La Belgique unie allait nous tuer

Chronique de José Fontaine

Une de mes meilleures étudiantes, répondant à je ne sais plus quelle suggestion de ma part, me dit avec une grande colère sincère que cela n’a aucun sens de remettre en cause l’unité belge, qu’il n’y a qu’une seule sorte de Belges, ceux qui sont belges etc. Hobsbawm a écrit, pour le 19e siècle ouvrier de la Belgique, que le Parti ouvrier belge avait réussi à donner le sentiment aux ouvriers de Liège qu’ils avaient une identité commune (comme ouvriers), avec ceux de Charleroi ou du Borinage (en Wallonie), mais aussi ceux de Gand ou d’Anvers (en Flandre).
Unité ouvrière que de crimes en ton nom !
Toute identité sociale est construite, par différents acteurs (y compris les ignorants). Hobsbawm est d’autant plus frappant pour un autonomiste wallon de gauche que c’est au nom de cette identité ouvrière commune que l’idée wallonne a été le plus efficacement combattue au sein même de la gauche qui seule pouvait nous libérer. Il y a quelques mois, la télé interrogeait un ouvrier de Charleroi sur les grèves de 60, posant la question : « Mais en ce temps-là, il n’y avait pas de problèmes communautaires ? » Et le militant socialiste d’approuver la larme à l’œil, pleurant sur la vieille unité ouvrière belge déchirée. Or, s’il y a bien un épisode de l’histoire ouvrière en Belgique où la revendication wallonne a été poussée jusqu’au bout, c’est durant ces grèves de 1960. André Renard, le leader liégeois de la grève, écrivit que ce mouvement était « l’avant-garde d’un peuple sacrifié ». Le peuple wallon était sacrifié, certes, pas seulement comme peuple wallon, comme classe ouvrière aussi . Martin Conway (les historiens britanniques sont les seuls qui comprennent la Wallonie), a souligné à quel point l’exploitation sur le sillon industriel wallon avait été l’une des plus implacables d'Europe occidentale. Il faut voir le film Misère au Borinage qui date de 1932 : on peut le visionner sur la toile. Il sort huit ans avant que n’éclate la Deuxième guerre mondiale, elle aussi implacable. Et qui allait éloigner 60.000 jeunes Wallons d’une patrie affamée comme eux, pendant cinq longues années (les prisonniers flamands furent libérés par Hitler, les Flamands n’en pouvaient rien (1), mais peu de gens protestèrent, parmi ceux qui pouvaient le faire, hormis les évêques, c’est ainsi). Donc en 1960 et lors de la déclaration d’André Renard sur l’avant-garde d’un peuple sacrifié, on est 15 ans après. Et cela se voit, se sent. Sinon pourquoi une classe ouvrière responsable et mûre dans ses combats commet-elle des dizaines de sabotages comme en 1950, dont plusieurs à l’explosif - en 1960 aussi? Pourquoi se croise-t-elle les bras durant près de six semaines au cours d’un hiver mortellement froid 10 ans plus tard? Les Golden sixties étant ce qu’elles sont, la situation va s’améliorer ensuite (les courbes le montrent), mais aussitôt, un phénomène qu’on a peut-être tort d’appeler le déclin wallon se fait sentir.
Les détournements commis dans l’Etat unitaire belge
La Wallonie, encore aujourd’hui, souffre d’un taux de chômage très élevé (pas loin de 20%) par rapport à la Flandre qui, selon le Professeur Quévit, a littéralement détourné des milliers de milliards de francs belges vers la seule Flandre tout au long de la seconde moitié du 20e siècle. Nous n’en sommes pas encore sortis. On peut déduire de ce que dit Michel Quévit que l’Etat belge n’aurait en rien corrigé cette situation si les héritiers de la grève d’André Renard n’avait patiemment lutté pour imposer l‘autonomie économique de la Wallonie. Sans cette autonomie, la Flandre (qui se sentait lésée et je peux le comprendre, en raison d’un siècle d’humiliation de sa langue, mais pas par nous !), aurait continué à abuser de sa position dominante. Que resterait-il de la Wallonie ? En 1982 le parti catholique flamand dominant clamait qu’il ne fallait plus donner un franc pour la sidérurgie wallonne. Le ministre des finances de l’époque (un Wallon), avouait que cette déclaration lui avait fait terriblement peur. N’aurait-on pas aidé la sidérurgie wallonne que celle-ci, dans les années 80, aurait emporté dans sa chute l’ensemble de l’économie wallonne. Beaucoup l’estimaient sans avenir. Il suffit de relire bien des déclarations d’alors, pas seulement côté flamand. En 2004, 2005 et 2006, prétextant d’affaires de corruption (bien faibles si on les compare avec Chirac en France, mais tout autant municipales et régionales : les logements sociaux, les pauvres en général rapportent énormément…), on a traîné la Wallonie dans la boue. On a redit alors, unanimement, qu’elle n’en sortirait jamais. Or c’est au nom du même principe qu’une majorité de la droite wallonne a, pendant des décennies, empêché toute autonomie wallonne, la moindre autonomie étant , même dans un cadre fédéral, présentée – tout aussi unanimement – comme du séparatisme gauchiste (cela étonnera les Québécois, je pense). Mais sans le fédéralisme (je ne parle pas du Québec, mais de la Wallonie, encore que…), il n’y aurait plus de Wallonie. Et aujourd’hui encore, les héritiers d’André Renard dans le principal syndicat wallon, font remarquer que l’on a dépensé de 1999 à 2007, rien qu’en réduction de cotisations patronales, 27 milliards d’€, soit 27 fois le plan de relance de la Wallonie décidé en 2005. Cela parce que la Flandre plus à droite et plus nantie a avantage à une telle politique de cadeaux aux patrons. Pas nous.
Maurice Séguin
Je cite Maurice Séguin « Tout citoyen, dans l'appréciation des événements quotidiens, se rapporte nécessairement à une conception générale de la situation politique, économique, culturelle ou sociale du milieu où il vit. Obligé de se prononcer fréquemment sur
ces questions fondamentales, il ne saurait éviter de recourir à une explication historique. De sorte que la haute histoire des phénomènes primordiaux est en définitive, pour ceux qui ne sont pas des professionnels de l'histoire, [la seule
histoire importante et irremplaçable. »-> http://www.rond-point.qc.ca/auteur/imprime-moi/seguin.pdf]. Séguin, je pense, veut dire que tout le monde fait comme je viens de procéder dans cette chronique : on regarde le passé pour savoir ce qu’il vaut mieux entreprendre. Les quelques exemples que j’ai donnés plus haut démontrent que l’on raconte aux Wallons l’histoire proprement mensongère d’un passé belge heureux où tout aurait toujours marché pour le mieux. Alors que les Wallons ont été exploités, d’abord par la bourgeoisie nationale belge (aux symboles nationaux de laquelle ils se rallient encore stupidement : s’il y a bien un drapeau de l’exploitation, c’est le drapeau belge d’une armée qui a tiré sur les ouvriers (2) en 1886, 1893, 1950, 1960…), puis escroqué par des élites flamandes qui, sans doute (je crois devoir les excuser), accablées par l’humiliation d’une Flandre, pas toujours plus exploitée que nous, n’ont guère eu de scrupules à nous assimiler à leurs exploiteurs belges francophones. Quitte à nous sacrifier, peut-être en se disant que les Wallons s’en sortiraient toujours bien. Ce en quoi, ils n’ont pas eu tort, mais les braves gens qui croient que la Belgique doit rester unie ne savent pas le mal qu’ils font en croyant (ils l’ont dit encore récemment), qu’il faudrait revenir à cette Belgique unitaire qui a faillit faire périr le pays wallon.
(1) Sauf que des régiments entiers se sont rendus sans combattre lors de l’invasion allemande en mai 1940 et les chefs allemands le savaient qui ont même oeuvré dans ce sens, notamment à Gand. Certes, les Flamands n'avaient pu comprendre quatre ans de sacrifices dans les tranchées pour un pays dont les élites refusaient de parler leur langue.
(2) Ou la gendarmerie qui, jusqu’il y a peu, était une composante de l’armée.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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