La langue électorale

L'affaire Arcand

On pourrait mettre en exergue de cette chronique cette phrase immense d'Albert Camus: «C'est ajouter au malheur du monde que de mal nommer les choses.» Dommage que Pierre Arcand, candidat-vedette du Parti libéral, n'ait trouvé personne pour lui souffler le texte de l'écrivain. Il se serait abstenu d'associer le chef de l'ADQ à Jean-Marie Le Pen, celui-là même qui assura un jour que les camps nazis furent un détail de l'histoire du XXe siècle, celui-là même qui fermerait les frontières de la France aux immigrants et celui-là même qui croit à la supériorité des Maurice sur les Mohammed. Mais cette attaque contre le menaçant Mario Dumont, celui qui risque aujourd'hui de perturber l'enjeu électoral, devrait rendre prudents tous ses adversaires pendant la campagne qui sera annoncée d'ici peu.
Si la rectitude politique n'avait pas enfermé dans le silence l'élite qui se dit progressiste et une partie des intellectuels devant les compromissions douteuses dont ont bénéficié certains extrémistes religieux, on n'en serait peut-être pas là aujourd'hui. C'est l'accumulation de décisions aussi douteuses que délirantes qui a exacerbé une opinion publique portée plutôt à la tolérance et au pragmatisme. De même qu'il doit y avoir apparence de justice pour qu'existe la justice, de même faut-il que les accommodements raisonnables apparaissent, à leur face même, raisonnables. D'où le malaise, ce sentiment d'inconfort social qui, évidemment, peut en s'accentuant mener à pire. Mario Dumont, enraciné dans son terroir, sans complexe par rapport au dandysme urbain, sans états d'âme pour surfer sur l'inquiétude populaire, a apparemment réussi à incarner, selon les sondages, ce peuple majoritaire qui se considère bousculé. Vieille habitude, le surf, chez M. Dumont, qui s'est un jour porté à la défense de Jeff Fillion, le populiste populaire de cette ville de Québec, laquelle revendique sa distinction avec plus d'efficacité de nos jours que l'État québécois dans son entier.
Bien téméraires seront les candidats des autres partis qui attaqueront Mario Dumont sans y mettre la manière. Il faudra éviter de plaquer sur lui toutes les épithètes peu flatteuses dont on a affublé les gens d'Hérouxville si on ne veut pas risquer de blesser le peuple au nom duquel il assure parler. Les armes qu'il faudra fourbir sont celles de la raison, de la prudence et de la responsabilité. Cela fait peut-être de piètres manchettes dans les médias, convenons-en, mais cela évite de transformer la campagne électorale en caisse de résonance de toutes les outrances et de tous les préjugés.
C'est bien connu, les Québécois manient la langue avec vigueur, et s'ils n'aiment pas être bousculés eux-mêmes, ils ne se privent pas pour bousculer cette langue. Il faut espérer que les candidats, tous partis confondus, s'exprimeront avec la rigueur qu'exigent non seulement les règles qui régissent le français mais aussi celle qui rendra honorable cette campagne. Par exemple, M. Dumont devra cesser d'user de qualificatifs inacceptables pour désigner la fonction de premier ministre. Il a déclaré jeudi que Jean Charest était un «petit» premier ministre, voulant sans doute entendre par là que celui-ci n'est pas à la hauteur de la fonction. «Y a rien là», diront certains. Eh bien oui. Les institutions et certaines fonctions qui leur sont indissociables doivent être respectées si on veut vivre dans la décence sociale. Il n'existe ni de «petit» premier ministre, ni de «petit» chef de l'opposition, ni de «petit» juge en chef. N'existent que des gens qui ne sont pas toujours compétents ou dignes des fonctions à caractère hautement symbolique qu'ils occupent de façon circonstancielle. Prions le ciel que les candidats s'abstiennent aussi de s'exprimer comme des personnages qu'on retrouve dans plusieurs téléromans ou miniséries du cru. Espérons aussi qu'ils tempèrent leurs attaques. Qu'ils laissent au vestiaire les expressions qui «frappent dans le dash», pour citer le coloré et néanmoins démolisseur de la langue française que fut Jean Chrétien.
Est-ce trop demander à ceux qui souhaitent nous représenter de ne pas se répandre sur les tribunes qu'on leur accordera, le couteau entre les dents et l'insulte à la bouche? Est-ce trop exiger de s'attendre à ce que nos futurs élus choisissent judicieusement leur vocabulaire et pèsent bien leurs mots? Est-ce irréaliste de penser qu'en dépit du combat des chefs, ceux-ci policent leur langue et bannissent les qualificatifs comme «fasciste», «xénophobe», «traître», «raciste», «vendu», si chers à certains? En campagne électorale, la plus grande faiblesse est de finir par haïr l'adversaire plutôt que de mettre en pièces ses arguments. Sait-on encore discuter dans ce pays? De plus, comment ne pas s'interroger sur l'influence des si populaires émissions de gueulards et autres iconoclastes verbeux qui usent des mots comme d'oeufs pourris contre des candidats peu scrupuleux pour qui tous les moyens seront bons pour rejoindre l'électorat? À force d'entendre les uns et les autres s'envoyer c... dans les médias, certains candidats se sentiront-ils autorisés à faire de même afin de ne pas dépayser ce «monde ordinaire» si cher à leurs yeux au moment de glisser leur bulletin de vote dans l'urne?
denbombardier@vidéotron.ca


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