L'ingérence du premier ministre Stephen Harper dans la conduite du recensement des Canadiens continue de faire couler beaucoup d'encre. Pour cause, car il ne s'agit pas d'une simple mesure administrative, mais d'une intrusion directe dans la gestion des méthodes scientifiques utilisées par Statistique Canada. On reconnaît les partis trop fortement teintés d'une idéologie, qu'elle soit de droite ou de gauche, à leur obsession malsaine du contrôle, y compris en matière scientifique.
La démission courageuse, mercredi, du statisticien en chef de Statistique Canada, Munir Sheikh, est venue accréditer la rumeur voulant que l'organisme soit en désaccord avec la décision gouvernementale d'abolir l'obligation de remplir la version détaillée du questionnaire de recension nationale. Une enquête volontaire, écrit M. Sheikh dans sa lettre de départ, ne peut pas remplacer un recensement obligatoire.
En réplique aux critiques unanimes des partis d'opposition, des groupes d'affaires autant que des groupes syndicaux, des municipalités et du milieu universitaire, les ministres du gouvernement continuent de faire valoir l'argument de l'intrusion inopportune de l'État dans la vie privée des gens. Le gouvernement n'a pas à frapper à la porte des gens, à 22h le soir, pour connaître le nombre de chambres à coucher dans leur maison, a commenté le bureau du premier ministre Harper. L'image est forte, mais elle est surtout ridicule.
Quant au député de Beauce, Maxime Bernier, il a profité de l'occasion pour promouvoir son credo de réduction de la place de l'État en suggérant aux «groupes de pression» qui utilisent les données du recensement d'effectuer leurs propres études. M. Bernier sait pourtant bien que les renseignements recueillis par Statistique Canada ne servent pas seulement à des groupes de pression, mais à tous les gouvernements dans l'élaboration de leurs programmes, aux chercheurs, aux entreprises, enfin à tous ceux qui ont besoin de données complètes, objectives, détaillées, et qui vont au-delà de ce que les sondages peuvent nous apprendre.
En fait, si M. Bernier et ses collègues sont à ce point opposés à l'obligation de répondre obligatoirement à un questionnaire détaillé malgré la totale confidentialité de l'exercice, c'est qu'ils refusent d'accepter que l'individu a aussi des devoirs à l'égard de la collectivité. L'idéologie libertarienne de laquelle il s'inspire prône l'avènement d'une société où les individus seraient «libérés» de toute entrave collective et entièrement responsables de leur sort, pour ne pas dire abandonnés à eux-mêmes. Et que le plus fort gagne!
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Selon un sondage Ipsos Reid, 49 % des Canadiens et 62 % des Québécois interrogés seraient d'accord avec la décision du gouvernement Harper. Il va de soi que ces résultats font plaisir aux conservateurs, qui se réclament de la «majorité silencieuse» et ne manquent jamais une occasion de dénigrer les chercheurs, les artistes, les journalistes... enfin tout ce que le pays compte d'intellectuels. Pourtant, ils sont aussi la preuve qu'un simple sondage ne suffit pas pour connaître autrement que de façon superficielle la position des gens sur une question complexe. Encore moins pour dresser un portrait détaillé de la population canadienne et de ses habitudes de vie.
De toute façon, ce n'est pas parce qu'une majorité de gens se prononcent contre une mesure qu'un gouvernement doit suivre le mouvement. La peine de mort en est l'exemple le plus frappant, mais il en existe des dizaines d'autres, tels que les programmes de discrimination positive que les conservateurs songent aussi à faire disparaître, apprend-on.
Ce comportement d'un populisme navrant n'augure rien de bon pour l'avenir si d'aventure ce gouvernement remportait une majorité de sièges aux prochaines élections. On ne compte plus le nombre de décisions désastreuses prises malgré son statut de minoritaire, que ce soit l'abolition de l'aide aux tournées d'artistes, l'obsession pour la sécurité et la répression du crime, le refus d'adhérer au protocole de Kyoto ou d'inclure l'avortement dans l'aide aux femmes du Tiers-Monde, pour ne nommer que les plus connues.
Devant tant de parti pris, on ne peut pas rester indifférents. Que les conservateurs veuillent imposer leur vision de la vie en société, c'est leur droit, mais rien ne nous oblige à les suivre. C'est pour cette raison qu'il faut réclamer plus d'indépendance pour des organisations de l'importance de Statistique Canada ou de Radio-Canada, dont le mandat n'est surtout pas de répondre aux lubies des politiciens.
Recensement
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