L'homme de Londres

Charest : Option-payer ses dettes ou Option-préparer l'avenir?...

S'il y a un événement dans l'histoire contemporaine qui symbolise la volonté fédérale d'imposer sa loi au Québec coûte que coûte, c'est bien le rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982.
Depuis un quart de siècle, l'initiative de Pierre Elliott Trudeau empoisonne les relations entre le Québec et le reste du Canada. Depuis les échecs de Meech et Charlottetown, plusieurs croient même qu'il ne sera plus jamais possible de modifier la Constitution pour la rendre acceptable au Québec.
À l'époque, le Québec avait déployé une intense activité diplomatique pour convaincre les parlementaires britanniques, notamment la Chambre des Lords, de s'opposer au rapatriement. Malgré les prouesses du délégué général à Londres, Gilles Loiselle, Ottawa avait eu gain de cause.
Le premier ministre Charest avait beau désespérer de se trouver un nouveau chef de cabinet, il demeure renversant qu'il ait choisi Daniel Gagnier, qui était l'homme de main de M. Trudeau à Londres, avant de prendre la direction du Centre d'information pour l'unité canadienne (CIUC), qui était ni plus ni moins l'ancêtre du programme des commandites. M. Charest avait déjà sollicité M. Gagnier en 2003, mais sa situation chez Alcan était financièrement trop avantageuse.
Le nouveau porte-parole péquiste en matière constitutionnelle, Alexandre Cloutier, va un peu vite en affaires quand il conclut de sa nomination que M. Charest accepte de facto le rapatriement, mais il est vrai qu'il n'a jamais semblé très outré. «Ce que ce rapatriement-là incluait, y compris la Charte des droits et libertés, est largement appuyé par la population», constatait-il en 2002.
Il aurait cependant dû lui sauter aux yeux que le choix de M. Gagnier risquait de créer un sérieux problème de perception. Depuis les élections du 23 mars dernier, le PLQ cherche désespérément un moyen de regagner la faveur des francophones. Comment M. Charest peut-il espérer les convaincre de sa détermination à défendre les intérêts du Québec alors que son plus proche adjoint s'était fait l'instrument de la plus dure attaque qu'il ait subie depuis 1867?
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Personne ne s'attend à ce qu'un gouvernement fédéraliste nomme des souverainistes à des postes névralgiques, mais il y a des limites. Depuis les années 60, les chefs du PLQ ont généralement évité de recruter parmi les anciens d'Ottawa. En 1985, Robert Bourassa avait d'abord choisi comme chef de cabinet un ex-député libéral fédéral, Rémi Bujold, mais il s'en était séparé rapidement quand il s'était aperçu que sa première loyauté allait à Ottawa. Lui-même suspect d'être Canadien d'abord et avant tout, M. Charest devrait se préoccuper de ne pas prêter davantage flanc à la critique.
Il est troublant que le bureau de M. Charest ait cherché à cacher le passé de M. Gagnier. Son attaché de presse a d'abord déclaré à mon collègue Antoine Robitaille qu'il avait été nommé en Yougoslavie en juin 1980, alors qu'il avait bel et bien été expédié à Londres.
Il a ensuite fait valoir que M. Gagnier était un fonctionnaire et qu'il n'avait donc pas joué un rôle décisionnel. C'est exactement ce que Chuck Guité avait plaidé devant la commission Gommery. Lui aussi n'était qu'un simple exécutant.
Il y a ceux qui apprennent de leurs erreurs et ceux qui s'entêtent à les répéter. Jean Charest appartient manifestement à cette deuxième catégorie, comme il l'a démontré durant son premier mandat.
En 2004, la nomination de Jocelyn Beaudoin au poste de délégué du Québec à Toronto avait aussi soulevé un tollé. Comment le premier ministre avait-il pu choisir entre tous un ancien directeur général du Conseil de l'unité canadienne (CUC), que l'ancien Directeur général des élections du Québec, Pierre F. Côté, avait déjà décrit publiquement comme le «personnage le plus obscur» de la sombre histoire de financement des activités du non sous le couvert d'Option Canada durant la campagne référendaire de 1995?
Malgré les sérieuses allégations contenues dans le livre de Normand Lester et Robin Philpot, intitulé Les Secrets d'Option Canada, il a fallu que, seize mois plus tard, le rapport de l'ex-juge Bernard Grenier tire une «conclusion défavorable» au sujet du rôle joué par M. Beaudoin pour que le gouvernement réclame sa démission.
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Jusqu'à ce que le PQ oppose son veto, le gouvernement se proposait également de nommer à la présidence de la Commission d'accès à l'information Lyette Doré, celle-là même qui avait signé les chèques que le ministère du Patrimoine adressait à Option Canada.
À l'époque, M. Charest et son ministre responsable des Affaires intergouvernementales, Benoît Pelletier, avaient crié à la chasse aux sorcières. Encore une fois, on peut s'attendre à que le premier ministre défende son nouveau chef de cabinet bec et ongles, d'autant plus que personne d'autre n'a voulu du poste. Comme par hasard, un de ceux qui l'ont refusé, John Parisella, prend sa défense aujourd'hui même dans une lettre publiée dans nos pages.
M. Gagnier est sans aucun doute un homme efficace, qui a été apprécié du milieu des affaires durant ses années chez Alcan. Il a également une longue expérience de l'administration publique et du travail de cabinet, acquise à Regina, à Toronto et à Ottawa.
Le problème est que M. Gagnier n'a pas une connaissance intime des rouages de l'État québécois ni de sa dynamique politique. Alors que des élections générales pourraient avoir lieu aussi tôt que dans six mois, est-il l'homme de la situation? En 1986, Robert Bourassa avait pu se permettre d'engager Mario Bertrand, qui était un peu dans la même situation, mais les libéraux étaient encore en pleine lune de miel.
Au congrès de mars prochain, M. Charest devra également se soumettre à un vote de confiance. Même si les libéraux sont généralement plus indulgents que les péquistes envers leurs chefs, un sérieux travail de préparation sera nécessaire. Or, M. Gagnier n'a pas de racine au PLQ.
Le premier ministre a beau répéter à qui veut l'entendre qu'il conduira ses troupes lors du prochain scrutin, son nouveau chef de cabinet a tout à fait le profil d'un homme de transition. Comme il a pris sa retraite chez Alcan, M. Gagnier peut se permettre un emploi temporaire.
mdavid@ledevoir.com


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