Victoire sur la communauté casse-pied

Chronique de José Fontaine

Un lecteur québécois de cette chronique m'a fait part de l'intérêt qu'il avait pris à la lecture d'un texte qu'il jugeait éclairant alors qu'il portait sur ce qui complique tout dans la fédéralisme belge à savoir qu'il y a en Belgique deux sortes d'entités fédérées, les communautés et les régions.
Résumé rapide
Vite on peut dire que les Flamands ont obtenu que le fédéralisme belge soit d'abord (1970) un fédéralisme de communautés établie sur la dualité des langues exclusivement, l'une - Communauté flamande - ramassant les Flamands (six millions) et les Flamands de Bruxelles en petit nombre (100.000), l'autre - Communauté française de Belgique- les Wallons (3,5 millions) et les Bruxellois francophones (900.000). L'autre entité fédérée c'est la Région (créée en 1980) qui a une base territoriale et qui définit trois Régions, Bruxelles, la Flandre, la Wallonie (1). Les Flamands voulant les Communautés et les Wallons (et Bruxellois pour finir), les Régions, on a fait un compromis en acceptant les deux.
Le compromis effacé
Côté flamand, le compromis a été en quelque sorte effacé pratiquement dès 1980. Car la Flandre a considéré que la Flandre, Région et Communauté, ne faisaient qu'un, ce qui était d'autant plus facile que les Flamands de Bruxelles sont peu nombreux. C'était la fusion, impossible du côté francophone. De sorte que la Flandre a une image d'unité incontestable. Côté wallon et bruxellois, on a évidemment les deux Régions. Mais pour une série de matières limitées à l'enseignement et la culture (plus quelques trucs), on a un troisième bidule (et de fait c'en est un!) qui s'intercale entre la Région de Bruxelles (clair pouvoir) et la Wallonie (clair pouvoir lui aussi), pour gérer certaines choses communes aux deux Régions, soit aujourd'hui l'enseignement et la culture principalement mais de toute façon exclusivement (y a-t-il au monde un pouvoir politique aussi étrange?). Et opérer la fusion entre Région wallonne et Communauté française (comme en Flandre) était plus difficile car les Bruxellois francophones (bien plus nombreux que les Bruxellois flamands), ne se seraient pas reconnus dans une Communauté wallonne par exemple. Et les Wallons non plus dans une Communauté qui aurait référé à la France et à la Belgique (Communauté française de Belgique), sauf à la Wallonie.
Intervention d'intellectuels
Dès 1983 des intellectuels wallons rédigèrent un Manifeste pour la culture wallonne qui remettait profondément en cause la Communauté, responsable alors seulement des matières culturelles. L'ensemble du monde politique et des médias nous avaient ensuite agonis d'injures (je crois qu'il faut utiliser ce terme). Estimant que le lien Bruxelles-Wallonie à travers la Communauté faisait pendant à la Flandre.
Cependant, dix ans plus tard - en 1993 - quelque chose comme 20% des compétences de la Communauté française étaient soustraits à la Communauté pour être attribués à Bruxelles et à la Wallonie. Le bon sens et la logique très ancienne de l'Etat en général (un Etat = un territoire, une population, un gouvernement), auraient voulu que TOUTES les compétences soient attribuées aux deux Régions. Si on l'avait fait en 1993, le fédéralisme belge en aurait été fortement clarifié, la Wallonie - entre autres - bien mieux identifiée aux yeux des voisins européens et de ses propres citoyens. En elle-même cette modification n'aurait pas fait des miracles, mais elle constituait et constitue toujours le meilleur cadre dans lequel se bâtir une Wallonie à nouveau économiquement prospère et politiquement forte, car simple. Notamment parce que, étant clair, ce cadre permettait aux citoyens d'y voir clair et de voter en conséquence. Nous l'avons redemandé solennellement en 2003 en remettant symboliquement au parlement wallon, en vue de supprimer la Communauté française, une proposition de loi ou de décret. Il suffit en effet d'une loi pour transférer TOUTES les compétences de la Communauté à la Wallonie et à Bruxelles, la Communauté casse-pied ne cassant alors plus les pieds de personne. On ne nous a pas suivis.
L'an prochain à mon sens, il faudrait aller à nouveau re-déposer cette proposition de loi au Parlement wallon. Ce sont les trente ans du Manifeste pour la culture wallonne.
Une lutte acharnée
Et depuis lors, notamment avec des cadres du plus important syndicat wallon, la FGTB, nous réitérons nos exigences que ne défendent (du moins ouvertement, car la particratie wallonne et francophone interdit de facto la liberté de parole pour les mandataires politiques, du moins la limite au maximum), que quelques rares députés en Wallonie et à Bruxelles. Notre exigence est celle des citoyens parce que tout cela est clair, simple et droit. Et que les citoyens ont besoin qu'on leur dise clairement de quels pouvoirs ils dépendent et quel est l'instrument dont ils doivent se servir eu égard à leur pays. Divers sondages ont confirmé que la population nous a presque toujours donné raison.

Or ce vendredi 3 février dans Le Soir, le ministre fédéral Paul Magnette, 41 ans, l'un des politiques qui montent au sein du PS annonçait qu'il reprenait à son compte une partie de nos idées (et celles du ministre Marcourt, qui partage en somme les idées des manifestes wallons), sur lesquelles un accord se faisait au PS! Mais en limitant le transfert à 80% des compétences de la Communauté cers Bruxelles et la Wallonie, soit l'enseignement primaire et secondaire. Pas l'enseignement supérieur.
Mégotage
Il y a comme cela depuis la première réforme de l'Etat un mégotage des compétences attribuées à la Wallonie. Elle est par exemple responsable des bâtiments de l'enseignement secondaire et primaire mais pas de l'enseignement supérieur. Ce qui donne la fâcheuse impression que les matières les plus importantes socialement sont jugées indignes d'elle. Par exemple, il n'est pas question dans le déblocage de Magnette de transférer la culture aux Régions. Le mégotage de Magnette est caractéristique. Quand on n'aime pas quelque chose et qu'on doit bien s'y résigner, on le donne en le plus d'étapes possibles car on ne sait jamais...

Nier que la Wallonie est un pays
La complexité idiote de la Communauté française de Belgique a comme conéquence un spectacle savoureux : dans des communes comme la mienne le drapeau wallon flotte sur les déchetteries (compétence régionale) mais pas sur le centre culturel (compétence communautaire). Cette répartition symbolique dit assez bien le mépris pour la Wallonie (et Bruxelles), en quoi se résume cette complication du fédéralisme belge qui vient en réalité de Flandre mais que les Flamands ont effacée pour leur compte alors que les Wallons et les Bruxellois (du moins leurs dirigeants), s'acharnent à la maintenir contre tout bon sens. Mettre le drapeau wallon sur la déchetterie ne compromet pas, elle est en dehors du centre des villes. Sur le centre culturel, ce serait beaucoup plus grave, ce serait admettre que la Wallonie forme un pays. Ceux qui connaissent un peu Wikipédia n'ont qu'à aller voir sur cette encyclopédie la rage de certains à enlever le mot (cliquer sur diff entre parenthèses) wallon. Parce que, s'attribuant à des écrivains, des artistes en général, des personnes finalement, d'autres réalités importantes, il désignerait non pas une pure collectivité administrative interne mais un pays, une patrie, ce que pourtant est, déjà, effectivement, la Wallonie. Mais elle dérange certains, à peu près comme le sein que Tartuffe ne savait voir.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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