Pratterie

La « lucidité » ravalée

Donner à l'erreur des accents de vérité ou les vicissitudes du mercenariat à la solde de Power

Chronique de Richard Le Hir



Confronté à l'évidence, André Pratte a fini par admettre indirectement hier dans La Presse que la thèse des Lucides avait du plomb dans l'aile. Il faut dire qu'il n'avait plus beaucoup le choix. La mise en garde lancée au début de la semaine dernière par Paul Krugman, le Nobel de l'économie également chroniqueur au New York Times, contre le risque imminent d'une nouvelle Grande Dépression si les gouvernements des pays touchés par la crise financière ne poursuivaient pas des politiques actives de stimulation de leur économie quitte à s'endetter davantage, rendait sa thèse intenable en plus de l'exposer au ridicule.
Mais André Pratte, mercenaire du verbe à la solde de Power et donc contractuellement réduit à faire preuve de mauvaise foi intellectuelle, ne pouvait évidemment pas accepter de perdre complètement la face sans risquer de perdre toute crédibilité et autorité pour pontifier du haut de sa tribune éditoriale. Il s'est donc accroché à la branche que lui tendait la Banque des Règlements Internationaux (BRI), la banque centrale des banques centrales (ne cherchez pas de guichets au coin de la rue) qui répétait cette semaine le credo de toutes les banques centrales de la planète, à savoir que les déficits doivent être réduits.
Il faut lire attentivement son texte pour découvrir toute la suavité jésuistique de son argumentation. Il reproche paternalistement à Krugman (ça prend-tu un front d'bœuf !) de s'être surtout concentré sur le cas des États-Unis qui n'ont pour le moment aucune difficulté à financer leur dette, alors que d'autres pays, et notamment les pays européens, éprouvent de plus en plus de difficulté à le faire, ce qui ne leur laisse guère d'autre choix que de réduire leurs déficits.
Et c'est tout à fait vrai, même si le fait de se poser en arbitre des choix qu'ont à faire les États-Unis et les pays européens constitue de sa part le comble de la prétention. Qui est-il pour ce faire ? Mais le vrai vice de son procédé, c'est qu'en procédant de la sorte, il évite d'aborder le cas du Québec, dans l'orbite de l'économie américaine, et donc visé par la mise en garde de Krugman.
C'est un vieux truc de jésuites. Quand vous êtes coincé par un argument de votre interlocuteur, vous discourez autour du sujet en cédant un peu de terrain au nom de « l'objectivité », et vous vous gardez bien de mettre en relief la faille de votre argumentation.
Il ne serait guère réaliste de s'attendre à ce qu'André Pratte se flagelle en public lorsqu'il est pris en flagrant délit d'erreur, et a fortiori quand il est payé pour donner à l'erreur des accents de vérité. Le fait qu'il « ajuste » aussi rapidement son discours constitue cependant une preuve de la force avec laquelle il s'est senti interpellé, et des dommages qu'infligeait Krugman à la doxa des Lucides. Espérons tout de même que sa mise en contradiction avec l'un des économistes les plus réputés de notre époque l'aura rendu un peu plus circonspect dans le recours aux affirmations à l'emporte-pièce.
En effet, quand on examine les dernières données statistiques sur la performance de notre économie, on constate que la reprise tant annoncée n'est pas au rendez-vous et qu'il n'y aura bientôt plus d'autre choix que de sortir la planche à billets ou alors se condamner à vivre une autre Grande Dépression, en toute lucidité...
Auteur : Richard Le Hir


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