Scepticisme wallon

Chronique de José Fontaine

Les Wallons inaptes à la démocratie?
Mardi passé la Fondation wallonne fêtait son 20e anniversaire au Parlement wallon mis à sa disposition pour une séance académique qui n’a pas été sans intérêt. Le Professeur Pirotte y a très bien expliqué que malgré l’étendue des compétences dévolues à la Wallonie (y compris au fond une sorte de personnalité internationale car la Wallonie signe des traités indépendamment de l’Etat fédéral belge lui-même), les ressortissants wallons regardent cet Etat dont les compétences s’accroissent sans cesse (les négociations gouvernementales belges actuelles sont en train de programmer encore de vastes transferts), avec un scepticisme réel.
La Wallonie ou le “Sud-du-pays”?
J’étais à un colloque international sur l’éducation spécialisée en juillet dernier à Namur et beaucoup d’intervenants wallons ont eu à coeur - à l’image des médias – de ne jamais désigner la Wallonie comme telle mais de la désigner par la périphrase habituelle: le Sud-du-pays. Ce qui est même géographiquement incorrect car, lorsque l’on regarde une carte, la Wallonie est aussi bien à l’ouest qu’à l’est de la Belgique. Les explications données sont diverses: le fait que la Wallonie est devenue autonome voire semi-indépendante (voire plus?), pour lutter contre son déclin économique et que la date de son autonomie (1980) a coïncidé avec l‘aggravation de la crise qu’on appelait alors “internationale”. Le fait que la Belgique ne peut en aucune façon être comparée à ce que le Canada peut être vis-à-vis des Québécois, soit un Etat colonisé dont la façade a été relativement adaptée à un Etat souverain.
En effet, la Belgique procède d’un soulèvement propre à ses populations (en septembre 1830 contre les Hollandais à qui avait été jointe la Belgique et le Luxembourg pour former un État assez semblable au Bénélux actuel, la bourgeoise tant flamande que wallonne édifiant sur cette base un Etat qui connut une prospérité économique énorme (grâce à la Wallonie industrielle). Il y a aussi le fait que si les compétences matérielles (au sens courant: travaux publics, économie, forêt, énergie, commerce extérieur, environnement, tutelle sur les pouvoirs locaux etc.), ont été attribuées à la Wallonie (à la Région wallonne), les compétences scolaires et culturelles ont, elles, été attribuées à la Communauté Wallonie-Bruxelles qui regroupe tous les francophones de Belgique mais qui est une institution s’inscrivant mal dans un projet de construction wallon.
Une Communauté antiwallonne
Il n’y a donc aucun effort réalisé dans les écoles pour aider les jeunes à s’approprier la nouvelle donne politique belge. Les enseignants sont toujours imprégnés d’une vision purement belge de l’histoire et (selon des témoins sûrs), ont tendance à présenter à leurs élèves l’accession de la Wallonie à l’autonomie comme un échec de l’union entre “Belges”.
Tout cela est assez ridicule quand on y songe puisque, matériellement, la Belgique comme État est perdante partout. Son symbole le plus fort – la monarchie – est en complète perte de vitesse. L’État belge (comme les autres États européens) a comme monnaie une monnaie européenne. L’État belge perd donc énormément par le “haut” (l’Europe) et plus encore par le “bas” (la Wallonie). Tout indique qu’il va se réduire peu à peu à une coquille vide.
Et pourtant, récemment, une revue aussi crédible que La revue nouvelle considérait le “régionalisme wallon” (au Québec on dirait le “nationalisme wallon”), comme “cliniquement mort” . Certes, ce n’est pas la première fois qu’on le dit. Cependant, cette fois, on a pu constater que le mouvement wallon vieillit et s’essouffle.
C’est une situation assez paradoxale. Au fur et à mesure que la Wallonie devient un véritable État, les Wallons s’en détournent (au moins sur le plan symbolique: pour toutes les compétences très étendues que possède la Wallonie il faut évidemment s’adresser à cet État, concrètement, pratiquement). Cette situation qui nuit à la Wallonie, énormément, n’apporte en réalité rien du tout à la Belgique que les Flamands méprisent, de laquelle ils clament hautement ne pas relever, et l’engouement belge visible en Wallonie n’empêchera nullement que la Belgique comme État voie sa signification de plus en plus réduite, voire même annulée.
Des Wallons (et des Bruxellois) inadaptés à leur propre réalité
Cette situation alarme à ce point les militants wallons qu’ils sont parvenus à monter une grande réunion publique qui aura lieu le 29 février prochain à Namur. Curieusement (si l’on se souvient de ce que je viens de dire de l’engouement belge en Wallonie), cette réunion regroupera des intellectuels en vue, les deux grands syndicats, le syndicat agricole et un grand nombre de parlementaires wallons (c’est-à-dire de députés qui siègent au Parlement wallon, non pas de députés fédéraux wallons qui seront sans doute présent). On y attend du monde. L’objet de la réunion est de réclamer ce que réclamait déjà en 1983 le Manifeste pour la culture wallonne, soit le transfert à la Wallonie des matières comme la culture et l’enseignement actuellement gérées par la Communauté Wallonie-Bruxelles qui, malgré son nom, n’a pas de projet wallon et est même dirigée par des gens hostiles à l’idée wallonne.
Il faut dire que les “régionalistes” wallons ont obtenu déjà au début des années 1990, une partie (certes modeste), de ces compétences (le patrimoine par exemple, certaines compétences tournant autour de l’école, le tourisme, etc.). Mais aujourd’hui, surtout, il existe également un régionalisme bruxellois (inexistant jusqu’à il y a peu), appuyé par les élites de la capitale belge qui demandent la même chose que les Wallons. Les Flamands ne s’opposent d’ailleurs pas à ces revendications. On se demande même pourquoi elles ne sont pas plus vite satisfaites. Il faut l’expliquer par la dépendance de la classe politique actuelle à l’égard de ce que l’on appelle la démocratie d’opinion.
Lors d’une réunion préparatoire à la réunion du 29 février à Namur, des hommes politiques ont pu expliquer que les hommes politiques de 2008 n’expriment plus d’opinions politiques, mais lisent les sondages pour pouvoir dire à l’opinion ce qu’elle donne l’impression de penser à travers ces sondages qui ne sont, comme J.M. Ferry l’a expliqué, qu’un “agrégat statique d’avis privés”. La démocratie demeure le fait de minorités agissantes qui ne se contentent pas des idées reçues, des majorités silencieuses, mais agissent, se soulèvent, tempêtent, polémiquent et, surtout, argumentent. “Que faites-vous de l’opposition de tant de vos concitoyens restés fidèles au roi et à la Belgique?”, demande-t-on parfois aux militants wallons. A quoi ceux-ci répondent: “que faites-vous d’une population wallonne qui se détourne de sa propre réalité politique et étatique pour cultiver la nostalgie d’une Belgique qui n’est plus déjà qu’un demi-fantôme?”
Et il est vrai qu’à force de rester bêtement belges, les Wallons risquent de n’être bientôt plus que des “gens”, non des citoyens. L’enjeu de tout ceci n’est pas un quelconque nationalisme, mais l’existence même de la démocratie. Le fait qu’il y ait maintenant un régionalisme bruxellois le démontre à l’évidence.
José Fontaine

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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