Pour relancer au plus vite la croissance économique, le G20 veut éliminer les déficits d'ici 2013. Cela suppose des mesures d'austérité faisant reposer la relance sur un recul des conditions socio-économiques des populations doublée d'indifférence quant à la dégradation de l'environnement. Quant aux sociétés qui oseraient contester ces politiques, elles peuvent s'attendre à une répression policière et étatique musclée. Ainsi, le retour à la croissance économique s'édifie ainsi à travers une double «récession» humaine et écologique.
Vers la récession humaine
Les États ont investi 20 000 milliards de dollars de fonds publics pour tenter d'endiguer la débâcle causée par la dernière crise du capitalisme, une somme qui fait paraître dérisoire les peccadilles (5MM$) consenties en santé maternelle par les pays les plus riches et les plus puissants du monde. Cela a permis d'endiguer le pire, mais n'a pas pour autant relancé la croissance économique. C'est pourquoi les pays du G20 préconisent des réductions de dépenses et hausses de taxes. Le Fonds monétaire international (FMI), pour sa part, appelle à des réformes des retraites, de l'assurance-maladie et des plans de réduction de la dette. En clair, pour ramener la croissance, il faudra sacrifier le peu qu'il reste encore de l'État social.
La lourde répression qui s'est abattue sur la population grecque annonce ce qui attend le reste de l'Europe et du monde dans la prochaine décennie : pour retrouver la croissance, il faudra briser les résistances des peuples avec un dispositif de contrôle social sans précédent. Les services publics seront comprimés ou privatisés, et les travailleurs et travailleuses appelés à faire des concessions pour dégager de nouveaux gains de productivité et rehausser le taux de profit. La reprise de la croissance se fera ainsi au moyen d'une «récession humaine», c'est-à-dire un recul des conditions socio-économiques des populations doublé de répression.
La récession écologique
De plus, il faudra, pour continuer à produire comme on le fait, fermer les yeux sur la dégradation irréversible de l'environnement. Cela était déjà manifeste à Copenhague, où la Chine, appuyée par les États-Unis et l'Inde, avait refusé de fixer des objectifs clairs de réduction des émissions causant le réchauffement global, estimant que cela l'obligerait à renoncer à la «croissance économique à deux chiffres».
De manière conséquente, à Toronto, les conservateurs voulaient éviter à tout prix de parler d'écologie, priorisant la relance de l'économie, et ceci au moment même où l'on assiste à l'une des pires catastrophes écologique de l'histoire récente: cette marée noire qui continue d'engluer le Golfe du Mexique. Peut-on continuer longtemps de rechercher la croissance sans égard à ce que le capitalisme fait subir à la nature?
L'obsolescence de la croissance et du capitalisme
L'expansion du capitalisme semble être devenue plus importante que notre existence propre, de celle du vivant et de la Terre. La croissance, pourtant, n'est pas synonyme de bien-être ou de justice sociale. Pire encore, elle est actuellement le moteur d'inégalités et de destructions écologiques sans précédent. Nos sociétés n'ont jamais autant produit, mais nous voyons des écarts de richesse titanesques, et nous surproduisons quantité de marchandises superflues et polluantes. La croissance cannibalise la substance même de la vie pour la transformer en dollars.
Plutôt que de relancer en toute hâte le capitalisme, la crise aurait dû amener à reconnaître que les ratés structurels et récurrents du capitalisme le rendent objectivement dépassé. Plutôt que de tenter de relancer la croissance capitaliste, il faut remettre en question la possibilité même de continuer à poursuivre une croissance infinie dans un monde qui révèle de plus en plus sa finitude et sa fragilité. Pourquoi faudrait-il sans cesse produire davantage de biens et de richesses jusqu'à l'overdose de marchandises ou la défiguration de la nature?
L'écologie politique a mis de l'avant l'urgence de réfléchir à la décroissance. Et encore, il faudrait renverser la priorité accordée à l'accumulation de richesse et à la croissance en soumettant la production à des objectifs définis socialement et politiquement. Les sociétés ne peuvent plus s'organiser autour de la croissance de l'argent comme valeur principale et doivent remettre l'économie au service des sociétés et du respect des écosystèmes. Autrement, nous continuerons de traiter les populations et la nature comme des instruments au service de la reproduction infinie de l'argent.
L'issue du G20 n'est guère surprenante compte tenu des intérêts économiques auxquels sont liées les grandes puissances. Mais cela devrait être source d'inquiétude pour les populations, tout autant que la répression policière démesurée qui a caractérisé le dernier week-end. Voilà qui donne un avant-goût de la violence qui accompagnera la récession humaine et écologique qui s'amènent, le tout pour faire durer artificiellement une croissance et un système économique obsolètes et fondés sur la double exploitation des populations et de la nature. Ces questions exigent une réflexion profonde, plutôt qu'une condamnation péremptoire des manifestant-e-s, hormis peut-être si l'on tient plus à quelques vitrines qu'au monde qu'ils et elles essaient de nous réapprendre à voir par-delà les marchandises qui garnissent les étalages et reproduisent la violence de la logique de croissance.
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Eric Martin, doctorant en science politique, Université d'Ottawa
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