Pourquoi la Francophonie est-elle en panne ?

La Francophonie au pied du mur

Il lui faut soit choisir de dépérir sans gloire, soit franchir le Rubicon.

XIIe Sommet de la Francophonie - Québec du 17 au 19 octobre 2008



La Francophonie est-elle à bout de souffle ? Beaucoup le pensent. Les appels en faveur d’un nouveau départ se multiplient à la veille du 12ème Sommet de la Francophonie qui s’ouvrira à Québec le 17 octobre prochain. Elle a besoin d’ambitions affichées, d’innovations annoncées. La décision soudaine du Canada, pays hôte, d’organiser, le mardi précédant le Sommet, ses élections fédérales, ajoute au désenchantement.
Situation paradoxale car sous l’impulsion de son Secrétaire général, le Président Abdou Diouf, l’institutionnel francophone a fait des progrès considérables. L’Organisation internationale de la Francophonie et ses opérateurs sont en état de marche et un débat d’idées s’est amorcé sur le rôle et l’utilité de la Francophonie. Son cœur de métier a été précisé, des pistes tracées, des chantiers prioritaires identifiés.
Il a été montré que cette Francophonie, la troisième après les francophonies coloniale et post-coloniale, s’inscrit dans les défis de la mondialisation ; qu’elle constitue un pôle privilégié de dialogue interculturel pour la paix. Ses valeurs, son engagement pour la diversité et la solidarité qu’elle sait tisser, montrent la voie pour bâtir une mondialisation maîtrisée construite autour d’une synthèse des différences et non autour d’un modèle unique et dominant.
Il a été montré aussi que le temps n’est pas venu d’une langue unique. Le 21ème siècle sera plurilingue. Dans la mondialisation, de nouvelles langues monde émergent. La force de l’espagnol, l’importance de l’arabe, ainsi que la rapide montée en puissance des langues des futurs géants économiques, ne peuvent plus être niées. Ainsi, dès 2010, le chinois sera enseigné dans plus de mille instituts Confucius répartis dans le monde entier. Le multilinguisme est à l’ordre du jour. C’est le combat de la Francophonie.
Alors pourquoi la Francophonie est-elle en panne ? Pour deux raisons majeures :

* la rémanence des Francophonies d’hier. Les regards restent fixés sur le rétroviseur. Le passé colonial occupe encore les têtes.
* la pensée dominante qui la « ringardise » et présente la mondialisation non comme une chance mais, au contraire, comme un obstacle à son développement.

Il n’est pas certain que les Etats et gouvernements veuillent aller plus loin. Souvent, leurs élites ne perçoivent ni l’intérêt de la Francophonie comme pôle géopolitique dans la mondialisation, ni celui du multilinguisme comme antidote au repli identitaire. On est abasourdi par le déficit de visibilité de la troisième Francophonie ; l’ignorance est générale, abyssale. Cette méconnaissance a pour conséquence sa marginalisation par les décideurs. Faute d’être perçue comme une force, elle se trouve en position de faiblesse.
Il est certain que les peuples et leurs dirigeants ne peuvent avoir envie de Francophonie que s’ils en partagent le concept. Il faut lancer à grande échelle un plan marketing et de formation pour mettre en pleine lumière sa modernité et sa pertinence.
La France, pour sa part, vient d’inscrire la Francophonie dans sa Constitution. Ce faisant, elle a retrouvé ses deux jambes : l’Europe et la Francophonie ; elle a réaffirmé sa double ouverture inscrite dans son histoire, vers le continent et vers le Grand large. C’est une formidable avancée. Par ailleurs, le Président Sarkozy a affirmé avec force le 20 mars dernier lors de la Journée internationale de la Francophonie à la Cité universitaire de Paris, que la Francophonie était une priorité de la diplomatie française et s’est ouvertement engagé en faveur d’une Francophonie innovante, vivante et populaire.
On pourrait se réjouir si ce n’était l’entêtement des élites françaises à faire tout le contraire. Pas un mot dans la presse de la Francophonie introduite dans la Constitution et, de même, pas un mot de la place redonnée à la langue française aux côtés de l’anglais et du mandarin aux Jeux olympiques de Pékin. Ces élites se trompent de route, elles ne veulent rien entendre, elles persistent dans l’erreur allant même, dans certains cas, jusqu’à refuser d’utiliser la langue française, la sacrifiant sur l’autel de l’anglais.
Est-il de l’intérêt de la France de faire en sorte que demain, par sa propre faute, le français cesse d’être une langue monde ?
On ne peut qu’être atterré du souhait exprimé récemment par le Ministre français de l’Education nationale, de voir tous les diplômés des lycées, bilingues français anglais alors que se profile un environnement international multilingue où le français a toute sa place.
Mais les obstacles ne viennent pas uniquement de la France. Que veulent les autres Etats et gouvernements participants ? Ceux d’Afrique, d’Asie, des Caraïbes et de l’Océan Indien, d’Europe, du Monde Arabe, d’Amérique ? Que veut le Canada ? La nécessité de réaffirmer une ambition collective forte est évidente.
Partout, les questions du rôle de la Francophonie dans la mondialisation et de son utilité pour les populations, se posent. Certes, l’engagement pour la diversité est essentiel mais il ne suffit pas. Le refus de la Francophonie de prendre en compte l’économie comme demandé, dès 1997, par le Vietnam au Sommet d’Hanoi, pèse lourd. Il est extrêmement pénalisant. Dans ce domaine un changement s’impose.
La Francophonie est au pied du mur. Il lui faut soit choisir de dépérir sans gloire, soit franchir le Rubicon.
A Québec, il est vital que des voix s’élèvent pour afficher l’ambition et tracer les chemins d’une Francophonie offensive.
Chacun s’accorde sur l’importance de nouveaux chantiers : l’éducation, l’économie, les industries culturelles, le numérique, mais pour agir il faut s’en donner les outils.
Chacun sait que la langue française est la grande oubliée, qu’il faut d’urgence s’attacher à renforcer son usage et son apprentissage ; chacun sait aussi qu’il est grand temps de renforcer, chez les jeunes en particulier, le sentiment d’appartenance à l’ensemble francophone. Encore faudrait-il pour le faire une réelle volonté politique.
Ne remettons pas à demain le combat pour le renouveau car il est déjà bien tard ; la mondialisation n’attend pas.
Lyon le 20/ 09/2008
Professeur Michel Guillou,
Ancien Recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie,
Directeur de la Chaires Senghor de la Francophonie de Lyon


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