La langue dans le buffet

Cela dit, on fait fausse route en claironnant que les données dévoilées hier témoignent de la force de la Charte de la langue française.

Recensement 2006 - langue de travail


On s'attendait à des mauvaises nouvelles. D'autant plus que l'on savait que l'Office québécois de la langue française refusait de rendre publique depuis des mois une étude sur la langue utilisée au travail à Montréal. Y avait-il donc quelque chose à cacher? On disait que non. Mais le message qui passait, c'était que oui.

On s'attendait donc à des mauvaises nouvelles. Mais les nouvelles n'étaient pas si mauvaises que ça, finalement. Les données de Statistique Canada dévoilées hier indiquent que le français au travail est de plus en plus utilisé à Montréal et que la progression est particulièrement marquée chez les immigrants. Il s'agit donc d'un renversement de tendance, si l'on compare avec les données du recensement précédent. On notait alors un regain de l'anglais au travail chez les immigrants récents. Ce n'est plus le cas. Et c'est tant mieux.
En décembre, Statistique Canada nous disait que le poids démographique des Montréalais de langue maternelle française diminuait, tombant pour la première fois sous la barre des 50%. Or, les données dévoilées hier montrent bien à ceux qui en doutaient encore que les statistiques sur la langue maternelle ou la langue parlée à la maison nous disent dans le fond bien peu de chose sur la vitalité du français comme langue d'usage public, celle-là même qui est visée par la Charte de la langue française.
Cela dit, on fait fausse route en claironnant que les données dévoilées hier témoignent de la force de la Charte de la langue française. Si plus d'immigrants parlent le français au travail, ce n'est pas grâce à une application soudainement plus rigoureuse de la Charte ni grâce à des efforts colossaux faits en entreprise. Si plus d'immigrants parlent le français, c'est surtout parce qu'au départ, ils le parlaient déjà ou avaient une propension à le parler, nous dit Statistique Canada. Le recrutement accru d'immigrants de langue maternelle arabe, espagnole et roumaine, souvent francophones ou francophiles, explique en bonne partie les progrès observés.
L'ironie de la chose, c'est que, souvent, ces immigrants francophones attirés par le fait français déchantent en débarquant à Montréal. Ils réalisent très vite que sans l'anglais, ils auront du mal à se démener sur le marché du travail. Ils découvrent aussi, à leur grand étonnement, que dans certains coins de l'île de Montréal, le français n'est prédominant qu'en théorie.
Parfois, le choc peut être assez brutal. J'en parlais récemment avec une immigrante camerounaise. Son mari et elle ont choisi le Québec précisément parce que l'on y parle français. Mais voilà qu'elle atterrit par hasard à Hampstead, un îlot anglophone à Montréal où plus de 80% des gens utilisent le plus souvent l'anglais au travail. C'est un peu comme si elle vivait en Alberta sans le savoir. «C'est un peu bizarre, observait-elle. Ça m'a vraiment surprise. Quand tu choisis de venir au Québec, c'est parce que c'est le français qui t'attire...»
Elle se demande aujourd'hui où se cache le Québec français qu'elle imaginait. Dans la plupart des commerces qu'elle fréquente, que ce soit à Hampstead, Côte-Saint-Luc ou Côte-des-Neiges, impossible de se faire servir en français. «Le plus souvent, si tu dis que tu parles français, on te regarde comme si tu viens du ciel. Je me rends compte qu'ici, on parle anglais! On est venus ici pour rien!» lançait-elle, déboussolée. «Faudra que je me mette à l'anglais!»
C'est dire que malgré les progrès observés, le message envoyé à l'immigrant qui débarque dans certains coins de Montréal reste très ambigu. Sans être alarmiste et sans bien sûr nier les droits de la minorité anglophone, il faut y voir. Les voeux pieux ne suffisent pas. Comme le dit Boucar Diouf, en citant sa blonde dans La Commission Boucar pour un raccommodement raisonnable qu'il vient de publier (Les Intouchables), on ne peut demander à un nouvel arrivant en Amérique du Nord de «choisir librement» le français. Car cela équivaut à «inviter un boulimique à un buffet ouvert en espérant qu'il se contente de crudités».
Que nous dira à ce sujet l'étude cachée par l'Office québécois de la langue française qui doit être enfin dévoilée aujourd'hui? La dernière étude de l'OQLF sur la langue de travail, publiée en 2006 et basée sur les données du recensement de 2001, concluait que le français n'avait pas fait de gain dans le milieu du travail au Québec. Y a-t-il eu, depuis, ruée soudaine vers le plateau de crudités?


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