La fin de l'Histoire?

France-Québec : fin du "ni-ni"?

Le président Sarkozy a dit, il y a dix jours, aimer d'un même grand amour le Canada et le Québec, et surtout ne pas vouloir choisir entre l'amitié de l'un et de l'autre. Or toute l'histoire des 40 dernières années démontre qu'il y a des moments où un choix doit être fait, une préférence, exprimée.

Il en a été ainsi en 1970, au moment de la création de l'Agence de coopération culturelle et technique, alors que Robert Bourassa était premier ministre et Georges Pompidou président de la République; en 1985, lors de la mise sur pied des Sommets de la Francophonie, sous René Lévesque et François Mitterrand; en 1998, dans le dossier de la diversité culturelle, sous Lucien Bouchard et Jacques Chirac.
À chacune de ces occasions, comme dans beaucoup d'autres, la France, en mettant son poids dans le même plateau de la balance que celui du Québec, lui a permis de prendre sa place, de parler de sa propre voix et de rayonner sur la scène internationale, ce que lui refusait le gouvernement canadien. Ce faisant, la France a accepté de froisser ponctuellement le gouvernement fédéral. Sans cet appui indéfectible, le Québec ne posséderait pas la personnalité internationale qui est la sienne aujourd'hui et serait resté en cette matière, au grand plaisir de plusieurs au Canada, une province comme les autres.
Nicolas Sarkozy souhaiterait, si on comprend bien le sens de sa nouvelle doctrine de l'amour universel, que la France demeure dorénavant neutre en toutes circonstances et n'appuie plus jamais le Québec dès le moindre froncement de sourcils du côté d'Ottawa.
Le président français serait-il devenu un émule de Francis Fukuyama, cet historien américain qui, après la chute du Mur de Berlin, avait, se trompant royalement, prévu la fin de l'Histoire? Croit-il vraiment qu'il n'y aura plus jamais de litiges entre Québec et Ottawa, que l'Histoire se figera et que la France n'aura plus à choisir le Québec comme l'ont fait, lorsque c'était nécessaire, tous ses prédécesseurs depuis Charles de Gaulle?
Plusieurs de mes interlocuteurs ces jours-ci à Paris m'ont dit s'être fait répéter sur tous les tons que, la «souveraineté étant morte et enterrée» (air connu et usé, depuis le retentissant cri de Pierre Trudeau en 1967: «Le séparatisme est mort»), la France se devait de tourner la page et de s'engager dans une nouvelle ère de «realpolitik»...
Pourtant, le mouvement souverainiste est toujours vivant, et si le PQ, son principal mais non seul vecteur, a été gravement affaibli lors des élections de 2007, il retrouve aujourd'hui de la vigueur, les élections partielles de lundi dernier en donnant la preuve. Mais ce qui est en cause, au-delà de la reconnaissance éventuelle d'un Québec souverain par la France, ce ne sont ni le nombre de visites ministérielles françaises à Québec à l'occasion du 400e, ni la coopération d'égal à égal que pratiquent la France et le Québec depuis de nombreuses années; non, c'est l'application concrète de la doctrine Gérin-Lajoie sur laquelle repose notre existence juridico-politique sur la scène internationale.
Les autonomistes de l'ADQ l'ont bien compris en affirmant craindre une canadianisation des relations France-Québec, une modification de l'équilibre atteint dans le triangle Paris-Ottawa-Québec. Car cette revendication du Québec d'exister par lui-même, grâce particulièrement à des actions concertées avec son partenaire et allié français, n'est pas une exigence des seuls «séparatistes» mais de tous les partis politiques québécois.
Nicolas Sarkozy prétendait vouloir rompre avec la politique étrangère de la France parce qu'elle était trop soumise à des intérêts mercantiles et pas assez sensible aux violations des droits de la personne à travers le monde. Ce qui est sûrement vrai et ce qui méritait, en effet, en Afrique et ailleurs, des changements réels. Puis vinrent le colonel Kadhafi, de la Lybie, qui planta sa tente pendant une semaine tout à côté des Champs-Élysées, et ensuite le président Bongo, du Gabon, qui obtint la tête du secrétaire d'État à la Coopération et à la Francophonie, J.-M. Bockel, celui-ci ayant eu le malheur d'annoncer l'acte de décès de la Françafrique. Depuis, comme l'a écrit Le Monde, la diplomatie de la France est devenue littéralement schizophrène.
Si, pour de telles mauvaises causes, le président de la République change d'idée et recule, il n'y a pas de raison que, pour une bonne cause comme la nôtre, celle de la pérennité d'une nation majoritairement francophone en Amérique qui passe par son affirmation dans le monde, il ne fasse de même.
On a pu croire que la messe était dite. Or les choses bougent, et vite. Ce ne sont pas tous les Français et tous les dirigeants français qui pensent comme M. Sarkozy. Les amis du Québec se mobilisent. Même le sénateur Raffarin, qui a mis le feu aux poudres en annonçant le changement à venir, rectifie le tir! Du côté du gouvernement du Québec, on assiste à un changement de discours par rapport à la semaine dernière, alors que le premier ministre tentait de justifier l'injustifiable, c'est-à-dire la présence, plutôt que la sienne, de la gouverneure générale du Canada au lancement des fêtes à La Rochelle et qu'il approuvait les contre-vérités historiques assénées par Stephen Harper au sujet de la naissance du Canada.
Jean Charest est plus prudent, parce que les partis d'opposition et des représentants de la société civile l'ont rappelé à ses devoirs et à sa responsabilité: il doit défendre les intérêts du Québec, y compris une certaine idée des relations entre la France et le Québec. Mais il ne s'agit pas seulement de rencontrer le président Sarkozy, il faut le convaincre.
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Louise Beaudoin est membre associée au CERIUM, chargée des questions de francophonie internationale, et professeure invitée au Département des littératures de langue française de l'Université de Montréal.


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