquer une ruineuse déconvenue.
Pour assurer leur emprise, les régimes fascistes ne pouvaient faire autrement que «mettre au pas» les récalcitrants: les adversaires politiques, mais aussi les intellectuels et les artistes. Ils ont stigmatisé et réprimé ceux qu'ils désignaient à la vindicte publique comme représentants de «l'art dégénéré».
La mise au rancart des deux Pellan ne signifie rien de moins, par son «message», implicite mais manifestement brutal, qu'un acte d'hostilité déclarée à l'endroit de tous ceux qui revendiquent et mettent en oeuvre la liberté de penser et de créer. Et beaucoup, parmi eux, dans le droit fil du Refus global, le font en sachant fort bien qu'ils ont la chance d'entretenir chez beaucoup de leurs concitoyens le goût de la liberté, de la dignité et de la probité. Un risque de «contagion» que les régimes autoritaires ne tolèrent pas et qu'ils réprouvent avec une rage froide, usant à cette fin les écrasants moyens dont ils disposent.
Non, l'entreprise à la fois créatrice et citoyenne qu'est le Wapikoni de Manon Barbeau n'a pas été passée à la trappe en raison d'une simple mesure administrative.
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Paul Chamberland - Le 28 juillet 2011
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