Sommet de la Francophonie à Québec

L'enterrement de la Francophonie est-il programmé?

XIIe Sommet de la Francophonie - Québec du 17 au 19 octobre 2008



Qu'on veuille bien excuser ce titre provocateur et ces lignes sans tabou. Il ne s'agit en aucune sorte d'une critique systématique. Non, ces propos traduisent le décalage entre ce que pensent les parlants français et la Francophonie intergouvernementale. C'est le constat d'un malaise, la traduction d'un désarroi.
Le meilleur baromètre, ce sont les jeunes, et dans mon cas, les étudiants. Certes, l'étudiant du Nord ne connaît pas ou peu la Francophonie, qui est pour lui un non-sujet, mais pour l'étudiant du Sud, c'est plus grave. Non seulement il ne la connaît pas, mais il se pose parfois à haute voix la question de son utilité, allant jusqu'à penser qu'être francophone est un handicap vis-à-vis de la modernité. Il rêve du monde anglo-saxon. Cette réalité, il faut la voir en face.
Francophonie apathique
L'apathie francophone est générale. Après une période pionnière à la fin des années 80 et début 90 où, ambitieuse, innovante, conquérante, elle a lancé structures et programmes d'avant-garde, la Francophonie s'est anesthésiée et technocratisée. L'innovation a quitté la table. Finie l'époque heureuse où, de passage à Paris, on faisait un détour par le quai André Citroën ou la place de la Sorbonne pour être au courant des initiatives et des actions nouvelles de l'ACCT (aujourd'hui l'Organisation internationale de la Francophonie) et de l'AUPELF-UREF (Association des universités partiellement ou entièrement de langue française-Université des réseaux d'expression française).
Dans ce contexte, le malaise existentiel ne cesse de s'accroître. Depuis le Sommet d'Hanoï en 1997, la Francophonie ne fait apparaître que des déclarations creuses et des consensus mous. Le déclin de l'intérêt des politiques est manifeste. On constate une sorte d'acceptation générale d'un rôle de second plan, la naissance d'un sentiment fataliste d'impuissance, une attitude de soumission, une incapacité à affirmer sa spécificité. Elle n'a pas compris que la mondialisation est sa chance et non son éteignoir. Bref, elle semble avoir perdu son âme.
Pourtant, elle demeure un espoir et continue d'exercer un attrait indiscutable, et ce, malgré l'Amérique toute-puissante et sa déferlante économique, linguistique et culturelle. De nouveaux pays frappent à sa porte. Elle commence à faire preuve d'une capacité d'influence à l'échelle de la planète, comme l'a montré son action pour l'adoption en 2005 de la Convention de l'Unesco sur la promotion et la protection des expressions culturelles.
Un second souffle
Cessons de gémir, de préparer son enterrement. Travaillons plutôt à lui donner un second souffle. Le Sommet de Québec doit être le rendez-vous historique du renouveau. Il faut en finir avec les sommets sans espoir, imposer une rupture et signifier un «Ça suffit!» à tous les militants de l'abandon. La Francophonie ne peut continuer à être floue, sans ambition, et à se satisfaire d'un statut de priorité gommée.
Elle doit dire le rôle qu'elle entend jouer. Il lui faut, tout aussi impérativement, être utile et répondre aux besoins des francophones, et en particulier à leur aspiration légitime à vivre mieux. Pour reconquérir sa légitimité, elle a besoin de visibilité, de gestes évocateurs et rassembleurs, d'actions phares donnant une impulsion au changement.
Cependant, la Francophonie n'est pas une évidence. Elle est teintée pour certains de néocolonialisme français et pour d'autres de combat d'arrière-garde face à un anglais qui serait déjà accepté comme seule langue du monde.
Rôle et atouts
La culture devient, aux côtés du politique et de l'économique, un pilier de la mondialisation et s'assoit comme acteur à la table des relations internationales. Les aires géoculturelles vouées au troisième dialogue -- celui des cultures -- prennent une importance toute particulière, comme antidote pacifique à la guerre des civilisations qui s'amorce et qu'attestent le terrorisme et la montée des fondamentalismes. Les grandes aires linguistiques font naturellement partie de cette topologie, particulièrement lorsqu'elles s'organisent en unions géoculturelles d'États et de gouvernements.
La Francophonie dont nous parlons n'est ni la francophonie de la fin du XIXe siècle -- la première francophonie liée à l'expansion coloniale -- ni la seconde, fille de la décolonisation, proposée dans les années 60 par le Sud pour fonder un Commonwealth à la française, mais la francophonie du dialogue et des échanges au sein de l'union géoculturelle de langue française. C'est ce qui fonde sa légitimité. Avec cette troisième francophonie, on passe des espaces postcoloniaux aux espaces de dialogue interculturel.
Par rapport aux autres ensembles culturels, la troisième francophonie a pris les devants en matière d'organisation et de coopération. Communauté ouverte, elle s'agrandit tandis que pour d'autres, tel le Commonwealth, le cercle est maintenant fermé. Elle accueille des membres qui n'ont jamais été des colonies; c'est le cas des pays de l'Europe de l'Est. Depuis l'origine en 1986, elle n'a cessé d'augmenter le nombre de ses membres, de 43 à 68 aujourd'hui. Tous les continents y sont présents. Cependant, cet élargissement pose problème. Des voix réclament un approfondissement impliquant que la Francophonie cesse d'admettre des pays sans engagement francophone réel, comme cela est malheureusement le cas.
Dialogue des cultures
Le recouvrement est frappant entre ses valeurs et les besoins qui s'expriment. Elle défend certains principes des altermondialistes et prend des positions de non-alignement. Laboratoire de mondialisation culturelle et humaniste, sa chance, c'est le dialogue des cultures, si nécessaire depuis le 11-Septembre. Elle prône la diversité culturelle et linguistique, la solidarité comme compagnon de la liberté et le dialogue comme outil de la paix. Elle choisit pour l'accès à l'universel, la synthèse des différences et non l'affirmation d'un modèle unique et dominant, et privilégie l'approche multilatérale. Il faut l'envisager comme une réalité géopolitique à part entière.
Ces principes justifient le développement de la Francophonie politique, mais le soutien des peuples francophones ne sera fort que s'ils ont envie de francophonie et sont fiers d'être francophones. Il y a dans la Francophonie une part de rêve, de modernité qu'il faut faire partager, des dynamiques qu'il faut rendre visibles, des attentes auxquelles il faut répondre. Elle doit être un plus dans le quotidien de chacun. Pour y parvenir, elle doit arrêter de négliger son volet coopération.
Zones de travail
Les chantiers du renouveau sont multiples. Plusieurs crèvent les yeux.
- L'éducation et la formation. D'évidence, la Francophonie ne peut accepter l'illettrisme, et la formation aux métiers est nécessaire. Rien n'est possible sans un effort exemplaire en leur faveur. Malheureusement, la Francophonie ne dispose pas pour l'enseignement primaire, secondaire et technique d'un opérateur direct.
- L'économie. Rien n'est possible sans elle. Il faut donner à la Francophonie sa dimension économique, ce que l'on se refuse de faire depuis le Sommet d'Hanoï, où la question a été posée par le Vietnam. Il faut en finir avec les rendez-vous manqués entre l'économie et la Francophonie.
- La diversité culturelle. La convention de l'Unesco sera un leurre si chaque culture ne peut créer ses propres biens culturels. La Francophonie a besoin de disposer d'un outil spécifique comme il existe au Québec. La langue unique détruit la diversité; l'action pour le multilinguisme est au coeur du combat francophone, du local à l'international.
- La jeunesse est l'avenir de la Francophonie. Il faut l'informer et l'impliquer. Un vaste programme de jeunes volontaires de la Francophonie s'impose pour générer le sentiment d'appartenance et renforcer la connaissance de l'autre.
- La langue française. C'est la grande oubliée de 20 ans de francophonie institutionnelle.
Faute d'une charte linguistique les engageant, des pays membres ne font pas l'effort qu'il conviendrait quant à son emploi à l'international et à son enseignement.
- La communication. Le déficit de notoriété et l'absence de visibilité sont tels qu'il convient de lancer à grande échelle un plan de communication. Il faut aussi l'enseigner et en faire un objet d'étude et de recherche.
Des nations plus fortes
Par ailleurs, la Francophonie est pour les Québécois et les Français une occasion de renforcer leur nation. Elle affirme et conforte leur identité respective dans l'ensemble canadien et européen. La France, pour sa part, alors qu'elle s'engage toujours plus dans l'Union européenne, a besoin d'une Francophonie influente pour garder sa spécificité et conforter son identité nationale. Pour toutes ces raisons, il faut relancer au Sommet de Québec la construction de la troisième francophonie.
L'auteur sera à Montréal du 28 au 31 janvier à l'invitation du Centre d'études et de recherches internationales (CERIUM).
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Michel Guillou, Directeur de la chaire Senghor de la Francophonie de Lyon et ancien recteur de l'Agence universitaire de la Francophonie
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