L’Office québécois de l’absurdité

France Boucher - un cas d'incompétence


Il y a quelque chose de tout à fait absurde dans le refus de France Boucher de tirer la moindre synthèse du bilan quinquennal de l’Office québécois de la langue française déposé mercredi. Un peu comme si un médecin, après avoir fait passer une batterie de tests à son patient et l’avoir fait patienter durant des mois, finissait par lui balancer une série de résultats à la figure sans poser un diagnostic ni même répondre à ses questions.

Est-ce que je vais bien, docteur? «Je ne peux pas vous le dire. Mais sachez que le rapport est complet.» Vais-je m’en sortir, docteur? «Ce n’est pas à moi de vous le dire. Mais sachez que l’examen que nous avons fait est sérieux.» Devrais-je prendre des médicaments, me faire opérer ou changer de médecin? «Je vous donne les faits. Je n’ai pas à vous donner mon avis en plus.»
Pas d’avis. Pas d’opinion. Pas de conclusion. Des chiffres et des faits, un point, c’est tout. Voilà donc ce que Mme Boucher, présidente entêtée de l’OQLF, avait à présenter aux médias mercredi, les noyant sous 1700 pages de documents remis deux minutes avant le début de la conférence de presse. Tout ça avec fierté et «enthousiasme», bien sûr, comme prend soin de le préciser le communiqué de presse.
Nous voici donc devant une piteuse tentative de contrôler le message jusqu’à la dernière minute. Une tentative qui laisse pour le moins perplexe. D’autant plus que l’on sait que Mme Boucher a retardé la publication d’études prêtes depuis des mois et qu’elle a tenté de museler le comité d’experts indépendants de l’OQLF.
Le 4 décembre, dans un élan de paranoïa, elle a en effet invité les membres de ce comité à prêter serment avant de se rendre dans une pièce à l’abri des espions, sans ordinateur, sans papier ni téléphone cellulaire, afin d’examiner le bilan dans le plus grand secret. Toute copie annotée devait être détruite à la sortie.
Les membres du comité ont refusé avec raison de se soumettre à ce cérémonial absurde. Mais Mme Boucher continue d’y voir une procédure normale. On se demande bien ce que peut être à ses yeux une procédure anormale. Soumettre les experts au détecteur de mensonge? Leur faire porter une muselière?
À sa défense, la présidente de l’OQLF plaide avec paternalisme que le sujet en est un délicat, qu’il suscite «beaucoup d’appétit et d’intérêt» des médias. Au Québec, la question de la langue est politique, ça va de soi. On ne parle pas de la langue comme on cause de météo. La question en est une émotive, qui suscite les passions et appelle à la récupération politique, d’un côté comme de l’autre. En se basant sur les mêmes données, des démographes en arrivent à des conclusions radicalement différentes.
Mais on voit mal comment l’usage de techniques quelque peu soviétiques de contrôle de l’information pourrait arranger les choses. Si on voulait tuer dans l’œuf la controverse, c’est raté. Car la meilleure façon de susciter la controverse n’est pas d’exposer les faits controversés mais bien de tenter de les cacher.
Après cinq ans d’études, nous avons donc eu droit à une multitude de statistiques sur la situation linguistique, livrées avec «fierté» et «enthousiasme», bien sûr. Merci, c’est gentil. Le hic, c’est qu’une bonne partie du bilan est basée sur des données du recensement de 2001, alors qu’à peine 24 heures plus tôt, Statistique Canada venait de nous livrer les données toutes fraîches de 2006, de façon beaucoup plus limpide que la présidente de l’OQLF. Faudra-t-il attendre 2014 pour que l’OQLF compile les données de 2006?
Mme Boucher a justifié son refus de tirer des conclusions du bilan quinquennal en se référant à une définition très stricte de son mandat. Si stricte, en fait, que l’on en vient à remettre en question la pertinence même d’un tel mandat. En principe, le rôle de l’OQLF est avant tout «de définir et de conduire la politique québécoise en matière d’officialisation linguistique, de terminologie ainsi que de francisation de l’Administration et des entreprises». On peut logiquement penser que c’est pour cette raison qu’on lui demande entre autres de surveiller l’évolution linguistique au Québec et d’en faire rapport. Or, pour «définir et conduire», il faut, à tout le moins, oser nommer les choses, aussi délicates soient-elles.


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