L'émeute dans la nation

2006 textes seuls


Éditorial - Même si on tente de garder artificiellement en vie la mobilisation contre le CPE, le contrat de première embauche, il est clair que cet affrontement est maintenant terminé. Après un mois de grève, de manifestations et de casse, la lutte se solde par la capitulation de l'État français. Et par la victoire sans équivoque- une autre!- du plus immuable des statu quo.
Le projet de loi sur l'accès des jeunes au travail a, on le sait, été adopté sans l'être. Maintenu mais amendé. En clair: roulé en boule, jeté et piétiné.
Vu de loin, ce tableau pourrait ne provoquer qu'un sourire en coin. Car tous, à commencer par les Français eux-mêmes, voient bien cette France qui tombe, selon le titre du brillant ouvrage de Nicolas Baverez. Mais que peut-on y faire? Comme le proclame comiquement Robert Lepage dans Le Projet Andersen (qui, soit dit en passant, occupera dès demain la scène du TNM): " Que voulez-vous, nous sommes en France! "
Mais il vaut mieux réprimer tout sourire. Parce que, comme nous l'avons souvent noté ici, les anesthésiants qui ont petit à petit plongé la France en état de rigidité cadavérique sont aussi administrés à forte dose à la société québécoise.
Par exemple, comment ne pas voir sans perplexité un gouvernement de centre droite, celui de Dominique de Villepin, se révéler incapable de gouverner?
Et ce, sans doute en raison de sa propre maladresse- ça ne nous rappelle pas quelque chose?
Mais surtout en raison de l'opposition acharnée de ce puissant équipage constitué par les égoïsmes collectifs, les intérêts corporatistes, les utopies radieuses (sous les pavés, la plage!), la politique politicienne, la victimologie institutionnelle, l'aveuglement volontaire... de tout cet équipage, bref, sans relâche occupé à scier la branche de la prospérité sur laquelle l'ogre étatique est assis, et qui préférerait voir la société mourir plutôt que bouger.
Une image vaut mille mots, paraît-il.
Contemplons celle de ces étudiants et syndicalistes qui, jeudi, ont bloqué l'entrée des usines Airbus, à Toulouse, où sont acheminées pour montage les pièces du A-380, symbole volant de la connaissance de pointe, de l'emploi de qualité, de la prospérité et de la modernité...
Mince consolation pour nous: l'institution parlementaire tient à peu près le coup au Québec, alors qu'en France, elle est de plus en plus décorative, le véritable lieu d'exercice de l'opposition- et, en définitive, du pouvoir- se trouvant dans la rue.
Ce n'est pas un fait totalement nouveau.
En avril 2002, lors de l'élection présidentielle, la majorité des électeurs français (52 %) s'étaient, soit abstenus de voter, soit égarés chez les partis flyés exclus d'avance du pouvoir, manifestant ainsi leur indifférence au sort de la démocratie parlementaire. Il est vrai que, selon l'historien et journaliste Jacques Marseille (auteur de Du bon usage de la guerre civile en France), le pays n'a jamais, depuis le XIVe siècle, progressé autrement que par l'émeute!
Cette fois-ci, les Gaulois auront fait encore mieux: il leur aura fallu l'émeute pour... ne pas avancer!
Essayons, par pitié, de ne pas en arriver là.


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