Wallons “belges” et Wallons “wallons”

Entre nostalgie et projet

Chronique de José Fontaine

Pendant que se poursuivent les interminables discussions politiques belges à Bruxelles, trois à quatre cents régionalistes wallons (les Québécois diraient “nationalistes” mais en Wallonie le terme a un contenu péjoratif), se réunissaient à Namur pour jeter les bases d’une nouvelle action wallonne.
Un congrès intelligent
Ce Congrès, qui s’est donné le titre modeste de “réunion”, réunissait des représentants des deux grands syndicats d’ouvriers et d’employés, des intellectuels, le secrétaire du syndicat wallon des agriculteurs, une bonne dizaine de parlementaires wallons sur 75 que compte le Parlement de Namur, trois anciens Présidents wallons, le Président du parlement. Le fédéralisme belge est à deux dimensions: les 3 communautés fondées sur la langue, les 3 régions fondées sur le territoire. Les 3 communautés furent voulues par les Flamands, dont la langue est l’étendard militant; les 3 régions ont été voulues par les Wallons dont l’ambition syndicale et progressiste était de redresser la Wallonie sur le plan économique par une maîtrise plus démocratique de son développement. Les Flamands ont fusionné la Région flamande et la Communauté parce que leur région à elle seule compte quasiment 99% des Flamands, le reste étant à Bruxelles. Les Wallons ont avec acharnement voulu garder la distinction Région/communauté, parce que la fusion chez eux posait problème étant donné que, s’il y a 3,4 millions de Wallons, il y a 900.000 Bruxellois francophones qui ne s’éprouvent pas comme faisant partie de la même communauté régionale/nationale que les Wallons.
La réunion de Namur a bien marqué - tous les orateurs y ont fait allusion – la volonté de maintenir cette dualité, les Bruxellois présents acquiescent à cette idée et le porte-parole du régionalisme bruxellois naissant est venu apporter son appui à l’assemblée de Namur. Il y a un refus de part et d’autre de la Communauté qui réunit Wallons et Bruxellois francophones dans la mesure où ce rassemblement - étrangement, et il n’est pas simple d’expliquer cela hors de Belgique, déjà pas même en Belgique! - donne lieu à un gouvernement et un parlement distincts. Une complication inutile et nuisible car des politiques différentes doivent être menées dans les compétences communautaires, soit l’enseignement et la culture. Certains voudraient même voir la Région wallonne absorbée dans la Communauté et ne plus avoir la capitale qu’elle s’est choisie à Namur, mais voir celle-ci rapatriée à Bruxelles! Dans un vaste ensemble francophone que les partis politiques qui se définissent par la Communauté (ou sur une base communautaire), imaginent être une alliance contre les Flamands. L’idée de ce combat ou de cette alliance a été rejetée au profit de l’idée de fédérer la Wallonie et Bruxelles et de supprimer la Communauté. Si la Wallonie et Bruxelles ont des intérêts communs, pourquoi faut-il qu’il y ait un troisième Etat fédéré qui exprime ce lien?
Des arguments contre un rêve
Une partie importante de l’opinion en Wallonie ne rentre pas dans ces débats mais rêve de la Belgique ancienne. Il lui importe peu, je crois, que la Wallonie soit fusionnée (et donc niée) dans une machin francophone de Belgique. Ils n’ont pas la fibre nationale des Wallons d’hier à Namur. Les partis francophones les suivent car les politiques actuels n’ont plus d’opinion politique mais suivent ce que pensent et ce que sentent les gens (via les sondages). Pourtant, leur politique est insensée. Car, du côté flamand, la volonté de se séparer de plus en plus de la Belgique est forte et même inébranlable. Déjà plus de 50% des matières étatiques sont gérés par les entités fédérées. Une première série de transferts vient d’être décidée de l’Etat fédéral vers les Régions et une seconde série suivra. Si la Flandre ne l’obtient pas, elle replongera la Belgique dans la crise. Les régionalistes wallons de Namur sauf surtout en matière de solidarité sociale, voudraient que l’on discute plus positivement avec les Flamands. Ils ne sont plus vraiment belges, contrairement aux partis francophones dominants. Etrangement, ils risquent peu – pour l’instant – d’être suivis par les partis politiques wallons qui – pourtant et là est le paradoxe – finiront par accepter un accroissement des autonomies et même le passage de la Belgique à une confédération d’Etats. Mais les leaders politiques francophones doivent tenir compte du sentiment belge dominant en Wallonie, c’est-à-dire du rêve wallon purement sentimental et nostalgique. Alors qu’ils savent bien au fond que ce sont les participants à la réunion de Namur qui ont le rêve le plus rationnel.
On pourrait se demander comment ces deux groupes ne s’entendent pas mieux. Peut-être à cause du fait que les Wallons (certes de sentiment wallon en majorité, tous les sondages le montrent), demeurent cependant aussi attachés à la Belgique (et tous les sondages le montrent aussi). Il faut donc que les dirigeants wallons (dans leur majorité), fassent semblant d’être belges pour complaire à leur électorat pour cependant conduire la Belgique à une situation politique ou juridique très éloignée de l’ancien Etat-nation belge. Mais où l’opinion wallonne demeurée belge pourra toujours s’enivrer au sentiment national belge de plus en plus privé de base étatique réelle. Ils pourront le faire parce que la Flandre elle-même, dans son agenda politique, n’a pas avantage à mettre fin tout de suite à la Belgique.
Le rêve des Wallons autonomistes ne se réalisera pas avant un certain temps et le rêve des Wallons restés belges sombrera dans le néant d’ici ou une deux décennies. Ce rêve est sans avenir, mais le condamné à mort qui demande au bourreau une minute de répit considère que cette minute vaut toute une vie. Les militants wallons n’ont pas encore réussi à faire comprendre à leurs compatriotes que la fin de la Belgique n’est pas la guillotine qui tuera leur existence politique et qu’il y a une vie après la Belgique. Ils devront rester résolus et s’armer d’une grande patience, mais l’histoire leur a déjà donné raison. Dommage pour les Wallons nostalgique, pour eux, d’abord, mais pour la Wallonie surtout à qui ils manquent cruellement car on ne construit pas une société contre son peuple.
José Fontaine

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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