La fête de la Francophonie

XIIe Sommet de la Francophonie - Québec du 17 au 19 octobre 2008


Dans deux jours nous fêterons la Journée internationale de la Francophonie. Au Québec, les festivités ont déjà commencé et s'étendent sur plusieurs jours; dans certaines régions, en Outaouais par exemple, ce sont des organismes du type Impératif français qui organisent la Francofête.

En ce début de XXIe siècle, il est intéressant de noter que les aires géolinguistiques sont de plus en plus nombreuses. Elles répondent à un besoin pour les locuteurs d'une même langue de se regrouper sur cette base parce que la langue et la culture sont devenues, dans le cadre des mondialisations en cours, des éléments d'influence (soft power) et que chaque pays, les États-Unis au premier chef, ou chaque espace linguistique, veut les utiliser et s'en servir pour atteindre ses fins diplomatiques.
Le Commonwealth, la plus ancienne de ces institutions, dont les origines remontent à la Première Guerre mondiale, au moment où le Royaume-Uni souhaitait rallier les Dominions faisant partie de son Empire à ses efforts de guerre (ce qui explique l'absence des États-Unis de ce forum), n'a reconnu que récemment, en ce qui le concerne, l'importance de l'anglais comme langue commune de ses membres. Son dernier sommet s'est tenu en Afrique l'automne dernier, et le Canada a réussi -- puisque toutes les décisions lors de ces Sommets se prennent non pas au vote mais par consensus -- à bloquer l'adoption d'une résolution contenant des cibles précises à atteindre pour diminuer les émissions de CO2 dans l'atmosphère.
Dans les autres aires linguistiques, dont les plus connues et les plus actives, la langue s'est au contraire retrouvée immédiatement et spontanément au coeur de leur raison d'être. Ainsi en est-il de l'Organisation des États ibéro-américains, de la Lusophonie et de la Francophonie qui collaborent d'ailleurs ensemble depuis 2001 dans un certain nombre de projets éducatifs et culturels.
Le XVIIe Sommet ibéro-américain auquel 22 pays (y compris le Brésil et le Portugal) ont participé s'est déroulé en novembre dernier à Santiago du Chili. Il a été très agité et, par la même occasion, mondialement médiatisé en raison d'une altercation entre Hugo Chávez et le roi d'Espagne. Le bouillant président vénézuélien ayant traité l'ancien premier ministre d'Espagne, José Maria Aznar, de «fasciste» de «serpent» de «petit chien dans les jupes de George Bush», le roi Juan Carlos lui a répliqué sur un ton non équivoque de «se taire».
Le reste du sommet consacré au thème de la cohésion sociale a été marqué par plusieurs interventions musclées de présidents élus de gauche ou de centre-gauche d'Amérique latine et centrale (le Bolivien Morales, le Nicaraguayen Ortega, l'Argentine Kirchner) attaquant l'action des multinationales espagnoles dans leur pays respectif.
Quant à la Lusophonie, ses huit membres -- les huit pays dans le monde qui ont le portugais comme langue officielle -- se réunissent à l'occasion, mais cette communauté souffre d'un leadership concurrent et éclaté entre le puissant et émergent Brésil sûr de lui et de son destin avec ses 180 millions d'habitants et le Portugal, petit pays de 10 millions d'habitants du bout de l'Europe, qui rêve avec nostalgie de sa gloire et de son empire perdus.
La Turquie tente de son côté, sans trop de succès, de regrouper les anciennes républiques turcophones de l'ex-URSS. Sous l'oeil malveillant de Moscou qui se sert là comme ailleurs de son pétrole et de son gaz pour ramener dans son giron celles qui seraient tentées par les sirènes linguistiques et culturelles d'Ankara.
La Francophonie, bien organisée, bien structurée qui existe, institutionnellement, depuis les années 1970 tiendra son XIIe Sommet en octobre prochain à Québec. Elle rayonne au-delà des anciennes colonies françaises et belges puisqu'elle inclut des pays comme la Bulgarie, la Moldavie ou la Grèce. Parmi ses 55 membres et 13 observateurs, il y a 32 États ou gouvernements qui ont le français comme langue officielle (seule ou avec d'autres langues).
Ce qui signifie que les pays de langue française sont minoritaires aujourd'hui en Francophonie... Voilà une de ses faiblesses, car comment imaginer que des pays qui ont une relation aussi éloignée avec le français et qui adhèrent à la Francophonie pour d'autres raisons que la proximité linguistique se mobiliseront et s'investiront totalement dans le maintien et la promotion du français comme grande langue internationale? En contrepartie, il faut le souligner, lors du débat à l'UNESCO pour l'adoption, en 2005, de la Convention sur la diversité des expressions culturelles, la Francophonie a pu jouer un grand rôle et peser de tout son poids parce qu'elle a convaincu la majorité de ses nombreux membres de voter en sa faveur.
Quoi qu'il en soit des forces et des faiblesses de la Francophonie, pour le Québec la participation à cet ensemble est primordiale. Le Québec déjà isolé en Amérique du Nord le serait encore davantage s'il ne pouvait participer pleinement aux activités et aux institutions francophones. Mais discutera-t-on au Sommet de Québec de ce qui censément nous réunit, c'est-à-dire de la langue française, de son avenir, du déclin du plurilinguisme dans les organisations internationales? Plurilinguisme qui s'il était appliqué refléterait pourtant la pluralité des visions du monde, la multiplicité des points de vue alors que langue unique rime avec pensée unique, avec hyperpuissance, avec unipolarité au moment où la multipolarité s'impose dans les faits avec l'émergence de la Chine, de l'Inde, du Brésil et des autres?
Il faudrait parler de tout ça mais rien n'est moins sûr. D'autant que la ministre française de l'Enseignement supérieur vient de déclarer à Bruxelles, en contradiction totale avec les promesses du candidat Sarkozy lors de la campagne électorale de 2007, qu'elle parle anglais avec ses collègues de l'Union européenne; d'autant, enfin, que certains au Québec ne veulent plus que l'on enseigne le français mais bien le québécois... Alors, à quoi bon? Il ne me reste plus qu'à entrer en résistance!
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Louise Beaudoin est membre invitée, chargée des questions de francophonie internationale au CERIUM..


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