La monarchie belge mise à bas

Le combat contre le Mensonge est le plus extraordinairement difficile des combats!

Chronique de José Fontaine


La crise belge n’est pas une petite crise. Lundi passé, le journal flamand De Standaard révélait la manière dont la monarchie s’était comportée durant la longue crise politique (qui n’est pas finie), cherchant par exemple à briser les liens qui unissent les démocrates-chrétiens flamands et les nationalistes et indépendantistes flamands de la NVA.
Pourquoi ces révélations sont graves
Ces révélations sont graves parce que, dans une monarchie constitutionnelle, le roi ne peut garder une influence politique forte que si celle-ci demeure une influence secrète s’exerçant dans le contact d’homme à homme avec, notamment, le monde politique. On appelle ces contacts des “colloques singuliers” en Belgique et ils sont de fait couverts par une loi à la fois constitutionnelle et coutumière, mais de toute façon forte.
Pour comprendre que, par là, le roi a un pouvoir très grand, il suffit de réfléchir un peu. Il est entouré par un cabinet de personnes expertes que lui-même nomme et qui le conseillent dans tous les domaines. Entouré comme cela, avec la faculté de rencontrer à peu près comme il veut les hommes importants (surtout en cas de crise gouvernementale), les rois des Belges ont joué un rôle si considérable que, jusqu’en 1950, ils ont été considérés comme la pièce centrale du jeu politique belge. Alliant ce pouvoir direct et secret au poids symbolique que constitue toujours un personnage fabuleux comme un roi.
D’autant que chez nous le roi est considéré depuis les années 1930 comme le garant de l’unité du pays. Mais ce pouvoir, le roi, à mon avis, ne sera plus à même de l’exercer. En effet, ce pouvoir ne peut s’exercer que si les hommes politiques que rencontre le roi jouent le jeu de la discrétion et du secret du colloque singulier (ce qu’ils ont fait depuis 1830 et qu’ils ne font plus depuis les révélations du Standaard, du moins côté flamand). Cela leur permet à la fois de se confier au roi (qui ne fait jamais aucune déclaration publique véritable), et au roi d’avoir du pouvoir. Le fait qu’un grand journal flamand ait révélé si vite le secret de ces conversations permet de dire qu’à l’avenir les hommes politiques ne pourront plus se confier au roi, étant donné que d’autres ont vendu la mèche.
Voilà donc un pouvoir, une institution centrale en Belgique qui vient de subir un revers sans doute irrattrapable. Et dans le journal flamand que je cite, le journaliste qui le dirige et qui a l’estime de ses confrères et de l’opinion, commentait les révélations sur ce secret divulgué d’ une manière profondément méprisante décrivant le roi comme: “un vieux bonhomme succédant à un autre vieux bonhomme (le roi Baudouin Ier), appartenant à un passé révolu qui soupire et gémit parce qu’on ne le laisse pas tranquille durant les vacances et qui se plaint que son valet de chambre ne lui apporte pas tout de suite la portion de glace qu’il veut boire avec son verre” (traduction libre).
En outre les révélations du journal flamand touchent même le sordide: on avait été frappé l’an passé d’une conversation d’une inhabituelle longueur du monarque avec le président wallon du parti libéral et on croyait pouvoir au moment même lui donner une signification politique. Or le journal nous a appris que cette conversation si longue a porté sur les meubles des appartements du Prince-Héritier à Bruxelles, meubles qui appartiennent en fait à un ancien Palais royal d’Anvers et font partie du patrimoine artistique flamand et que les Flamands voudraient voir retourner là où ils doivent être... Triste!
Pourtant...
En même temps qu’un pan essentiel de l’Etat belge achève de pourrir, j’ai été frappé tantôt de l’insistance avec laquelle la radio francophone (la RTBF, radio francophone et si peu wallonne), parlait de l’accueil qu’a reçu la joueuse de tennis numéro 1 mondiale, la Wallonne Justine Henin (que personne ne présente jamais comme wallonne), au tournoi de tennis d’Anvers, où le public est essentiellement flamand, lequel public l’a ovationnée après qu’on l’y ait présentée en français. Je pense que le symbolisme sportif joue un rôle assez central dans les sentiments nationaux aujourd’hui. Et on ne peut pas nier que cette joueuse wallonne soit aussi populaire en Flandre qu’en Wallonie. Interrogée, elle assume d’ailleurs ce rôle politique et parle de la Wallonie comme du “sud de la Belgique” (pour les unitaristes belges, prononcer le mot même de Wallonie semble devenir une faute de goût: c’est d’autant plus absurde que la Wallonie est autant à l’est qu’à l’ouest de la Belgique, mais passons...).
Le parallèle entre le pourrissement de l’Etat belge et le maintien réel d’un sentiment d’appartenance à cet Etat via le sport est frappant. La propagande belge s’en sert immodérément. Face à cela, je demeure perplexe. Je ne nie pas le fait, mais je me demande ce qu’il prouve exactement. Ce rôle a été tenu auparavant par l’équipe de Belgique de football devenue nulle sur le plan international. On trouvera d’ailleurs toujours bien un sportif pour alimenter cette propagande. Ce phénomène va-t-il à la racine des choses? Je n’en sais rien. Il y a cependant quelque chose dont je voudrais parler encore à propos de la monarchie.
La monarchie rend opaque la Belgique à elle-même
Dans la mesure où le roi des Belges a été longtemps la plaque tournante, l’astre central du jeu politique belge, il faut bien voir quelles en sont les conséquences sur une certaine santé de la citoyenneté chez nous. Cet astre est un astre noir. Je veux dire par là que l’action politique du roi, si elle est centrale (et elle l’a été), échappe, du fait du principe du secret de cette action, garanti par la Constitution, aux citoyens, et même, par-delà le citoyen ordinaire, aux parlementaires (qui ne peuvent pas contrôler vraiment la manière dont fonctionne le cabinet du roi), du moins à la plupart d’entre eux. C’est tellement vrai que, si l’on sort de l’actualité, on s’aperçoit que l’histoire elle-même d’un pays comme la Belgique n’est pas claire.
Ainsi Léopold II (1865-1909) peut être considéré comme un criminel contre l’humanité en raison de son action barbare au Congo (10 millions de morts en quelque quinze années du fait du travail forcé imposé aux Noirs par la terreur: pour récolter le caoutchouc et financer cette colonie qui au départ n’appartenait qu’au roi lui-même). Mais ses statues peuvent être toujours admirées dans les principales villes du pays.


Ainsi Albert Ier (1909-1934), adopta une attitude pendant la guerre de 1914-1918, très différente de celle de son gouvernement et de celle de l’opinion publique que, rétrospectivement, on peut juger “noble” parce que cet aristocrate voyait la guerre européenne de haut et de loin, ne partageant le patriotisme ni de son gouvernement, ni des Belges (patriotisme pourtant légitime, la Belgique ayant été attaquée par l’Allemagne par une violation du droit très grave que le Chancelier allemand lui-même reconnut le jour même du début de la guerre). Le mépris de ce roi pour la démocratie parlementaire est énorme.


Son fils, Léopold III, lui succéda en 1934 et adopta au fond la même attitude que son père, mais dans des circonstances très différentes: l’armée belge fut obligée de capituler, puis la France. L’intention de Léopold III était d’établir en Belgique occupée un régime analogue à celui du Maréchal Pétain en France, ce qu’Hitler empêcha. Le roi le rencontra, souhaita qu’un communiqué commun fut diffusé à la suite de la rencontre, ce qu’Hitler à nouveau refusa. Léopold III admirait Hitler. Sa deuxième femme (épousée pendant la guerre), maintint au chef du Reich une admiration que partageait Léopold III, jusqu’en 1944 au moins. Le roi fut un homme assez tenté par l’autoritarisme hitlérien, mais assez peu lucide sur son déclin et demeuré semble-t-il, ignorant du génocide. Après la guerre, il fut violemment contesté par la classe ouvrière en Wallonie qui s’opposa à son retour sur le trône et, en 1950, le força à s’engager à abdiquer.


On sait maintenant que cette abdication ne fut que formelle, Léopold III gardant le pouvoir réel via son fils Baudouin Ier qu’il influença encore de manière décisive jusqu’en 1960. Après c’est une autre histoire: le fils s’émancipa de son père (dont il avait auparavant assumé bien des rancunes, à même par exemple d’empêcher certaines personnes de devenir ministres ou imposant des affronts publics à d’autres). Mais pendant un quart de siècle le silence sur les événements de 1950 fut total.
Une opacité bien défendue
On pourrait continuer longtemps comme cela. Il est clair aujourd’hui que le roi Baudouin Ier fut un obstacle au fédéralisme (instrument d’autonomie dans notre pays, comme cela se voit encore maintenant), dont il freina le développement pour finir par s’y résoudre. Ce qui frappe, c’est que l’histoire enseignée à l’école ou diffusée dans les médias aux meilleures heures d’écoute, tend à dissimuler tout ce que je viens de dire, et, à mon sens, non sans efficacité. Je feuilletais il y a quelques jours un livre récent sur Léopold II où une demi-page est consacrée aux atrocités commises au Congo pour les mettre en doute. D’une manière générale, dans les librairies, par exemple, au rayon histoire de Belgique, on trouve surtout (encore aujourd’hui), des livres sur les rois (le livre sur Léopold II, paru en 2007, prend place dans une longue série: il me semble qu’il n ‘était pas nécessaire, surtout que c’est un livre mensonger, au moins par omission). Au fond, le reste est occulté.
On n’écrit que sur les rois. Des écrivains comme Patrick Roegiers ou Pierre Mertens rencontrent des succès énormes de librairie en racontant n’importe quoi sur la monarchie belge (le premier surtout qui raconte de manière peu honnête et qui obtient un énorme succès de librairie avec La spectaculaire histoire des rois des Belges (Perrin, Paris, 2007), le livre le plus lu en Belgique selon le palmarès du “Vif” encore aujourd’hui).
J’avoue que je ne sais pas si j’aurai la force d’aller au bout de cette chronique, parce que cela dépeint inévitablement la Belgique surtout wallonne et francophone, comme un pays amnésique et presque idiot . Dans ce cadre belge illustré par quelqu’un comme Hergé par exemple (royaliste et également proche des collaborateurs des nazis), il n’y a pas de place évidemment pour la Wallonie, ni pour son histoire. En tout cas, il n’est pas facile d’en parler. J’en sais quelque chose puisque, comme journaliste, j’ai été éjecté de plusieurs journaux, notamment parce que, en 1983, j’avais parlé de la reddition sans combattre de plusieurs unités flamandes en mai 1940. Les meilleurs historiens ont pu montrer que ce sont ces redditions flamandes (dont je ne veux pas accabler les Flamands parce qu’elles peuvent se comprendre à certains égards), qui ont poussé le roi à disjoindre ses efforts militaires des alliés français et anglais, à demeurer aussi en Belgique pour y mener une politique attentiste à l’égard d’Hitler. Mais qui lit ces historiens?
Le Mensonge
[->11728]Certes, ce que je viens de dire ici, il est possible aujourd’hui d’en parler, de le publier, d’en écrire. Mais cela fut concrètement impossible longtemps, à cause d’une sorte de censure que s’imposa la société belge, francophone surtout, à l’époque où elle dominait encore. La mémoire est ce qu’il y a de plus grand pour un peuple, mais, en même temps, elle est si fragile, la mémoire! qu’un système comme la monarchie belge peut aisément l’étouffer et c’est la mémoire wallonne qui est la première victime de ce ministère belge de la vérité à la Orwell. En effet, on peut parler de toutes ces choses, mais si longtemps après qu’elles se soient produites qu’on peut presque dire des événements qui nous ont fondés ce que disait Hannah Arendt: “Un événement qui n’est pas raconté n ‘a pas eu lieu”. Ce qui n’a pas eu lieu (ou presque), c’est la Wallonie. Le combat contre le Mensonge est le plus extraordinairement difficile des combats!
José Fontaine

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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