La "Communauté française" nous casse les pieds

Chronique de José Fontaine

Il y a une querelle fondamentale pour la Wallonie c'est celle qu'elle entretient avec une certaine vision de la place de Bruxelles en Belgique.
Bruxelles indifférente aux réformes de l'Etat
Dans l'Histoire de Bruxelles parue en 1979, les principaux auteurs concluent à une certaine indifférence de la population bruxelloise aux réformes de l'Etat belge, et se font le relais d'une opinion bruxelloise (qui est peut-être plus nuancée), supposée indifférente à ces questions qu'elle n'estimerait pas fondamentales. En même temps, Bruxelles a été souvent au centre du problème communautaire belge parce que la Flandre veut d'une manière ou d'une autre la reconquérir parce qu'elle est devenue francophone (et cela ne me semble pas légitime) ou parce qu'elle veut garder une place dans la principale ville belge (ce qui me semble bien plus fondé). Ce qui reste vrai de cette conclusion de 1979, c'est que les Bruxellois se considèrent comme n'étant ni flamands ni wallons. Mais le fait qu'ils parlent le français les pousse (pas tous!) à vouloir maintenir ce que l'on appelle la Communauté française et qui englobe les Bruxellois francophones et les Wallons. Qu'est-ce que ce machin comme l'appelait La Libre Belgique au cours de la semaine écoulée?
Une disposition de la Constitution belge qui complique les institutions belges, voici pourquoi.
Acte I de la réforme de l'Etat belge : les communautés
Les Wallons voulaient un fédéralisme belge à trois composantes déterminées par le territoire : la Flandre, la Wallonie, la Région bruxelloise. Les Flamands voyaient un fédéralisme à deux fondé sur les Communautés de langue, le français et le néerlandais, le français étant la seule langue de la Wallonie, le néerlandais la seule langue en Flandre - et Bruxelles parlant deux langues. Ce qui est logique, le but du mouvement flamand étant la défense du néerlandais en Flandre (où les élites parlaient le français) et à Bruxelles dont ils désiraient stopper la francisation. En 1970, les communautés ont été consacrées par la Constitution.
Acte II : les Régions
On avait donné aux Wallons en 1970 une satisfaction symbolique en inscrivant le principe des trois Régions dans la Constitution, mais rien que cela. Les Communautés existaient, les Régions non. S'en est suivi une longue décennie durant laquelle les Wallons ont poursuivi avec acharnement la constitution des Régions à base territoriale (et non linguistique) et à finalité non pas culturelle mais économique. L'une des raisons des réticences flamandes à accepter les Régions, c'était Bruxelles. Pour eux un fédéralisme à trois Régions risquait de coaliser contre la Flandre, dans le fédéralisme belge, deux Régions de langue française, Wallonie et Bruxelles (francophone en totalité ou en majorité), contre la Flandre. En 1980, furent instaurées enfin une Région wallonne et une Région flamande, mais la Région bruxelloise demeurait sous tutelle du gouvernement fédéral. Elle n'allait obtenir son statut d'entité fédérée à part entière qu'en 1988 et encore avec des restrictions, notamment le fait que Bruxelles n'obtenait pas l'autonomie constitutive (qui est le fait que les entités fédérées organisent leurs pouvoirs comme elles l'entendent). Ce qu'elle vient seulement d'obtenir dans l'accord gouvernemental actuel. La Flandre avait auparavant fusionné la Région de Flandre et la Communauté de langue néerlandaise dans la Communauté flamande qui englobe aussi les Flamands de Bruxelles qui n'ont pas exactement le même statut que les Bruxellois francophones au sens où ils sont, en certaines matières, d'une certaine façon, plus flamands que bruxellois flamands. Certains prônèrent que pour faire pièce à la Flandre, il faillait aussi fusionner la Communauté française et la Wallonie.
Acte III : L'opposition wallonne à la fusion entre Région wallonne et Communauté française
Avec mes amis du Manifeste pour la culture wallonne, j'ai été parmi les plus farouches opposants à cette volonté de fusionner la Wallonie à la Communauté dont la capitale devait être ... Bruxelles. Les partisans de cette solution estimait, dans une perspective purement stratégique et antiflamande, que puisque les Flamands avaient fusionné leur Région et leur Communauté, il fallait que du côté francophone, on fasse de même et regrouper toutes les forces à Bruxelles, l'identité wallonne et la culture wallonne n'existant pas du fait que n'existerait qu'une seule forte identité en Belgique francophone, l'identité française (française belge si l'on veut). Contre cela les partisans de l'autonomie wallonne obtinrent, au bout de discussions interminables, que la capitale de la Wallonie soit en Wallonie, à Namur (les autres voulaient la mettre à Bruxelles!). La Communauté française étant une institution mal foutue, impopulaire (simple reflet symétrique d'une Communauté flamande qui, elle, s'inscrit dans l'histoire de la Flandre), plusieurs décisions furent prises en faveur des Régions : la capitale de la Wallonie fut installée à Namur en 1987. On décida aussi que les Parlements des entités fédérées seraient élus par le corps électoral wallon et bruxellois, la solution en Flandre faisant une part aux Flamands de Bruxelles, moins nombreux (il y a 6 millions de Flamands et 100.000 Flamands de Bruxelles, mais 3,5 millions de Wallons face à plus ou moins 1 million de Bruxellois francophones). On décida enfin de transférer plusieurs compétences de la Communauté française à la Région bruxelloise et à la Wallonie.
Acte IV : la volonté wallonne de supprimer la Communauté française
Tant en Wallonie qu'à Bruxelles, des «régionalistes» voudraient que soit supprimée la Communauté française et que toutes les compétences soient attribuées aux Régions. Il est certain que, surtout côté wallon, l'idée est défendue par ceux que, au Québec, on appellerait des « nationalistes wallons». Mais on les nomme «régionalistes», également à Bruxelles. Elle est aussi défendue par des gens qui peuvent être aussi des régionalistes mais qui mettent en avant une argumentation politique rationnelle. S'il est vrai que le lien institutionnel existant entre Bruxelles et Wallonie est sympathique en soi, il ne va pas sans créer des problèmes. En effet, bien que pour toutes les compétences (qui vont encore s'agrandir de 17 milliards d'euros), Bruxelles et la Wallonie sont deux entités distinctes, elles relèvent (la part de Bruxelles francophone - qui l'est très majoritairement - et la Wallonie), d'une sorte de gouvernement de l'immatériel, le gouvernement de la Communauté française, entité étrange qui n'a que des compétences en matière d'enseignement et de culture. Même si la Planète compte beaucoup de pouvoirs politiques étranges, la Communauté française de Belgique doit être la seule à se cantonner à ces deux compétences-là à l'exclusion de toutes les autres (sauf quelques machins secondaires en matière de justice ou de santé, compétences actuellement quasi exclusivement fédérales).
Acte V : l'idée du repli wallon et les insultes
La semaine passée Le Soir parlait même de réseaux wallons plus ou moins secrets qui réfléchissaient à la possibilité de transférer l'enseignement et la culture à la Wallonie d'une part et à Bruxelles d'autre part, ce qui donnait l'impression de vouloir aussi couper tous les liens avec Bruxelles. Aussitôt, des querelles qui ont été extrêmement vives dans les années 80 et 90 rebondissaient. Le Bruxellois Philippe Moureaux qui est en train de terminer sa carrière politique allant même jusqu'à déclarer que si la Wallonie ne voulait pas travailler avec Bruxelles dans une institution commune, Bruxelles se tournerait vers la Flandre. Un journaliste de la RTBF (qui se définit comme la télévision non pas de la Wallonie mais de la Communauté française) fit remarquer qu'il y avait là quelque chose d'étrange puisque les Flamands avaient tout fait, notamment en 1988, pour empêcher la création de la Région bruxelloise alors que les régionalistes wallons avaient au contraire puissamment aidé à ce que Bruxelles devienne autonome. Comme d'habitude aussi, certains Wallons crurent bon de dire que la volonté de la Wallonie d'exercer toutes les compétences non fédérales c'était une volonté de repli, sur le Moyen-Âge, que ce n'était pas le moment de parler de cela, que c'était évident que les institutions actuelles étaient les bonnes, qu'il y avait des problèmes plus importants etc. Ce que l'on a dit dans les années 80, 90, 2000, la décennie ou nous sommes... Jusqu'à la fin des temps?
Une institution incompréhensible qu'il faut tuer
Il y a un problème avec cette institution incompréhensible, hors normes qu'est la Communauté française de Belgique qui s'est appelée aussi Communauté culturelle française de Belgique, Communauté française de Belgique, Communauté Wallonie-Bruxelles et dont le Parlement a lancé une nouvelle appellation Fédération Wallonie-Bruxelles, d'autres appellations ayant été proposées (Communauté romane, Communauté wallonne même!) etc.). Certes, ce n'est pas une institution qui fait une culture ni un pays. Mais, les Wallons, en étant appelés Belges francophones, ont la même impression que les Québécois, c'est-à-dire que l'on continue à les considérer comme la partie d'un tout, même à l'intérieur de la Communauté française dont ils sont l'écrasante majorité (1). L'existence d'un ministère de la culture française est une façon de nier tout caractère singulier à la culture française (qu'on prend le soin de confier toujours à un Bruxellois, les Wallons semblant ne pas être «sûrs») de Wallonie. Comme la Communauté française demeure plus belge qu'autre chose, on en profite pour dénier la qualité wallonne à tout ce qui chez nous se distingue dans le sport, la culture, la politique. On admet que le drapeau wallon flotte sur les déchetteries des villes wallonnes, mais moins sur les centres culturels. Il serait tout de même normal que la Wallonie ait la possibilité, comme tous les pouvoirs politiques dans le monde, depuis la plus humble commune jusqu'à l'ONU, d'exercer l'ensemble de compétences matérielles qu'implique un pouvoir politique (économie, voies de communications, agriculture, environnement, impôts etc.), mais aussi ce qui relève du symbolique ,(en matière d'enseignement et de culture) et revêt finalement au moins autant d'importance que les compétences que j'appelle ici matérielles. Des ministres de la Communauté française ont torpillé longtemps les efforts de l'Institut Destrée pour que les Wallons apprennent leur histoire à l'école. Alors que la grande manifestation historique pour l'autonomie de la Wallonie, c'est la Grande grève de 60, des personnalités politiques de haut niveau l'ignorent en Wallonie! Un jour on a même demandé à un chanteur comme Julos Beaucarne un texte pour la fête de la Communauté française, mais en le priant de retirer l'allusion qu'il fait à la fin aux Wallons. (2)
La Wallonie qui est sans doute l'entité fédérée disposant du plus de pouvoirs dans le Monde, qui détient la capacité de signer des traités sans veto fédéral possible, qui a des ambassades dans le monde, est considérée comme étant incapable de pouvoir gérer la manière dont elle organiserait son enseignement et gérerait sa culture, ainsi que le prétendait encore il y a quelques jours l'impossible Madame Joëlle Milquet qui croit à tort s'y connaître dans la la question wallonne
(1) En 2003, le directeur de la télévision dite «belge», la RTBF (80% de téléspectateurs wallons potentiels) a osé déclarer dans la revue Télémoustique du 1er octobre 2012« La RTBF a une mission de service public de et dans la Communauté française. C'est notre cahier des charges. On a donc vocation à être la vitrine culturelle de cette Communauté et à en être proche. En tant qu'acteur déterminant de cette Communauté, la Wallonie doit donc avoir une place sur nos antennes... » Une place! Nous sommes un pays dont la télévision ne consent à nous accorder «qu'une place» dans ses préoccupations! Alors si c'est le cas, oui, que l'on tue la Communauté française dont la RTBF doit prioritairement illustrer «la culture»!
(2) [Nous sommes 180 millions de francophones dans le monde
"Vola pouqwè nos estan fîr d'iesse Wallon" ->http://cours.funoc.be/essentiel/article/article.php?id_art=2478]

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    23 février 2012

    il y a un parti bruxellois bilingue ce qui est un minimum et cela démontre que dans un pays essentiellement bilingue, il faut une capitale bilingue officiellement; après cela chacun parle les langues qu'il souhaite et plus s'il en a besoin pour vivre en Belgique, pays dont une des richesses est justement le plurilinguisme et donc c'est ce qu'il faut développer chez nous avant tout, il n'y a que les partis communautaires qui n'ont pas compris cela, malheureusement;
    donc d'accord avec vous et avec le parti dont je ne citerai pas le nom, arrêtons d'organiser tout sur une base communautaire mais plutôt régionale puisqu'on a choisi un pays fédéral, pourquoi ne pas parler aussi le français en Flandre et le néerlandais en Wallonie, comme à Bruxelles?

  • L'engagé Répondre

    21 janvier 2012

    C'est assez incroyable ce que l'on apprend dans vos chroniques.
    On se rend compte en vous lisant qu'on connait si peu de choses sur la Belgique et cet autre fédéralisme...
    Merci beaucoup...