L'Europe écrase les peuples

Chronique de José Fontaine

L'Europe n'est pas un Etat mais la Commission européenne se conduit de plus en plus comme si elle en était le gouvernement, ce qu'elle n'est pourtant pas. On le voit pour la Grèce où des envoyés de la Commission «accompagnent» l'administration grecque pour imposer des mesures de plus en plus dures qui seraient destinées à ce que la Grèce sorte de ses difficultés. On verra et on verra si l'ensemble des Etats européens ne vont pas connaître ce genre de difficultés. Il est à prévoir que la Grèce sera de plus en plus écrasée par la dictature néolibérale franco-allemande.
Des pompiers
Hier à Bruxelles, les pompiers et singulièrement les pompiers wallons ont arrosé copieusement la résidence de fonction du Premier ministre belge le «socialiste wallon» Elio Di Rupo. Ils protestaient contre le fait que le gouvernement Di Rupo I veut retarder l'âge de départ à la retraite de deux ans pour tous ceux qui pouvaient l'obtenir dans certaines professions à 60 ans. Les pompiers qui ont compté 11 morts dans leurs rangs l'an dernier avaient obtenu - autrefois - des promesses d'allègement de leur carrière avant 60 ans, à 58 ans voire 56 ans. En effet, entendait-on à la RTBF-radio hier au soir, on peut se poser la question de savoir si un homme de 60 ans est encore tout à fait apte à monter plusieurs fois par jour, lors d'interventions dangereuses, des immeubles de plusieurs étages avec une charge de 20 kg sur le dos.
La réponse à cette question a été donnée par plusieurs journalistes politiques de l'émission La semaine de l'info à la RTBF hier vers 18h45. J'ai déjà parlé ici de la rapidité brutale avec laquelle une réforme sur les pensions avait été votée à la fin de 2011 par le gouvernement de la pire des politiques d'austérité menées dans l'histoire du pays. Philippe Walkoviak de la RTBF et Christophe de Caevel de L'Echo de la Bourse ont donné en quelques minutes l'explication de cette brutalité et du fait que le gouvernement ne reculera pas sur les décisions prises. Je les ai cueillies au vol hier.
La Commission européenne gouverne la Belgique
En fait ces décisions n'ont été prises si rapidement que parce que la Commission européenne exigeait (peu importe ce que cela rapporte) des décisions dites «structurelles», c'est-à-dire en fait néolibérales dans le domaine des pensions. Le gouvernement belge en escomptait une économie de 500 millions d'euros en 2013, mais il semble que le bénéfice escompté ne serait que de 60 millions (estimation de Philippe Walkoviak).
Pourquoi alors se battre pour si peu demandera-t-on? Justement parce que c'est une mesure en quelque sorte «symbolique» (lire symboliquement néolibérale). Les pompiers ont demandé que l'on fasse une exception pour eux, mais si l'on commence à faire des exceptions, disait aussi à la radio le Vice-Premier ministre Reynders hier matin, tout le monde en demandera. Donc le gouvernement ne cèdera pas. A La semaine de l'info, on estimait que par contre toute une série de réductions des allocations de chômage allaient rapporter d'emblée quelque chose comme 300 millions dès cette année. Or ces réductions d'allocations déjà si basses vont avoir comme conséquence que bien des chômeurs vont se retrouver au-dessous du seuil de pauvreté et vont devoir s'adresser aux CPAS des communes wallonnes déjà ruinées. La semaine de l'infode la RTBF disait aussi que l'on cafouille. Pendant toute cette semaine la même radio-télévision a lancé une opération de solidarité pour les personnes qui meurent littéralement de froid, ce qui (à la grande colère de certains journalistes de la RTBF), a chassé pendant toute une semaine l'information politique des journaux télévisés pour y substituer la misère filmée en direct et la charité (face caméra), lui portant secours dans le moindre des villages wallons dont d'habitude les journalistes ne parviennent pas à prononcer correctement le nom... L'opération a rapporté la coquette somme de 130.000 €.
Les opérations caritatives télévisées rapportent aux pauvres mais que rapporterait une information non conformiste?
Que rapporterait des émissions bien faites sur les ravages de l'austérité programmée pour plusieurs années? Ma question n'est pas ironique. Elle est quasiment désespérée. On ne parvient pas à avoir de vraies et bonnes informations sur ce qui se passe. La preuve? Le plus grand journal belge Le Soir, éditorialisait ce matin en disant qu'il n'y avait pas d'alternative à la réforme des pensions (Pas le choix de Véronique Lamquin, Le Soir du 11 février p. 2). Ce raisonnement est inexact et pourtant très répandu et malheureusement les syndicats eux-mêmes ne réagissent pas assez contre ceux qui disent que, avec l'allongement de la vie, tout cela est «mathématiquement incontournable» : il faut travailler plus longtemps. On pourrait se poser la question de savoir si c'est nécessaire moralement ou humainement de travailler plus tard puisque l'on vit plus longtemps. Mais ce n'est pas la question posée ni le raisonnement exprimé.
Le raisonnement à la base de ces évidences que pratiquement aucun journal ni aucun média ne met en cause est le suivant comme le rapporte très bien Le Monde Diplomatique en le démontant rapidement : «En 1960, nous dit-on, il y avait 4 actifs pour 1 retraité ; en 2000, 2 actifs et en 2020, 1,5. C’est vrai. Mais d’ores et déjà, les deux actifs produisent une fois et demi plus que les quatre d’il y a soixante ans (en raison de la productivité du travail). A l’horizon 2020, un actif produira plus que les deux d’aujourd’hui. Donc il y aura autant de richesses disponibles pour les retraités.» Mais ce raisonnement tout à fait vrai n'est jamais évoqué - jamais! Il est clair pourtant que la possibilité pour un pays de payer ses pensionnés ne dépend pas principalement du rapport entre actifs et non-actifs, ni de l'âge moyen de la durée de la vie, ni même du seul montant des cotisations sociales. Il dépend, en fin de compte, de la richesse globale à partager.
Véronique Lamquin dit aussi que les mesures prises (retarder l'âge de départ à la retraite), c'est le seul moyen de «sauver la Sécurité sociale» en oubliant cependant que les dépenses de l'Etat en matière de sécurité sociale ne sont pas des dépenses uniquement en faveur des allocataires sociaux, mais aussi des dépenses correspondant à l'allègement considérable des charges patronales en sécurité sociale qui, depuis 1998, peuvent être évaluées à quelque chose comme 60 milliards d'€, allègements opérés soi-disant pour créer des emplois mais qui n'en créent en réalité quasiment aucun. Mais le gouvernement belge se rue comme la pauvreté sur le monde (ou plutôt comme le monde sur la pauvreté), sur les chômeurs. La diminution de leurs allocations rapporterait en un an 300 millions d'euros. En 10 trois milliards, en 20, 6 milliards, en un siècle 30 milliards et en deux siècles 60 milliards...
Désespoir et colère
Il y a du désespoir à entendre ânonner tous les jours le point de vue de la Commission européenne et du néolibéralisme.
Il faut que je m'excuse de rappeler encore - puisque personne n'en parle - que ce sont ces mesures (auxquelles il n'y aurait pas d'alternative!), qui accroissent inexorablement le fossé entre les riches et les moins riches depuis 1982. Un professeur de l'université de Liège fit remarquer au journal Le Soir de la semaine passée, lançant une grande enquête sur les tabous belges, que le grand tabou c'est qu'aucun journal ne publie jamais les chiffres qui illustrent le fait qu'une part de plus en plus grande des PIB européens est accaparée par les détenteurs de capitaux au détriment des salariés et des travailleurs indépendants depuis trente années. Xavier Dupret écrit dans Politique de février 2011, p. 34:
«En 1980, la part salariale à l'intérieur des PIB additionnés (c'est-à-dire la part que recevaient les salariés en contrepartie de leur effort productif), dans ce qu'on appelait à l'époque, la Communauté européenne, équivalait à quelque 75% de la valeur ajoutée. En moyenne, un travailleur européen percevait donc 75 centimes par franc produit. A la fin des années nonante, la part salariale était tombée, en Europe, à 68,5 % de la valeur ajoutée. Selon le Fonds monétaire international (dont les accointances avec les économistes critiques ne sont guère évidentes), la part salariale dans les pays industrialisés a diminué "en moyenne d'environ 7 points depuis le début des années 80, ce recul étant plus marqué dans les pays européens". En témoigne le cas belge où les salaires passaient sous la barre des 50% en 2007.» Et la revue TOUDI ajoutait à ces chiffres il y a un an le raisonnement suivant :
«Même si les salaires progressent, ils progressent bien moins vite que le fameux gâteau dont parlent sans cesse les patrons et dont les plus riches mangent une part de plus en plus grande tandis que les moins riches en reçoivent une part sans cesse plus petite. C'est pour cette raison que, à la rentrée académique de l'Institut provincial de formation sociale de Namur le philosophe Edouard Delruelle estimait que les parents d'aujourd'hui, contrairement à ceux des générations précédentes, ont cessé d'espérer pour leurs enfants un avenir meilleur que le leur. Si cette évolution se poursuit, dans un monde certes un peu plus enchanteur que celui du 19e siècle, nous allons régresser vers une misère de plus en plus grande et un recul catastrophique de la civilisation. Les chiffres publiés par Gabriel Maissin, puis par Xavier Dupret donnent une idée du bien-fondé du sentiment de révolte d'une jeunesse de plus en plus exploitée et qui ne peut plus réaliser, dans des conditions analogues aux générations précédentes, au moins depuis 1945, sinon même avant, les simples désirs de fonder une famille, d'être actif dans une profession qui donne des satisfactions, bref de réaliser les vieux projets humains.» (référence dans le lien à l'intérieur du texte).
Le voiles, les maths et la République
Mathématiquement nous disent tous les médias belges, il n'y a qu'à se soumettre. Ils n'y voient pas un grand danger pour la démocratie. Le Soir a cependant affirmé solennellement cette semaine que la démocratie était en péril parce que des personnes d'origine musulmane ont interrompu un débat à l'ULB qui était une discussion entre Hervé Hasquin et Caroline Fourest devant une foule innombrable de deux cents personnes. Heureusement que cet incident tout à fait mineur s'est produit (et surtout a été filmé), pour que les médias belges continuent à s'enfoncer dans le conformisme le plus extraordinaire et puissent continuer à s'indigner des atteintes (?) très secondaires à la démocratie, le soir, dans l'une de nos universités, considérant qu'ils n'ont pas à se soucier de l'essentiel.
Si 2+2 = 4, en revanche on peut discuter à l'infini sur le port (ou non) du voile dans les écoles? Oui! Cela, ça relève de l'indécidable... En effet, le port de la soutane par tous les prêtres catholiques français jusqu'aux années 60 ou 70 n'a jamais dérangé la République laïque, démocratique et sociale qu'est la République française. Et l'abbé Pierre a même été (avec sa soutane!), l'incarnation la plus authentique du dernier mot de la belle devise de cette République plus que jamais à opposer aux trahisons - aux vraies! - de la République : Fraternité!

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    15 février 2012

    Merci pour votre texte qui à mon avis décrit parfaitement une problématique majeure à savoir l'action néfaste du néolibéralisme en Occident et dans le monde en général et ce depuis trop longtemps. Comme si on ne pouvait pas faire les choses autrement et dans l'intérêt des peuples, c'est-à-dire des humains.
    Je trouve triste de voir les pays d'Europe, ces magnifiques fleurs variées, se transformer en un bouquet de fleurs uniques, identiques dont le parfum est particulièrement nauséabond.
    Peut-être que les nations se fatigueront un jour de respirer ce parfum ? L'actualité nous en donne parfois l'impression.

  • Archives de Vigile Répondre

    11 février 2012

    Nous ne vous le disons sans doute pas assez souvent mais vos articles sur Vigile sont très enrichissants. Je n'en manque pas un. Merci.