Achat des F-35

L'intégration militaire

Contrats fédéraux - F-35 - rejet du Québec



Elle est déjà loin, l'époque où le Canada pouvait prétendre au rôle de conciliateur lors de conflits mondiaux. Avec l'achat de 65 avions de chasse F-35 au coût astronomique de 16 milliards de dollars en comptant l'entretien, le gouvernement conservateur de Stephen Harper confirme l'intégration accélérée du Canada à la politique américaine de gendarme du monde. Est-ce bien là la volonté des Canadiens? On en doute!
Comme notre collègue Alec Castonguay le révélait au début juin, le gouvernement Harper a pris une décision qui n'était pourtant pas attendue avant quelques années dans le dossier de remplacement des CF-18, dont la vie utile se terminera en 2020. Des trois concurrents en lice, c'est le F-35 de la multinationale américaine Lockheed Martin qui a été retenu, un avion de chasse ultraperfectionné sur papier, mais qui n'est pas en production et qui n'a donc jamais fait ses preuves.
Selon les experts, l'aspect furtif (difficile à repérer) de cet appareil le destine de façon explicite au combat en pays étrangers puisqu'une telle caractéristique n'est d'aucune utilité pour la surveillance de son propre territoire. Plusieurs raisons expliquent ce choix, tels les 700 millions promis par le Canada pour le développement de cet appareil, dont 170 millions ont déjà été dépensés, l'assurance d'un prix ferme si la commande est passée avant la mise en production, sans oublier la possibilité pour les fournisseurs canadiens de soumissionner dès maintenant pour l'obtention de contrats.
Mais la première raison, peut-être la plus importante, est le fait que voilà un appareil qui s'intègre parfaitement au plan américain de maintien de l'ordre dans un monde en proie à l'instabilité. Après l'Irak et l'Afghanistan, c'est au tour de l'Iran et de la Corée du Nord de présenter des signes menaçants pour la sécurité américaine. Or, contrairement aux années Trudeau et Chrétien, le Canada de Stephen Harper ne veut plus se satisfaire d'une réputation de gardien de la paix et souhaite plutôt s'affirmer offensivement aux côtés de son allié économique et idéologique, les États-Unis.
Bien sûr qu'il y a des avantages à un tel virage, le plus évident étant de nature économique. Entre 2000 et 2009, les dépenses militaires du gouvernement canadien ont bondi de 50 %. Si le Canada se présente comme l'allié le plus fiable du Pentagone, ses entreprises seront perçues comme des partenaires à part entière du complexe militaro-industriel nord-américain au lieu de concurrents menaçants pour l'emploi et la sécurité nationale des États-Unis. Puisqu'il faut équiper nos soldats de façon adéquate, ajoutent les conservateurs, aussi bien obtenir notre part des retombées économiques.
Dans le cas du F-35 comme dans celui des hélicoptères Chinook ou des avions de transport C-130J, chaque constructeur s'engage à dépenser au Canada l'équivalent du prix d'achat des appareils. Au fil des ans, cela pourrait entraîner 12 milliards en retombées compte tenu du fait que Lockheed Martin prévoit construire 3000 F-35, dont seulement 65 iront aux Forces canadiennes.
Qui profitera de cette manne? Ottawa laisse la société américaine libre de choisir les fournisseurs qui l'intéressent. Le Québec étant spécialisé dans l'aérospatiale avec des firmes comme Pratt and Whitney, CAE, Héroux-Devtek et L-3 MAS, il n'est pas mal placé pour tirer son épingle du jeu. Mais rien n'est gagné d'avance, comme l'a montré la première ronde d'attribution des contrats d'entretien du C-130J (aussi Lockheed Martin) qui a profité exclusivement à des firmes hors Québec. En l'absence de politique de répartition régionale, la vigilance s'impose donc de la part du gouvernement Charest et de la députation québécoise à Ottawa.
Cela étant dit, les mêmes conditions au chapitre des retombées économiques auraient tout aussi bien pu être posées à un autre constructeur, comme il aurait aussi été possible de choisir un appareil moins cher destiné exclusivement à des missions de défense du territoire canadien. Si le gouvernement Harper a choisi avant l'heure, et sans appel d'offres, d'équiper son armée de l'appareil qui sera au centre de la stratégie militaire des États-Unis d'ici dix ans, c'est qu'il entend y jouer un rôle actif comme c'est le cas déjà en Afghanistan. Dans ces conditions, la moindre des choses aurait été de demander l'avis des Canadiens avant de les entraîner dans une spirale dont l'histoire nous a appris qu'il est toujours beaucoup plus difficile d'en sortir que de s'y engager.
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j-rsansfacon@ledevoir.com


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