Le Pen ou Sarkozy?

L'affaire Arcand


Comme dérapage, c'est difficile à battre, réussissant l'exploit de cumuler trois effets négatifs: pour le politicien concerné tout d'abord, son parti ensuite, sans oublier le Québec tout entier.
En comparant hier le chef de l'ADQ, Mario Dumont, au leader français d'extrême droite, Jean-Marie Le Pen, la nouvelle vedette libérale, Pierre Arcand, a manifesté un troublant manque de jugement qui augure mal pour sa carrière politique. Il a compté dans les buts de son propre parti, jetant de l'huile sur le feu dans le délicat dossier des accommodements raisonnables, faisant en sorte qu'il en sera question dans la campagne électorale qui commence, en dépit de la commission d'enquête Bouchard-Taylor.
La dernière chose dont le Québec a besoin enfin, c'est d'une démonisation dont la France commence à peine à se sortir: cela a empêché trop longtemps là-bas toute discussion sur des thèmes essentiels pour toute société, que ce soit le travail, la famille ou l'immigration, confisqués de façon malsaine par un Front national exclu de la communauté politique française.
Une droite qui s'assume
S'il y a une leçon à tirer de l'expérience française, c'est bien qu'une telle démonisation ne mène nulle part. Et puisque l'on est dans les comparaisons franco-québécoises, la sortie de M. Arcand permet d'attirer l'attention sur le fait que le politicien français avec lequel Mario Dumont a objectivement le plus d'affinités est non pas Jean-Marie Le Pen, mais bien Nicolas Sarkozy, le candidat de la droite qui a beaucoup de chances de devenir le prochain président de la France.
Comme Dumont, Sarkozy s'est au départ voulu le candidat d'une droite qui s'assume plus franchement que par le passé; comme Dumont, il s'est voulu aussi porteur d'un certain radicalisme s'exprimant, entre autres, dans le concept de rupture avec le passé, ces nécessaires réformes dont a impérieusement besoin une France bloquée, attendant trop le drame et la crise pour changer.
«Sarkozy s'est voulu». On emploie l'expression au passé parce qu'on peut se demander si la dynamique de l'élection présidentielle française n'est pas en train d'amener le candidat de la droite à atténuer, voire à abandonner ce radicalisme qui était au coeur de sa force politique de départ. Le phénomène en lui-même n'aurait rien de bien nouveau, s'étant auparavant produit avec Jacques Chirac lui-même. Au départ surnommé «le bulldozer», l'énergique président français fut progressivement amené à gaspiller le pouvoir politique considérable qui fut le sien en se limitant à gérer le statu quo, quitte à faire la politique de ses adversaires de gauche quand il a confirmé par exemple les funestes 35 heures.
Nicolas Sarkozy apparaît poussé par un système politique profondément conservateur à se normaliser, passant de «la rupture» à «la rupture tranquille», puis à plus de rupture du tout: le candidat de la droite n'en parle plus en tout cas dans ses discours. Si l'on veut poursuivre l'analogie avec le Québec, Nicolas Sarkozy est-il condamné à ressembler de moins en moins à Mario Dumont et plus en plus à Jean Charest, lui aussi imprégné au départ d'un certain radicalisme porteur de changement - que l'on se souvienne de sa référence à Mike Harris qui avait provoqué l'indignation de Lucien Bouchard? Le radicalisme de M. Charest s'est graduellement atténué une fois devenu premier ministre et on peut douter que son gouvernement soit maintenant porteur de changement profond pour le Québec.
Un mot sur ce concept de radicalisme qui a mauvaise presse dans une société molle comme le Québec où on le confond souvent - à tort - avec l'extrémisme. On ne saurait pourtant se passer d'un certain radicalisme pour enclencher le changement dans des sociétés bloquées comme le sont actuellement la France et le Québec, l'ancien premier ministre Lucien Bouchard en étant venu lui-même à l'admettre.
En ce sens, on peut se demander si Mario Dumont n'est pas actuellement le principal porteur de changement au Québec, comme l'a démontré le dossier de l'accommodement raisonnable, la commission Bouchard-Taylor elle-même devant son existence au leader de l'ADQ.
Ce n'est pas le cas du parti Québec solidaire, porteur d'un radicalisme idéologique d'inspiration marxiste déconnecté du réel. Et au-delà d'une souveraineté de plus en plus théorique, le PQ apparaît véhiculer une autre version du statu quo, alors qu'il faudrait un autre article pour décrire les troublantes analogies entre André Boisclair et Ségolène Royal.
Christian Dufour
Professeur à l'ENAP, l'auteur vient de publier Le défi français - regards croisés sur la France et le Québec (Septentrion 2006).


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