Seule une catastrophe sauvera l'Europe

Chronique de José Fontaine

On pourrait se demander ce qui va encore bien en Europe avec la crise des dettes publiques où elle semble s'enfoncer inexorablement. L'agence de notation Fitch a encore dégradé gravement la note de l'Italie et de l'Espagne, ces deux importants pays étant mis au surplus en «surveillance négative». Hier Michel Visart à la RTBF, estimait qu'il y avait derrière cette décision la volonté de faire pression sur le sommet européen qui se tient lundi à Bruxelles comme d'habitude.
Mais il y a une autre pression!
Mais lundi, les syndicats des trois Régions du pays organisent une grève générale qui va toucher notamment les aéroports et risquent de bloquer les routes. Le gouvernement belge a donc fait appel à l'armée pour permettre que le sommet se tienne malgré tout. Différentes hypothèses sont étudiées pour le moment par l'armée belge comme l'atterrissage sur des aéroports militaires en Wallonie puisque l'aéroport dit national en Flandre (Zaventem), sera lui aussi bloqué. On songe à Beauvechain ou Florennes. De Beauvechain les excellences européennes pourraient être conduites par la route à Bruxelles sauf si celles-ci sont bloquées et les syndicats ont promis de le faire. Ceci n'est pas qu'anecdotique à mes yeux. L'Union européenne qui se veut la construction d'un espace de démocratie et de paix, doit faire appel à l'armée pour se réunir. Cedant arma togae disaient les Romains : «l'épée le cède à la toge» ( traduction brute) ou «le pouvoir civil a la prééminence sur le pouvoir miliaire» (traduction portant sur le sens de la formule).
Mais quand le pouvoir civil fait appel à l'armée pourquoi y est-il contraint? Ici, ce n'est pas à cause d'une tentative de coup d'Etat antidémocratique, c'est à cause des syndicats qui dans un pays comme la Belgique et en tout particulier en Wallonie sont les porteurs par excellence de la revendication démocratique. Sans les syndicats et le mouvement ouvrier le suffrage universel n'aurait pas été instauré si vite dans le pays. Sans eux il n'aurait été pas remédié au scandale central de la démocratie en Belgique qui est la minorisation politique de la Wallonie qui a enfoncé celle-ci dans une crise sans fin en raison du fait que la Flandre, prenant d'ailleurs le relais de l'organisation économique de la Belgique par la bourgeoisie francophone, a tendu à ramener l'essentiel des activités économiques en Flandre et à Bruxelles et qui est parvenue à ses fins sans cependant assurer l'enracinement du néerlandais qui était la motivation politique de l'opération. Ce qui dit bien les impasses d'une tragédie belge où tout le monde est perdant. Il y a une autre tragédie qui va se jouer dans les mois qui viennent, les semaines et peut-être les jours.
L'échec total de l'Europe actuelle
On dit bien que le Premier ministre belge Elio Di Rupo comme tous ses collègues européens n'a pas d'autre choix politique que la politique qu'ils mènent pour faire face aux dettes publiques, soit une politique d'austérité généralisée, considérée par la plupart des observateurs comme la plus sévère menée depuis les années 1930. Rien que pour cette année, il faut trouver 14 milliards d'euros et il est plus que probable qu'en février cette somme sera encore plus élevée. Le ministre belge des pensions un néolibéral ultralibéral pense que pour relancer la compétitivité belge, il faudra des réformes structurelles en vue de créer des emplois. Sa collègue «socialiste», responsable de l'emploi, forte de son expérience au CPAS d'Anvers (Centre public d'aide social, nom nouveau pour les Commissions d'assistance publique qui au fond gèrent la pauvreté ou, plus exactement, la misère), donne une idée de ce que peuvent être ces «réformes». Il s'agit de créer des emplois pour les misérables pour de très courtes périodes avec la possibilité pour l'employeur d'y mettre fin rapidement si le travailleur ne respecte pas le contrat. Pour les syndicats c'est inacceptable, dit la ministre, qui ajoute ingénument qu'elle «comprend» les syndicats mais «Moi, je suis socialiste et je défends le droit au travail. Les syndicats aussi. Mais avec leur propre point de vue. Il faut essayer de concilier les deux...» (La Libre Belgique du 24 janvier). Comment ose-t-elle dire ces sottises?
Les Etats s'endettent à cause des banques...
IL faut situer cela dans tout un contexte européen. La part des salaires dans le PNB est en constante diminution depuis le début des années 80. Cela s'allie à une baisse des impôts sur les revenus du capital et les hauts revenus, ce qui a comme conséquence que les revenus des salariés s'amenuisent et que la charge de la dette publique se reporte sur eux. On pourrait se dire que la progression des revenus des gens riches pourrait être utilisée pour réinvestir, mais c'est le contraire qui se passe, car la progression des profits sert surtout,écrit Jacques Généreux, « à augmenter les dividendes distribués aux actionnaires ». ( Jacques Généreux, Nous on peut, Seuil, Paris, 20011, p.81.) La bourse n'est plus « une source de financement des entreprises, mais une source d'appauvrissement : avec les dividendes et les rachats d'actions, les actionnaires ponctionnent plus ou autant de capitaux sur l'entreprise qu'ils ne lui en apportent. » (p. 82) On a calculé que sur l'ensemble des transactions financières mondiales, seulement 2% financent des opérations dans l'économie réelle (p. 82). Mais ces investissements sont ceux des gros actionnaires et des gestionnaires du capital qui exigent des rendements quatre fois plus élevés que dans les années 1960 et qui se font au détriment des investissements. Ce détournement de la plus-value, créée par les salariés, vers les actionnaires et la finance, a comme conséquence que l'on a tenté de soutenir la demande globale par l'endettement des ménages, avec comme conséquence la crise financière, dans la mesure où ni les ménages, ni les administrations ne peuvent payer leurs dettes si leurs revenus ne progressent pas en proportion. Les Etats ont sauvé les banques et il fallait le faire pense J.Généreux. Mais le problème, c'est que rien n'a été fait pour empêcher que les marchés financiers reprennent leurs jeux fous, ce qu'ils ont fait, en déplaçant leur « terrain de jeu » (p. 84) sur les matières premières avec la conséquence d'une flambée des prix des denrées alimentaires puis, si l'on veut, sur la dette publique des Etats. Le public a sauvé les endettés du privé en s'endettant gravement, ce qui amène ce même « privé » à spéculer contre les bons du Trésor, donc contre son « sauveur ».
...et se remboursent sur le dos de leurs compatriotes pauvres...
Ensuite, pour faire face à la dette publique, les Etats ont imposé « une rigueur budgétaire cruelle et insensée qui provoque une grave récession de l'économie » notamment en Grèce (p.87). Cela encourage les marchés à s'attaquer maintenant à d'autres Etats. Ce qui ne peut qu'enrichir encore les spéculateurs et ce qui amène Généreux à écrire : « les gouvernements en place ne veulent pas s'affranchir de la pression des spéculateurs » (p.87). Les néolibéraux qui n'ont plus de majorité politique en Europe tentent de parvenir à leurs fins (affaiblissement des Etats et suppression de l'Etat social en général), par ce biais. Ceci a été rendu possible grâce avec l'insistance de l'Allemagne pour faire contrôler les budgets étatiques européens par les marchés. Mais on sait que Standard & Poors a dégradé la dette de neuf pays européens le 12 janvier 2012 justement parce que les politiques de restriction aggravent la situation de ces dettes publiques!
Jacques Généreux l'écrivait déjà plusieurs mois avant avant la motivation de sa cote par Standard & Poors (son livre est paru en septembre 2011): « Voilà donc les principaux Etats de l'UEM [soit la zone Euro] engagés dans un « concours de rigueur », dans un processus de désinflation compétitive, où chacun espère obtenir de meilleurs taux d'intérêts que ses concurrents, en « rassurant » les marchés financiers par sa détermination à saigner son propre pays ! C'est une absurdité que les marchés financiers finissent par sanctionner (...) une course générale à la rigueur ne rétablira jamais la solvabilité des Etats endettés : elle ne peut qu'entretenir la récession économique, comprimer les ressources fiscales, creuser plus encore la dette et ainsi de suite jusqu'à l'inéluctable cessation de payement des pays les plus endettés. Au bout de cette folie, de toute façon, il y aura l'annulation pure et simple d'une montagne de dettes qui ne pourront jamais être payées par personne. » (p. 89)
... mais enrichissent de plus en plus les riches...
Un jour ou l'autre, les Etats européens à force de mener ces politiques insensées sous la poussée de spéculateurs qui iraient jusqu'à miser sur la mort de gens de leurs familles tellement ils sont irrationnels, vont s'effondrer dans le même irrationnel. Le Premier ministre belge le «socialiste» Elio Di Rupo, homme politique «wallon» est un phénomène d'une extraordinaire étrangeté. Le rapport de force politique étant ce qu'il est en Belgique, il n'y a pratiquement jamais eu de Premier ministre socialiste wallon sauf quelques mois de 1973 à 1974 sur toute la durée de l'histoire de Belgique. Les syndicats jugés proches du Parti socialiste en Wallonie, les gens de la FGTB wallonne et notamment le secrétaire des métallos wallons, considèrent que ce Premier ministre est le premier ministre le plus réactionnaire depuis 1960, l'année de la plus grande grève générale qu'ait connu le pays. Elio Di Rupo est à la tête d'une entreprise parfaitement insensée. Avec mon ami Xavier Dupret (responsable de la partie économique de cette étude) qui est économiste, j'ai écrit dans L'après-Belgique, numéro spécial de la revue française Economies et sociétés (novembre 2011 mais qui est sorti de presse cette semaine), un article intitulé Un séparatisme wallon paradoxal où nous disons notamment : «En 1995, les plans d'allégement de charges équivalaient à un peu plus d'un milliard d'€. En 2003, ce volume avait quasiment quadruplé et frôlait les quatre milliards d'€. Sous l'intitulé « bas salaires et réductions structurelles », on place les réductions de cotisations patronales octroyées sans aucune condition d'embauche ni limitation de l'exonération dans le temps.» (Un séparatisme paradoxal, pp. 2074-2075) En 1987, la Fondation André Renard, évaluait déjà ces dépenses de l'Etat pour la période qui va de 1998 à 2007 à près de trente milliards. On peut estimer, puisque ces dépenses continuent, que nous en sommes plus que probablement à plus de 40 milliards, voire à 50 milliards. Cela sert-il l'emploi?
Non. Xavier Dupret cite plusieurs études qui démontrent que ces dépenses étatiques ne servent à rien ou pratiquement à rien, car de 95 à 100% des emplois créés par les entreprises bénéficiaires auraient été de toute façon créés, allègement de charges ou pas.
Les marchés se moquent pas mal des Etats
Xavier Dupret écrivait encore en octobre (même si notre article daté de novembre 2011 est sortir de presse il y a peu), avec plus de lucidité que beaucoup et pour contrer le rattachisme insensé de nos compatriotes wallons, que ce rattachisme (vouloir réunir la Wallonie à la France parce que son indépendance serait impossible), l'est encore plus dans la crise qui menace TOUS les Etats européens : «Pour être tout à fait franc, la question de la soutenabilité de la dette doit être posée en dehors du cadre « statonational » auquel nous renvoie le débat « Wallonie libre versus Wallonie réunie à la France ». Or, dans le cadre du système de la finance libéralisée, tant la dette de l'Etat belge que celle de la République Française sont appelées à connaître bien des tourments. La méfiance structurelle, en régime libéralisé, des institutions financières à l'égard des dettes publiques finit par revêtir un caractère de prophétie autoréalisatrice. Plus les banques, à la recherche de rendements élevés pour satisfaire les appétits de leurs actionnaires et pour effacer un certain nombre de dépréciations liées à des actifs toxiques présents dans leurs bilans, rejettent les obligations souveraines, plus celles-ci finissent par revenir cher aux Etats qui les émettent. Dès lors, la dette publique finit par peser de plus en plus lourd pour les Etats concernés. On pourrait remédier à cette situation en réactivant autant que faire se peut, entre autres réorientations économiques, certains circuits courts (c'est-à-dire nationaux) de valorisation de l'épargne sous forme de financement interne des pouvoirs publics. Plus les titres de la dette publique seront demandés, moins ils coûteront cher à l'Etat et plus ce dernier sera en position de solvabilité face aux institutions financières. Ce débat aussi nécessaire pour la France (dont la dette est menacée de dégradation par les agences de notation (1)) que pour la Wallonie, c'est la crise de l'euro aujourd'hui patente qui, faisons le pari, l'imposera.» (Un séparatisme pradoxal p.2078).
Espérons une perturbation grave de l'ordre public
Sans dénigrer mon ami Xavier à qui ces lignes doivent être attribuées mais que j'assumais pleinement avec lui dès octobre 2011, ce pari était «facile» à faire. La politique actuelle est sans doute profondément injuste. En effet, l'Etat belge ne rognera en rien les avantages exorbitants concédés au patrons (sur une quinzaine d'années près de 50 milliards d'euros d'allègements des charges sociales , rappelons-le, et entre autres avantages! il ne faut pas l'oublier!). Mais il se précipite comme la pauvreté sur le monde, par exemple sur les allocations d'attente des jeunes chômeurs qui en face des milliards distribués à un patronat d'assistés et de gavés, vont être privés de 130 millions d'euros par an!
Cependant, il y a là quelque chose de non seulement de tout à fait ignoble (2), mais aussi de complètement absurde, car ces jeunes, privés de tout, devront s'adresser aux CPAS des communes elles-mêmes menacées de ruine (surtout en Wallonie, coup double pour l'ultra-droite flamande), et sur lesquelles l'Etat fédéral entend reporter les obligations qu'il s'avère incapable d'assumer. Et après, quand on ara ruiné les communes, que fera-t-on? Des campagnes de collectes contre la faim en Europe? Au lieu de les faire pour l'Afrique? Qui risque d'être complètement anéantie par la famine? Et de «mourir guérie» par les ukases du «sinistre FMI»? (3)

On ne joue pas aux plus malins, on peut comprendre que les politiques soient embrigadés aujourd'hui dans l'irrationalité pure de la finance mondialisée (et surtout complètement démentielle), mais la grève générale de lundi prochain est parfaitement justifiée. Si vous voyez un tueur fou se ruer sur des êtres humains il faut faire quelque chose, même n'importe quoi à la limite pour l'empêcher de nuire. C'est d'ailleurs ce qui est à espérer, peut-être même de cette grève générale ou de la révolte généralisée des peuples européens devant l'absurdité et l'ignominie de leurs dirigeants : qu'un accident très grave, voire une catastrophe ou mieux un trouble grave de l'ordre public en Wallonie, en Belgique et en Europe ouvre les yeux de dirigeants devenus impuissants et déments face à l'argent lui-même en fait impuissant et plus dément encore.
(1) Ce qui s'est produit comme on le sait... en attendant «mieux»...
(2) La seule explication de mesures de ce genre, c'est le fait qu'elles peuvent satisfaire la haine sociale des classes moyennes élevées ou non, pour les pauvres composant l'électorat des partis qui l'imposent, au premier chef les libéraux flamands.
(3) Jean-Marc Ferry : «Pendant des lustres, la principale attitude des puissances occidentales (créancières) fut de tenir bon le principe « pacta sunt servanda » (les accords doivent être respectés, NDA), tout en disant aux pays endettés qu'ils « n'oseraient pas » (eu égard aux conséquences) non seulement ne pas rembourser leur dette, intérêt et principal, mais également se soustraire aux cures d'amaigrissement qui, ordonnées par le sinistre Fonds monétaire international, leur permettraient de mourir guéris.»

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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