La Belgique survit parce que divisée en trois

Chronique de José Fontaine


Hier le Journal télévisé a montré assez longuement les images du Président wallon dans sa visite au Premier ministre des Pays-Bas, venu discuter avec lui notamment d’intérêts économiques communs, comme par exemple les liens entre le Port de Liège (port fluvial mais le deuxième d’Europe en importance) et Rotterdam, le port le plus important du monde. On voit bien à travers cela que la Wallonie existe sur le plan international, car le gouvernement wallon est parfaitement habilité à discuter avec le gouvernement hollandais, et n’a même aucun compte à rendre dans ses relations internationales au gouvernement belge.
Il y a cependant un manque de visibilité de la Wallonie.
La réunion politique wallonne de Namur (dont j’ai parlé la semaine passée), a été un succès réel. Plusieurs intellectuels connus, les responsables des deux grands syndicats (et les syndicats pèsent lourd en Wallonie et en Belgique), le responsable du syndicat agricole, de nombreux parlementaires, trois anciens Présidents wallons qui ont gouverné la Wallonie une bonne quinzaine d’années récemment étaient là, un public important, un souffle d’unité entre les diverses composantes du mouvement wallon.
Ici aussi, il y a un manque de visibilité de la Wallonie.
On ne doit même pas dire que cela serait dû au caractère “provincial” de la Wallonie, car, à la réunion dont je viens de parler, a pris la parole également le représentant d’un important groupe bruxellois qui estime, à l’instar des Wallons présents à Namur, que les deux grandes entités fédérées que sont Bruxelles et la Wallonie doivent prendre leur distance à l’égard d’une Belgique fédérale (ou confédérale), dont le fédéralisme serait fondé uniquement sur les deux langues. Ces Bruxellois, dont le manifeste a recueilli il y a un peu plus d’un an l’adhésion des élites intellectuelles bruxelloises, veulent une Belgique à trois et non à deux. La Belgique à deux, c’est la Belgique que veulent les Flamands où idéalement – mais les Flamands réalistes savent que c’est impossible – il n’y a que deux entités belges: 1) la Belgique flamande ou néerlandophone, s’étendant sur la Flandre et avec 100.000 ressortissants à Bruxelles 2) la Belgique francophone s’étendant sur la Wallonie et 900.000 Bruxellois francophones. Or, Bruxelles composée tant de francophones que de néerlandophones, ne veut pas se définir par la seule langue. La Wallonie non plus d’ailleurs parce que son aspiration à l’autonomie ne se nourrit pas de l’aspiration à défendre une langue, mais une économie et une certaine vision politique enracinée dans le social.
Quand on parle de la politique belge à l’étranger, ce dont je viens de parler n’est pas assez pris en compte, mais, il faut l’avouer, ce n’est pas davantage le cas en Belgique elle-même. Même Bruxelles, du point de vue des revendications dont je viens de parler, n’a pas non plus de lisibilité. En effet, la Flandre a contribué d’une certaine manière à imposer sa manière de voir les choses qui est de les voir surtout à travers le choc ou le conflit entre deux langues, la sienne, le néerlandais, et le français, la nôtre. René Girard a bien montré que lorsqu’il y a conflit, les deux partenaires se ressemblent de plus en plus. Et il est vrai que les partis francophones sont organisés sur une base linguistique. Tendant à leur propre unité, à leur propre logique, ils ne tiennent pas tant que cela à donner de l’importance à ce qui, au-delà de langue, les diversifie: Bruxelles et la Wallonie. Du moins, ils aimeraient bien que -- idéalement -– les deux ne fassent plus qu’un. Mais cela aussi c’est impossible. On fait donc semblant qu’il n’y a que des Belges francophones face à des Belges néerlandophones. Cette vision correspond à ce que l’on comprend le mieux à l’étranger et même en Belgique et, pourtant, cela ne correspond pas à la réalité, car si vraiment la Belgique était aussi clairement divisée en deux parties, il y a longtemps qu’elle n’existerait plus.
Or elle existe toujours et c’est en raison du fait qu’elle est constituée non de deux réalités, mais de trois. Ce qui rend tout un peu plus difficile.
José Fontaine

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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