La Francophonie comme communauté

XIIe Sommet de la Francophonie - Québec du 17 au 19 octobre 2008


À quelques semaines du XIIe Sommet de la Francophonie, qui se tiendra à Québec à la mi-octobre, nous publions des extraits du dernier livre de Jean-Louis Roy, intitulé Quel avenir pour la langue française? (Éditions Hurtubise HMH, Montréal, 2008).
La promotion de la langue française et de la diversité culturelle et linguistique constitue, depuis ses origines, l'un des objectifs majeurs de la Francophonie. [...] Cette politique a été réaffirmée et renforcée par la Charte de la Francophonie de 2005. «La langue française», peut-on y lire, «constitue aujourd'hui un précieux héritage commun qui fonde le socle de la Francophonie.» Dans son plan stratégique, la promotion de la langue française et de la diversité culturelle constitue l'un des quatre objectifs reconnus par la communauté. Que fait la Francophonie pour mettre en oeuvre ce choix premier?
En faisant de la reconnaissance du plurilinguisme l'un de ses combats principaux, la Francophonie a créé les conditions d'une action décisive en faveur de la langue française définie comme le socle de la communauté qu'elle rassemble. Impératif, ce choix s'imposait pour de nombreux motifs. D'abord, la réalité de la pluralité linguistique dans la communauté francophone elle-même, le besoin d'alliance avec d'autres communautés soucieuses, elles aussi, d'infléchir la géolinguistique dominante et enfin, la prise en compte et le respect du patrimoine linguistique de la famille humaine, dont la langue française est une composante. De cette position de principe découlent deux refus convergents: celui d'une partition hiérarchisée des rôles et des fonctions des langues et celui de la perte de fonctionnalité des langues.
Concurrence et cohabitation
La bataille des langues est aujourd'hui une donnée immédiate de la vie internationale. Elle mobilise gouvernements, institutions, associations de toute nature et draine des ressources considérables. De nouvelles ambitions culturelles et linguistiques sont affirmées, celles de la Chine, de l'Inde et de la Russie précédemment évoquées et celles, plus anciennes, de l'Allemagne moins spectaculaire apparemment mais néanmoins réelle, de l'Espagne et de la communauté ibéro-américaine portées par une forte croissance jusqu'au coeur des États-Unis d'Amérique, qui pourraient compter 60 millions de locuteurs de la langue espagnole dans 20 ans, celles du Portugal et de la communauté des pays lusophones fortifiées par le Brésil, première puissance de l'autre Amérique soucieuse du statut et du rayonnement effectif de sa langue dans la partie sud de l'hémisphère américain. Enfin, la langue anglaise occupe l'espace que l'on sait et est toujours soutenue par une solide coalition de fait qui, depuis plus d'un siècle, investit considérablement dans son expansion aux quatre coins du monde.
La Chine rêve d'une seconde lingua franca à l'échelle du monde; l'Allemagne et l'Autriche rêvent d'une Europe qui reconnaîtrait enfin la langue allemande comme la première langue parlée du continent; l'Espagne n'a pas besoin de rêver tant l'avenir de sa langue semble assuré comme l'une des grandes langues de ce siècle. Cependant, même dans un contexte plus que favorable, elle poursuit une vigoureuse politique de promotion de sa langue, et notamment en Asie.
Lutte planétaire
La bataille pour le statut international des langues est fortement engagée comme un élément majeur «de la prétention à occuper une position de puissance» (Jean-François de Raymond, L'Action culturelle extérieure de la France, Paris, La documentation française, 2000, p. 27) dans la communauté des nations. Aussi, pour les bénéfices divers qui découlent de ce statut: avantages dans les négociations politiques et diplomatiques, dans le commerce des produits culturels, linguistiques, scientifiques, technologiques et de services, dans l'exportation des systèmes et le rendement de larges réseaux pour la recherche et le développement.
Dans cette lutte planétaire, l'idée et la réalité de communautés culturelles et linguistiques, celles aussi de diasporas actives, constituent des leviers majeurs, des leviers indispensables. Ils font émerger une espèce de citoyenneté transnationale qui crée les conditions d'une affirmation linguistique sans frontière. La concurrence annoncée pourrait-elle conduire à une cohabitation harmonieuse entre les cultures et les langues du monde?
Féroce compétition
La Francophonie est engagée fortement dans cette lutte planétaire. Elle ne dissimule pas son ambition pour la langue française et sa volonté de lui conserver un statut de langue internationale. Mais elle l'inscrit dans une vision inclusive de la diversité culturelle et linguistique de la famille humaine. Selon cette philosophie, chaque héritage dans ces domaines trouve dans la reconnaissance des autres la considération qu'il recherche pour lui-même.
Cette position constitue un acte politique majeur posé par la Francophonie, une option radicale récusant toute forme de domination linguistique y compris la sienne, une façon réaliste de se situer «dans la mondialisation et non face à la mondialisation», selon l'heureuse expression d'Hubert Védrine utilisée dans un autre contexte. À l'intérieur de ces paramètres, le positionnement des uns et des autres est inscrit dans une compétition redoutable. La reconnaissance de la pluralité linguistique se conjugue en effet à une concurrence qui déborde largement la seule marée anglo-saxonne, tant les ambitions affirmées dans ce domaine sont réelles et agissantes. [...]
Francophonie et démocratie
Certains ridiculisent la «prétention» de la Francophonie à exercer une mission politique et, en conséquence, à déployer une coopération conséquente dans ce domaine dit de souveraineté. Ils n'ont que mépris pour ce qu'ils désignent négativement d'ONU bis aux capacités inversement proportionnelles à ses ambitions. Par contre, les mêmes auraient sans doute protesté avec véhémence et raison si la Francophonie avait choisi de rester étrangère au vaste mouvement d'affirmation des valeurs démocratiques qui ont changé le monde à la fin du siècle précédent. Ils auraient alors condamné sa passivité et son inaction face à la multiplication des crises de gouvernance qui ont affecté et affectent si tragiquement plusieurs de ses États membres sur le continent africain.
Que n'aurait-on pas dit alors si les chefs d'État et de gouvernement réunis en sommet avaient ignoré la formidable avancée de la démocratie, «les progrès de la démocratie constatés dans le monde entier» selon leur propre appréciation (Déclaration de Chaillot, dans Francophonie et démocratie, p. 87) ou encore ne l'avait reconnue que par de vagues références générales sans autre forme d'engagement?
Premier programme
La Francophonie se serait alors mise hors de l'histoire et condamnée elle-même à d'incessantes crises internes qui l'auraient emportée, dévaluée et finalement condamnée. Elle se serait isolée des communautés comparables et aurait alors été submergée par une vague de condamnations internes et externes, par la dérision et l'opprobre d'un grand nombre.
Dès le Sommet de Dakar, en 1989, la création d'une délégation à la coopération juridique et judiciaire était arrêtée, et le premier programme de la Francophonie concernant la gouvernance démocratique était mis en place. Destiné au renforcement des institutions juridiques et judiciaires des États membres, ce programme est vite apparu insuffisant, le pouvoir juridique étant radicalement indissociable des autres pouvoirs. Les Sommets de Chaillot (1991), de Maurice (1993), de Cotonou (1995), de Hanoi (1997) et de Moncton (1999) prennent acte et enrichissent substantiellement la décision prise à Dakar en 1989.
La doctrine de Bamako
La Déclaration de Bamako et son plan d'action, entérinés par le Sommet de Beyrouth (2002) comblent ce qui devait l'être. Ils dotent la Francophonie d'une doctrine forte et d'une politique clairement définie «en vue de l'atteinte des objectifs prioritaires suivants: l'aide à l'instauration et au développement de la démocratie, la prévention des conflits, le soutien à l'État de droit et aux droits de l'homme».
Cette déclaration est un acte politique, sans doute le plus considérable de l'histoire de la communauté francophone depuis sa création. «Francophonie et démocratie sont indissociables», [avance la Déclaration]. La semence placée dans les esprits et les textes à Dakar a produit des effets probants.
Dix ans plus tard, les États et gouvernements membres de la Francophonie, après avoir affirmé «l'attachement de leur communauté à la Déclaration universelle des droits de l'Homme et aux Chartes régionales», proclament leur adhésion aux principes suivants:
- la démocratie, système de valeurs universelles fondé sur la reconnaissance du caractère inaliénable de la dignité et de l'égalité, valeurs de tous les êtres humains;
- l'État de droit, qui implique la soumission de l'ensemble des institutions à la loi, la séparation des pouvoirs, le libre exercice des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que l'égalité des citoyens, femmes et hommes, devant la loi;
- la tenue, à intervalles réguliers, d'élections libres, fiables et transparentes, fondées sur le respect et l'exercice, sans aucun empêchement ni aucune discrimination, du droit à la liberté et à l'intégrité physique de tout électeur et de tout candidat, du droit à la liberté d'opinion et d'expression, notamment par voie de presse et autre moyen de communication, de la liberté de réunion et d'association;
- l'existence de partis politiques égaux en droit, libres de s'organiser et de s'exprimer, la démocratie allant de pair avec le multipartisme et l'assurance que l'opposition dispose d'un statut clairement défini, à l'abri de tout ostracisme;
- la préservation de la démocratie qui contredit les coups d'État et toute autre prise de pouvoir par la violence, les armes ou quelque autre moyen illégal.
La production de ce texte a exigé un formidable investissement durant plus d'une décennie, de multiples rencontres et concertations, le travail des experts, le suivi des politiques et finalement, leur engagement définitif. Ceux et celles qui ont consenti à ces investissements et fait réussir ce dialogue ont accompli une tâche considérable et indispensable.
***
Jean-Louis Roy, Chercheur invité au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal, secrétaire général de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie de 1990 à 1998 et actuel président du conseil d'administration du Centre de la francophonie des Amériques.

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Jean-Louis Roy, Chercheur invité au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal, secrétaire général de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie de 1990 à 1998 et actuel président du conseil d'administration du Centre de la francophonie des Amériques.





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