La « jubilation d’apprendre »

« Les années qui viennent doivent être celles d’une nouvelle hiérarchie des valeurs, au sommet de laquelle la science, l’intelligence, la volonté d’apprendre et de transmettre seront les vertus les mieux reconnues et les plus respectées, bien davantage que l’argent. »

Crise sociale - printemps 2012 - comprendre la crise



Cela se passait dans le jardin des Tuileries, à Paris, pas plus tard que mardi. Le discours s’annonçait ennuyeux comme tant de discours officiels. Les invités avaient pris place sur les chaises alignées. Heureusement, plusieurs dizaines d’enfants égayaient la scène. Tout à coup, le déclic s’est produit. Était-ce à cause d’un mot, du ton ou du rythme de la voix ? Allez savoir.
Mais surtout, il y eut cette phrase : « Les années qui viennent doivent être celles d’une nouvelle hiérarchie des valeurs, au sommet de laquelle la science, l’intelligence, la volonté d’apprendre et de transmettre seront les vertus les mieux reconnues et les plus respectées, bien davantage que l’argent. »
Ces mots n’ont pas été prononcés par un étudiant hirsute. C’était ceux du nouveau président français, François Hollande, qui avait symboliquement choisi comme tout premier geste de son mandat d’honorer Jules Ferry, le père de l’école laïque, gratuite et obligatoire. En entendant évoquer le « bonheur de la connaissance », le « sens de la curiosité intellectuelle », la « liberté souveraine de l’esprit » et la « jubilation d’apprendre », vous ne devinerez pas à qui j’ai pensé.
J’ai songé à ces milliers d’étudiants québécois qui défilaient probablement au même moment dans les rues de Montréal. À ceux-là mêmes qui manifestent jour et nuit depuis bientôt deux mois. Et je me suis dit que jamais ils n’avaient entendu de tels mots dans la bouche d’un responsable politique, et encore moins d’un premier ministre.
Et je n’ai pu m’empêcher d’imaginer que si, quelque part, un ministre québécois ou même un premier ministre - on peut toujours rêver - avait l’intelligence de s’adresser à eux avec cette hauteur de vue et cette profondeur de réflexion sur le sens et le rôle de l’éducation, et bien peut-être que nos étudiants reconnaîtraient cette autorité morale et intellectuelle. Peut-être surtout seraient-ils rassurés sur l’importance que nos élites accordent à l’éducation et qu’ils rentreraient en classe convaincus qu’ils n’étaient pas gouvernés par de vulgaires vendeurs de chars.
Car, au-delà des détails de ce qui s’est discuté au sommet du complexeG, cette révolte étudiante ne peut pas s’expliquer par l’action de quelques extrémistes comme certains, trop prompts à se rejouer Mai 68, semblent le croire. Ces étudiants feraient de toute façon de piètres soixante-huitards, eux qui réclament plus de présence de l’État, plus de réglementation et moins de gaspillage. Ce conflit révèle plutôt l’absence complète d’autorité de l’État et la profonde crise de confiance qui gangrène la société québécoise. Et je ne parle pas ici de l’autorité de la matraque, mais de la seule qui compte, celle qui s’impose d’elle-même par sa hauteur de vue et sa force de conviction.
C’est de cette hauteur de vue qu’a fait preuve François Hollande aux Tuileries en affirmant que l’école était le lieu de la connaissance et du savoir. Pas celui des sempiternelles « compétences » bonnes à formater de bons employés. Il a ensuite affirmé que l’école était le lieu de la « véritable égalité », celle « qui ne connaît comme seuls critères de distinction que le mérite, l’effort, le talent, car la naissance, la fortune, le hasard établissent des hiérarchies que l’École a pour mission, sinon d’abolir, du moins de corriger ».
Plus encore, ce discours présente l’éducation non pas comme un simple droit, mais comme un devoir : « Personne ne peut se voir refuser ce droit, nul ne peut s’exonérer de ce devoir. » Or, n’est-ce pas parce que l’éducation est un devoir auquel tous sont tenus que l’État a la responsabilité d’en garantir, sinon la gratuité, du moins de faire en sorte qu’elle ne soit pas réduite à une vulgaire marchandise, et les étudiants à de simples consommateurs ?
Écoutez au contraire quels sont les mots qui reviennent en permanence dans la bouche de nos recteurs et des ministres du gouvernement québécois ? « Investissement », « réussite », « succès », « compétition internationale », « mondialisation » ! Il n’est jamais question de former des êtres plus libres, mais simplement plus riches. L’éducation ? Elle n’est qu’un « investissement », pas un bien en soi. Les diplômes ? Une garantie de réussite et de gros salaires. Le savoir ? Une marchandise qui rapporte et qu’il faudrait donc payer au juste prix. Et l’on s’étonne qu’une partie de la jeunesse ne pense pas ainsi ? Il ne viendrait évidemment pas à l’idée de ces comptables qu’un étudiant est au contraire celui qui fait le sacrifice d’un salaire immédiat sans pourtant la moindre garantie pour l’avenir.
Sans être un partisan de la gratuité universitaire à tout prix, le philosophe belge Philippe Van Parijs avait bien compris cette propension des États modernes. C’est pourquoi il affirmait que « tout ce qui contribue à transformer la relation de nos étudiants aux institutions d’enseignement et à la communauté politique dont elles relèvent en une relation purement mercantile, loin d’apporter une solution au problème, ne fera que l’aiguiser ».
Le gouvernement québécois a-t-il jamais exprimé d’autres considérations à l’égard de l’éducation ? L’université ne semble pour lui qu’un passage obligé pour s’assurer un avenir confortable. Comment se surprendre alors que ce même gouvernement n’ait pas plus d’autorité qu’un vendeur de chars ?


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